Section II : L'impact des groupes armés
étrangers sur les provinces du Kivu (Nord et Sud-Kivu).
Les GA étrangers et les populations de
réfugiés associées opèrent et vivent dans un
environnement politique et sécuritaire qui leur est relativement
favorable. Après vingt à trente ans de mauvaise gouvernance et
une décennie de guerre civile, l'administration civile du gouvernement
de la RDC n'est pas très présente dans les deux provinces du Kivu
et la capacité d'intervention des FARDC demeure faible en dépits
des récents efforts déployés pour renforcer la
présence militaire grâce au brassage de certains
éléments et à la mise en oeuvre du programme DDR.
Les FDLR occupent entièrement 20 % du territoire des
deux provinces. Une portion plus grande de ce territoire, notamment en milieu
rural où la présence des FARDC et de l'administration civile est
à peine ressentie, est sous influence des FDLR. La base des FNL en RDC
couvre les plaines de Ruzizi dans la province du Sud-Kivu. Depuis le moment
où la MONUC a déployé une unité près du camp
fixe des FNL au début de 2006, ces dernières ont dispersé
leurs combattants au sein de la population locale. Les forces mixtes ADF/NALU
occupent le territoire situé sur les hauteurs du Ruwenzori en RDC et les
régions au sud du district de l'Ituri.
De tous les groupés, les FNL ont moins d'impact sur la
population civile de la province du Sud-Kivu. Les combattants de ce mouvement
sont généralement impliqués dans les activités
d'extraction minières et les affaires. Les FNL utilisent le territoire
de la RDC beaucoup plus comme base arrière et logistique en cas de
trêve et pour des replis tactiques lorsque leurs opérations au
Burundi sont sous la pression des Forces de Défense Nationale (FDN).
Seuls quelques cadres des FNL sont basés en permanence en RDC comme
officiers de liaison et de ravitaillement. On compte en moyenne, près de
200 ou 300 combattants des FNL en RDC jusqu'à fin 2006. Ils se
déplacent habituellement sans leurs familles et ne se livrent pas
systématiquement à des sévices sur les populations civiles
pour le moment, ce qui doit être perçu comme un changement positif
de comportement par rapport aux agissements antérieurs.
Quoique la situation ait été différente
par le passé, l'objectif primordial des forces mixtes ADF/NALU semble
viser l'exploitation des gisements miniers dans des régions à la
frontière entre la RDC et l'Ouganda. Les ADF/NALU s'adonnent à
ces activités à partenariat avec les hommes d'affaire locaux, des
politiciens et des membres des milices régulières de la
région de Beni/Butembo. La population locale fournie la couverture
militaire et politique aux ADF/NALU, en même temps que
l'équipement, les armes et les munitions. Les forces ADF/NALU organisent
l'exploitation des minerais dans des zones éloignées, notamment
dans des parcs nationaux et les réserves forestières qu'elles
vendent aux partenaires locaux. Les combattants non impliqués dans
l'exploitation de ces minerais vivent au sein des populations locales qu'ils
intègrent aisément du fait de leurs liens ethniques communs. En
dehors des zones d'exploitation minière, les ADF/NALU ne
harcèlent pas les populations locales souvent. Il faut cependant
souligner que ils sont entrain de s'affaiblir aussi depuis les
opérations mixtes congolo-ougandaises.
L'impact des FDLR est beaucoup plus marqué. Ces forces
contrôlent une grande partie des provinces du Kivu et disposent dans
à peu près 50% du territoire, de solides appuis et constituent la
principale force militaire et politique. Les FDLR prélèvent
systématiquement des taxes, exploitent les minerais, contrôlent le
commerce et dominent politiquement les populations locales. Elles ont commis et
continuent à commettre des abus en matière de droit des
populations civiles. Elles sapent l'autorité du gouvernement dans les
zones qu'elles contrôlent. 16
La population civile est aussi devenue la cible des
théâtres des FDLR depuis la fin des opérations
congolo-rwandaises « Umoja Wetu ». Et cette population se demande si
l`Etat congolais existe encore. Nous avons au cours de nos recherches pris un
extrait de l'appel au secours de la Société Civile du Nord-Kivu
:
« Mais à quel mode de vie sont donc soumis les
enfants qui grandissent sous la tutelle des ex-FAR et Interahamwe tout au fond
des forêts de l'Est congolais? Enrôlés dès leur plus
tendre enfance dans une organisation militaire qui fut le fer de lance du
génocide au Rwanda, élevés dans la mentalité
extrémiste et
16 André GUICHAOUA, Les crises politiques
au Burundi et au Rwanda, KARTHALA, 1995, p. 2003.
revancharde qui est la raison d'être de l'organisation
qui les encadre, les jeunes « cadets » de l'armée FDLR n'ont
rien appris d'autre que le crime comme moyen et raison de vivre, au
détriment des autochtones congolais qu'ils ont trouvés sur les
terres que leurs aînés contrôlent. Rien de surprenant
à cela. A quel autre traitement pouvaient au fait s'attendre ces
autochtones, de la part de jeunes gens éduqués sous la
férule de précepteurs génocidaires? A rien d'autre que le
sort qui fut le leur au cours de ces 15 années de souffrance
évidemment : meurtres, extorsions, vols, viols, travaux forcés,
humiliations, chantages en tous genres, dont l'interdiction de confier leur
peine aux visiteurs sous peine de mort.
Une journaliste belge de renom, Mme Colette Braeckmann, a pu
parler sans être démentie d'esclavage au sujet des populations
congolaises voisines des FDLR. Ceux qui blanchissent
inconsidérément les jeunes « cadets » de la milice
Interahamwe (rebaptisée FDLR du côté congolais de la
frontière), veulent-ils nous faire admettre que d'avoir raté le
génocide au Rwanda, leur accorderait-il une sorte de blanc-seing pour se
rattraper à coups de crimes contre l'humanité sur des citoyens
congolais?
En vérité, que l'impunité soit à
ce point garantie par les autorités et la société civile
d'un pays dévasté, à des auteurs d'exactions sur des
populations auxquelles ces mêmes autorités ont un devoir de
protection, cela semble sans précédent dans les annales de
l'histoire, que celle-ci soit récente ou même lointaine.
Or, il se fait que les crimes commis par les FDLR contre les
populations de la RDC sont copieusement documentés. Il suffit même
d'actionner le moteur de recherche « google » sur Internet avec les
mots "exactions fdlr", pour consulter plus de 10 000 pages de détails
sur le sujet. N'importe qui peut faire le compte : aussi bien pour le nombre de
victimes congolaises tuées, que pour la durée (15 ans) des
souffrances imposées à ces victimes par les FDLR, les crimes
reprochés à Laurent Nkunda et Bosco Ntaganda réunis,
viennent bien loin derrière.
Qui pense à rendre justice aux victimes congolaises des
FDLR dont les corps décomposés jonchent les forêts de
Walungu et Walikale ? Si leur propre gouvernement rechigne à faire la
moindre allusion aux malheurs qui les hantent (comme pour faire oublier les
alliances honteuses qu'il aura trop longtemps
entretenues avec leurs tortionnaires), faut-il alors croire
que les crimes dans les territoires abandonnés à la
prédation des FDLR n'auront pas été commis contre
l'humanité ?
Parmi tous ces parangons de la vertu humanitaire comme Human
Rights Watch et tant d'autres, qui évoque le souvenir de ces pauvres
hères dont le sort semble totalement inaccessible à la
sollicitude des détenteurs autoproclamés de la morale en Occident
? L'humanité de ces victimes serait-elle discutable ?
Et dans la foule de ces « patriotes » à
Kinshasa, qui aimeraient tant s'offrir la danse du scalp autour du cadavre de
Nkunda, quelqu'un se souvient-il des compatriotes victimes des FDLR en terre
congolaise ? La réponse est négative. Faut-il dès lors en
déduire que pour tout ce beau monde, la gravité d'un crime se
mesure à l'identité ethnique de son auteur ? Bizarrement, la
réponse est cette fois positive ! D'ailleurs, comme on peut le voir en
parcourant la toile Internet, les adeptes des absurdités
idéologiques héritées du « hutu power » ont
essaimé sur des sites congolais, avec leurs histoires de « bantous
», de « non-bantous » ou d'empire himatutsi, le tout baignant
dans un discours fulminant de haine et de rejet. Une contamination qui, on
l'espère, pourra disparaître du Congo en même temps que ses
propagateurs FDLR, à la faveur de l'opération « Umoja Wetu
».( Umoja Wetu (notre unité) : nom de l'opération conjointe
des armées rwando-congolaises contre les FDLR.)
Dernier paradoxe enfin. Vital Kamerhe, président de
l'Assemblée nationale congolaise et membre éminent du parti
présidentiel, dribble et tire contre son camp en menant la danse chez
les opposants à cette opération qu'il qualifie d'affaire
«grave», sous prétexte que les décideurs qui comptent
chez lui ont omis de l'en avertir au préalable. Un comportement
politique qui justifie après coup le bienfondé de l'embargo dont
il se dit victime, puisque ce comportement dévoile le peu de confiance
qu'il mérite.
Rappelons que dans une interview au magazine Jeune Afrique
(Jeune Afrique n° 2500 du 7 décembre 2006), Kamerhe a reconnu sans
réserve le contrôle physique que les FDLR exercent sur les mines
du Kivu, province dont il est originaire. A l'entendre cependant, une crainte
le taraude. Et elle tiendrait dans la
perspective hypothétique de voir l'armée
régulière rwandaise «piller les ressources
minières» dont son pays «regorge», pour reprendre cette
expression popularisée par les journalistes de la presse internationale.
Une expression fleurant gourmandise et concupiscence, tout en suggérant
le clapotis de l'eau qui leur vient à la bouche. Ah! Ces richesses dont
le Congo «regorge» !
Mais pour finir, à laquelle des armées
rwandaises Monsieur Kamerhe fait-il allusion à propos de
«pillage» ? A celle qui contrôle physiquement les mines du Kivu
ou à celle qui vient mettre fin au dit contrôle? ».
34 IIème PARTIE : LA RESPONSABILITE DE L'ETAT
CONGOLAIS FACE A LA PROBLEMATIQUE DES FDLR.
La Responsabilité de l'Etat est une obligation de
l'Etat de réparer tout dommage causé par l'administration dans
l'exercice de ses prérogatives. Le terme « Etat » est ici pris
dans son sens le plus large et comprend aussi ses démembrements
(collectivités locales et établissements publics). La
responsabilité de l'État est couramment appelée
responsabilité administrative ou responsabilité de la puissance
publique.
La reconnaissance d'un régime de responsabilité
de l'État est relativement récente. Pendant une grande partie du
XIXe siècle, on a considéré que l'administration ne
pouvait pas être tenue pour responsable des dommages causés par
ses agents, ou survenus dans l'exercice de l'une quelconque de ses fonctions
(législative, administrative et juridictionnelle). Cette
considération était fondée sur l'idée que « le
propre de la souveraineté est de s'imposer à tous, sans qu'on
puisse réclamer d'elle aucune compensation » (Julien
Laferrière). Seules des lois spéciales pouvaient imposer à
l'État de réparer le dommage causé par ses agissements.
Certaines ont été adoptées dès le début du
XIXe siècle. Ce n'est qu'en 1873 qu'un principe général de
responsabilité de l'État a été consacré par
la jurisprudence. Depuis lors, le Conseil d'État s'est efforcé de
poser les règles applicables, en dehors de tout texte de portée
générale, à la responsabilité de l'État.
Celles-ci sont autonomes par rapport aux règles de la
responsabilité civile. Cette différence a été
affirmée par le tribunal des conflits dès 1873. Les termes de
l'arrêt sont dépourvus d'ambiguïté : « la
responsabilité qui peut incomber à l'État pour les
dommages causés aux particuliers par le fait des personnes qu'il emploie
dans le service public ne peut être régie par les principes qui
sont établis dans le Code civil, pour les rapports de particulier
à particulier [...] elle a ses règles spéciales qui
varient suivant les besoins du service et la nécessité de
concilier les droits de l'État avec les droits privés ». La
juridiction administrative est, en principe, seule compétente pour se
prononcer sur la responsabilité de la puissance publique.
Afin d'examiner les principes qui gouvernent ce régime
particulier de responsabilité, il faut, en premier lieu, s'attacher
à décrire le régime général de la
responsabilité administrative avant d'exposer les régimes
particuliers de responsabilités résultant de textes
législatifs.
Aujourd'hui, l'Etat peut être tenu directement
responsable des dommages causés par ses agents dans l'exercice de leurs
fonctions. Cela constitue une garantie pour les victimes qui, ainsi, peuvent
demander réparation directement auprès de l'État, par
nature solvable. Une situation de faveur a ainsi été
créée à l'égard des agents de l'Etat, qui sont
presque toujours couverts par la responsabilité de l'autorité
publique qui les emplois.
La responsabilité, pour pouvoir être
engagée, doit obéir à plusieurs conditions. Il faut que le
dommage soit causé par un fait imputable à l'administration. Ce
fait, appelé fait générateur de la responsabilité,
est susceptible de plusieurs degrés. Parfois, il suffit d'un fait
quelconque (responsabilité sans faute) : c'est le cas lorsque
l'activité de l'Etat fait courir des risques exceptionnels né
d'une activité dangereuse. Il a, par exemple, été
jugé que la seule explosion d'un stock de munitions ouvrait droit
à réparation, au profit du voisinage qui avait eu à
déplorer un préjudice, sans qu'il y ait nécessairement
faute de l'Etat.
Dans d'autres hypothèses, un comportement fautif doit
être établi afin de mettre en oeuvre la responsabilité de
l'État. La faute peut à son tour comporter plusieurs
degrés : tantôt elle est présumée, tantôt il
faut en prouver l'existence et la qualifier (faute simple ou lourde).
Divers éléments sont pris en compte afin de
qualifier la faute. Les circonstances de temps et de lieu jouent un rôle
important, notamment dans les cas d'accomplissement de missions difficiles
(comme, par exemple, une opération de police sur le terrain). Des
considérations tenant à la volonté de protéger les
administrés expliquent par ailleurs cette hiérarchie de fautes :
c'est le cas, par exemple, en matière de responsabilité
médicale où l'exigence d'une faute lourde a été
abandonnée pour n'exiger qu'une faute simple et pour se satisfaire
parfois d'un fait quelconque, et donc retenir des cas de responsabilité
sans faute.
Au côté de la gravité de la faute, la
nature de celle-ci est essentielle afin d'apprécier si la
responsabilité de l'État peut être mise en jeu. Pour que
l'État soit responsable du fait de l'un de ses agents, il est
nécessaire que la faute ait un lien avec l'exercice de l'activité
administrative. C'est la distinction classique existant entre la faute de
service et la faute personnelle. En cas de faute de service, l'État est
seul responsable ; la responsabilité de l'agent ne saurait être
recherchée. En cas de faute personnelle, la responsabilité de
l'agent peut être engagée, mais elle n'est pas exclusive de la
responsabilité de l'État, si bien que la victime peut choisir la
personne contre laquelle elle va engager des poursuites, hormis le cas
où la faute personnelle est dépourvue de tout lien avec le
service.
Toute la difficulté réside dans
l'appréciation des éléments qui permettent de distinguer
la faute personnelle de celle qui est imputable au service. La faute de service
est la faute qui ne peut pas être détachée de la fonction
accomplie par l'agent. C'est le manquement à une obligation du service,
comme le refus illégal d'un permis de construire, ou la
délivrance de renseignements erronés.
Au contraire, la faute personnelle est celle qui aurait pu
être commise même en dehors des fonctions : on dit, en ce cas,
qu'elle est « détachable ». C'est, par exemple, le cas d'un
chauffeur qui utilise le véhicule qui lui est confié par
l'administration pour rendre visite à des amis et qui provoque un
accident. Dans les cas où l'État est condamné à
indemniser le dommage causé par la faute personnelle de l'un de ses
agents, une action récursoire en remboursement contre ce dernier est
ouverte. En pratique, l'État n'y a que rarement recours.
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