c. Logistique, service économique et
enrichissement.
Avant le retrait du Rwanda de la RDC en 2002, l'ALIR et les
FDLR présents dans l'Est de la RDC n'étaient pas vraiment
activement impliqués dans l'exploitation des minerais et des autres
ressources. Ils survivaient en grande partie grâce au pillage des civils
et des forces militaires rivales, et ils produisaient aussi une partie de leur
nourriture. Leur propre production vivrière était cependant
souvent perturbée par les attaques du RPA ou de l'ANC contre leurs
campements de fortune.
La hiérarchie de l'ALIR a empêché ses
membres de s'engager dans des affaires lucratives, de peur que, une fois
distraits par ce genre d'activités, la préparation militaire ne
s'effrite rapidement. La direction de l'ALIR voulait que ses soldats se
concentrent sur la mission qui consiste à faire tomber le gouvernement
du Rwanda. Un officier supérieur des FDLR a déclaré qu'ils
s'étaient instruits du cas des mouvements rebelles congolais et de
plusieurs armées étrangères impliquées dans les
guerres successives en RDC, qui ont toutes ayant fini par perdre de leur
efficacité parce qu'elles étaient distraites par l'exploitation
des minerais. Cet officier a par ailleurs indiqué que la
réduction de l'aptitude à combattre des FDLR, suite aux
changements d'attitude face à l'exploitation des minerais après
2003, a confirmé les préoccupations des responsables militaires
de l'ALIR.
La situation était différente en ce qui concerne
les Rwandais qui ont combattu dans les parties ouest de la RDC aux
côtés du gouvernement de la RDC. Cela s'explique en partie par les
faits ayant précédé l'appel à l'aide de feu le
Président Kabila. Avant qu'ils ne rejoignent Kabila, plusieurs de ces
Rwandais s'étaient installés dans différents pays
francophones d'Afrique de l'Ouest où ils ont créé des
entreprises. Aujourd'hui, il y a encore des centaines de Rwandais, même
parmi ceux qui ont été rapatriés, qui continuent de
gérer des entreprises commerciales (souvent des compagnies de taxi) dans
des pays comme le Cameroun et la République du Congo. De plus, il est
fort probable que Kabila ait offert à ces Rwandais le droit d'extraire
certaines des richesses de la RDC en échange d'un soutien militaire.
dans un rapport de situation de Life and Peace Institute du 25
avril 2003), transportant des liasses de dollars et des tas de diamants. Ce
convoi attira les marchands de diamant de zones aussi reculées que
Bukavu et Goma. Comme il y avait très peu de liquidité à
Bunyakiri, les commerçants locaux ne pouvaient pas toujours donner la
monnaie aux éléments des FDLR lorsque ces derniers achetaient du
manioc, des poulets ou de chèvres avec des billets de 100 dollars. La
population a signalé que ces unités des FDLR disaient aux
autochtones de garder la monnaie. Ce qui voudrait dire que les unités
des FDLR installés dans l'Ouest avaient accès à
d'importantes ressources et semblaient être impliquées dans le
commerce ou l'exploitation de ressources naturelles; ils n'étaient
certainement pas bien payés dans l'armée régulière
de la RDC.
A partir de 2002, le comportement des FDLR dans l'Est de la
RDC vis-à-vis du développement ou de la participation aux
entreprises économiques a changé considérablement pour les
raisons suivantes:
L'armée rwandaise s'est retirée de la RDC en
octobre 2002. En son absence, les FDLR sont devenues la force la plus puissante
dans l'Est de la RDC et pouvaient donc se permettre de mener d'autres
activités;
C'est autour de cette période que les appuis
extérieurs du mouvement ont tari ; les FDLR furent donc obligés
d'adopter de nouvelles stratégies de survie. La stratégie la plus
évidente dans ces circonstances étant de devenir autonomes; et
Vers la fin 2002 et au début de 2003, un groupe
important de combattants des FDLR est venu de l'Ouest de la RDC (ils ont
ensuite fui le site de rapatriement de la MONUC à Kamina). Les
commandants des FDLR venus de I`Ouest étaient habitués à
exploiter les mimerais et à créer des entreprises.
Dans le but d'assurer leur autonomie, les FDLR ont
développé un système de « logistique non
conventionnelle» (LNC). Chaque unité du FOCA affecte environ 20 %
de ses hommes à cette unité et l'obligation pour chaque
unité d'assurer sa propre défense est devenue une consigne
générale et permanente. La direction a également
émis des directives concernant la manière dont la production de
la LNC
doit être répartie: 20 % pour «
améliorer les conditions de vie » des membres de la compagnie, 50 %
pour les armes et munitions, 15 % au bataillon pour leur contribution, et 15 %
pour le fonctionnement du mouvement. Le caractère militaire de la LNC
permet à la logistique des FDLR de contrôler une grande partie du
commerce de minerais dans l'Est de la RDC, ainsi que tous les autres secteurs
économiques du territoire sous leur contrôle ou influence. Comme
expliqué plus haut, partout où les FDLR sont présentes,
elles cherchent à exercer une domination sur tous les aspects de la
vie.22
Un certain nombre de commandants des FDLR travaillent
aujourd'hui avant tout pour s'enrichir. Tout d'abord, ils créent leurs
propres entreprises, parfois grâce à des prêts des FDLR ou
à la trésorerie de leurs unités. Deuxièmement, ils
détournent souvent les fonds mis à la disposition de leurs
unités de LNC à des fins personnelles. En troisième lieu,
ils utilisent leurs pouvoirs exorbitants sur les réfugiés et les
communautés congolaises en levant un impôt sur toute
activité économique exercée sur le territoire qu'ils
contrôlent. Les commandants des régions riches en minerais sont
les plus chanceux, mais les dirigeants des FDLR sont en mesure de
générer des fonds où qu'ils se trouvent. Leurs
activités économiques sont:
Exploitation de minerais:
Dans la plupart des cas, les FDLR ne gèrent pas
directement les gisements miniers; ils en laissent le soin à des
privés. A Masisi, Wallensee et Zircon (Bunyakiri), quelques exceptions
ont été signalées, comme dans les zones où les FDLR
possèdent leurs propres équipes d'exploitation. D'ordinaire, les
FDLR gagnent de l'argent à partir de l'exploitation minière par
l'imposition de lourdes taxes aux propriétaires et aux gérants
des mines. Il est difficile d'évaluer quelle étape de
l'exploitation minière (et du commerce) est contrôlée par
les FDLR, puisqu'il n'y a aucune évaluation exacte de la production
actuelle en dehors des principaux centres miniers. Toutefois, elle semble
concerner au moins quelques centaines de kilogrammes d'or (En guise de
comparaison, le Sud Kivu exporte chaque moins environ 600
22 22 Hans ROMKEMA, Op.Cit, pp. 47-48
kg d'or (dont moins de 50 kg officiellement). Nous pensons que
les FDLR au Sud Kivu contrôlent environ le quart de la production d'or et
plus en ce qui concerne la production du coltan, de cassitérite et de
diamant. Dans le Nord Kivu, la situation est similaire), de tonnes de
cassitérite (minerai du fer-blanc) et du coltan (minerai du
colombo-tantalum), et des quantités indéterminées de
diamant, de mercure, de pierres semi-précieuses, etc. par mois.
Commerce des minéraux:
Les FDLR sont très impliquées dans le commerce
des minéraux dans les régions sous leur contrôle. Dans les
territoires tels que Fizi et Walikale, ils auraient monopolisé tout le
commerce en dehors des principaux centres de population (qui sont pour la
plupart contrôlés par le gouvernement de la RDC). Même en
présence de l'administration, les FDLR ne restent pas en marge de ce
commerce. Comme les FDLR contrôlent une grande partie de l'hinterland des
provinces de Kivu, ils peuvent transporter les minerais d'une zone à une
autre. Grâce à l'accès aux pays voisins tels que la
Tanzanie, la Zambie, l'Ouganda et le Burundi, ils font aussi souvent de la
contrebande de minéraux. Les FDLR contrôlent plus de 50 % du
commerce de minéraux au Kivu. Leur implication est cependant
limitée dans l'exportation de minéraux ainsi que dans le commerce
au niveau des principaux centres miniers et des villes d'où les
minéraux sont exportés.
Impôts:
Partout où les FDLR exercent leur contrôle, ils
prélèvent des taxes illégales sur les marchés, les
commerçants, les industries, les exploitants miniers, etc. Ils ne
partagent avec personne les revenus, sauf pour s'acheter occasionnellement la
complaisance de l'autorité locale de la RDC ou des chefs locaux.
Théoriquement, les taxes sont destinées aux mouvements. En
réalité, l'argent finit souvent dans les poches des commandants.
Les impôts sont prélevés sur les marchés,
individuellement sur les populations vivant dans les zones
contrôlées par les FDLR, et sur les voyageurs
(généralement au niveau des barrages routiers). Le système
et les niveaux d'imposition sont en rapport avec ceux appliqués
par les autorités de la RDC dans les autres zones, quoique
moins compliqué car les FDLR ont moins de services.
Elevage:
Dans les zones rurales relativement sécurisées,
les FDLR et les réfugiés élèvent du bétail,
des chèvres, des porcs et des poulets. De plus, partout où ils
sont présents, les FDLR contrôlent le commerce de bétail.
Il s'agit, par exemple, du Sud Kivu où ils contrôlent les
principales routes commerciales de bétail de Minembwe à Mwenga,
Fizi et Walungu, ainsi que de l'essentiel du commerce dans les Plaines du
Ruzizi et sur les hauts plateaux du Kalehe. Les réfugiés
contrôlent également les boucheries de la région de Nindja
(Walungu).
Agriculture:
En particulier dans les zones forestières, où
les congolais vivaient traditionnellement de chasse et de cueillette, les
Rwandais sont devenus les principaux producteurs de grandes
variétés de cultures (pomme de terre, patate douce, manioc,
haricot, légumes, etc.). Beaucoup de Congolais ont
bénéficié de cette production car elle a contribué
à la baisse des prix des aliments dans certaines zones.
Marijuana:
Au moins dans le territoire d'Uvira (dans le Moyen Plateau
entre les Plaines et le Haut Plateau dans les environs de Lemera et Mulenge),
les FDLR cultivent de la marijuana. Les quantités sont inconnues, mais
néanmoins importantes. En complicité avec les commerçants
locaux, la majorité de la marijuana est vendue en contrebande au
Burundi. La marijuana est une drogue extraite de la tige, des feuilles et des
sommités fleuries séchées du chanvre indien.
Commerce:
delà des zones de leur contrôle. Les
représentants des FDLR fréquentent presque tous les
marchés, y compris ceux de Goma, Bukavu, Butembo et Uvira, où ils
achètent et vendent tout ce qui rapporte de l'argent.
Contrôle de la traversée des cours
d'eau:
Les FDLR contrôlent plusieurs points de passage sur les
cours d'eau autorisant ses membres à exiger quelques centaines de francs
pour le passage sur les ponts (en lianes) ou pour la traversée des
rivières en pirogue.
Contrebande:
Les FDLR sont impliqués dans la contrebande d'une
quantité importante de minéraux et produits divers. Nous avons
trouvé plusieurs indices qui prouvent que les Rwandais font passer des
produits en contrebande au moins en Tanzanie, au Burundi et en Ouganda.
Vraisemblablement, ils voyagent avec des cartes d'identité congolaises
(faciles à obtenir et à falsifier) (Au Congo, la plupart des
commerçants sont des « marchands de produits divers ». «
Divers » dans ce cas signifie « toutes sortes d'articles »
(friperies, piles, sel, chaussures, cigarettes, savon, etc.), mais pas
d'articles spécifiques comme le bétail et les
minéraux).
Pillage:
En plus des activités citées ci-dessus, les FDLR
continuent le pillage. Dans plusieurs parties du Kivu, la population locale a
affirmé ceci: « nous (les Congolais) cultivons et les Rwandais
récoltent ». En dehors du pillage des récoltes et, parfois
des équipements ménagers des paysans, les FDLR continuent aussi
le braquage de véhicules et l'enlèvement des commerçants
sur les grandes routes. En particulier, la route allant de Goma à
Butembo via Kanyabyonga est toujours considérée comme
relativement dangereuse à cet égard. Les unités du CRAP se
chargent des activités de pillage les plus importantes et les plus
risquées.
Prises d'otages et rançons:
En particulier, le commandant de bataillon, Major Mitima (un
pseudonyme), qui contrôle les zones de Nindja, Kahuzi Biega et l'Est de
Shabunda, est connu pour ses prises d'otages régulières. Il les
relâche après que leurs familles aient versé une
rançon qui varie d'une à plusieurs vaches à la somme de 50
dollars EU à 100 dollars EU par tête, selon l'importance de
l'otage et la fortune familiale.
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