I.3) REVUE CRITIQUE DE LA LITTERATURE
«Le jeune ethnographe qui part sur le terrain doit savoir
ce qu'il sait
déjà, afin d'amener
à la surface ce qu'on ne sait pas encore » (MAUSS, 1971).
Cette consigne exige qu'on fasse préalablement le point des
publications sur le thème de recherche afin de révéler au
cours de l'étude les aspects non ou moins exploités.
Partant, la documentation passée en revue
révèle que la littérature aujourd'hui disponible sur la
décentralisation est suffisamment substantielle et dégage
l'intérêt que porte aussi bien la société civile que
les gouvernements et les bailleurs de fonds pour ce nouvel outil de
développement.
Toutefois pour le besoin de l'étude, nous jugeons utile
les ouvrages qui traitent des raisons, des missions, du bilan et des conditions
de succès de la décentralisation.
I.3-1) RAISONS DE LA DECENTRALISATION
Bien qu'elles soient variées, relatives et complexes,
les causes à l'origine de l'adoption de la décentralisation sont
étroitement liées à la mauvaise gestion des affaires
publiques.
SYLL (op.cit), à cet effet révèle entre
autres que la faillite de l'Etat de providence, la pression des élites
locales conscientes des limites de l'Etat et porteuses d'identités
fortes, le besoin de l'Etat de neutraliser les velléités de
régionalisme ou de séparatisme, les arguments des bailleurs de
fonds qui prônent « moins d'état, mieux
d'état » sont autant de raisons qui ont poussé des
Etats d'Afrique Subsaharienne à lancer des reformes
décentralisatrices ces dernières décennies. Dans la
même veine, il indique que c'est la propagation du pluralisme
politique ; l'expansion du libéralisme à l'échelle
internationale, la montée de la société civile comme
acteur du local et du global dans le cadre de la lutte contre la
pauvreté qui ont favorisé la décentralisation. Pour la
présente étude et par rapport aux réalités de nos
Etats, nous retiendrons deux types de raisons :
I.3-1-A) RAISONS INTERNES OU SUBJECTIVES
A.1) Fin de l'Etat providence et l'échec du
centralisme
Après les indépendances des Etats africains des
années 1960, la centralisation du pouvoir était nécessaire
pour la consolidation de l'unité nationale. Pour justifier cette
centralisation, CONTAMIN et FAURE (1991), indiquent qu' «au début
des années 1960, l'intervention de l'Etat dans les pays en voie
développement apparaissait comme une évidente
nécessité face à l'urgence des situations de sous
développement. » Cependant, face aux ralentissements de la
croissance économique et à la montée des
déséquilibres financiers d'une part, d'autre part au regard de
l'émergence des tâches administratives et l'accroissement des
besoins sociaux (soins de santé, éducation, formation,
communication...), la centralisation va alors montrer ses limites. C'est ce
constat sans doute observée par NYAMBAL (1994) qui l'emmène
à proposer une reforme d'ensemble, une restructuration globale en vue de
restaurer l'Etat.
S'inscrivant dans la même perspective, PEYREFITTE
(op.cit.) révèle que « le constat est
inquiétant : le processus de centralisation a dépassé
les limites du supportable (...) la complexité des procédures
s'est accrue. Les délais et les retards se sont
allongés ». L'on observe ainsi de ce qui précède
une carence généralisée, un manque d'efficacité,
par conséquent un faible rendement de l'administration
centralisée. Pour notre auteur, la décentralisation s'impose plus
que jamais comme une solution alternative à la crise de
gouvernabilité.
Encore, en faisant une analyse critique du système
centralisé et décentralisé, SFEZ et al
(op.cit.) révèlent que d'après Tocqueville, la
concentration du pouvoir constitue un réel obstacle à
l'épanouissement, à l'expression des libertés et au
développement. La seule condition de la démocratie et du
développement véritable réside dans un système
décentralisé, qui est proche du peuple. Toujours selon
lui, « la centralisation (...) est pernicieuse »,
cause pour laquelle il revendique de vive voix l'instauration d'un nouvel
ordre, la décentralisation. La décentralisation telle que
prônée par Tocqueville est la seule condition de la
démocratie et du développement.
En réalité, l'Etat providence (premier
producteur, premier client, premier banquier, pourvoyeur de subventions,
collecteur d'impôt et le législateur économique) a
montré ses limites dans sa vision centraliste à promouvoir le
développement du territoire. Dès lors, une redéfinition de
la politique du pouvoir central, et par conséquent sa
décentralisation s'impose comme une nécessité absolue.
Désormais, l'exécutif ne gère plus la planification du
développement local. L'Etat se donnera une politique plus pragmatique
pour la gestion des affaires locales en associant le local. A cet effet,
KOUADIO (...) confirme que : « les insuffisances de
l'administration locale ont conduit l'Etat à débloquer le
processus de décentralisation visant à associer les populations
à l'administration locale ». De cette thèse, il ressort
que le pouvoir central était dans l'obligation de décentraliser
puisqu'il se trouvait dans l'incapacité d'assumer efficacement la
gestion des affaires du territoire.
Au total, retenons avec ZADI (1998), que l'excès
d'Etat, la bureaucratisation à outrance et le centralisme tiennent une
bonne part dans le sous développement de l'Afrique. Dès lors, la
nécessité de reformes s'impose pour impulser le
développement.
A.2) Mauvaise gouvernance
«Echec du développement en Afrique :
corruption, népotisme, détournement » lit- on dans le
célèbre ouvrage de ZADI (op.cit.). Selon notre auteur, nos pays
ont échoué sans exception dans le domaine vital du
développement de notre continent. Cette contre performance
remarquée en Afrique est due en partie aux effets de la mauvaise gestion
dans les services publiques, des financements de prestige, de la bureaucratie
et de l'enrichissement illicite de certains dirigeants.
Par ailleurs, la corruption est au fondement de la gestion et
du rendement calamiteux de l'administration. Elle est devenue une pratique
courante dans les services et dans la vie quotidienne des populations de telle
sorte le mérite n'est plus au rendez-vous dans les sélections.
Les conclusions d'un colloque organisé en Côte d'Ivoire en 1999
retiennent que : « la corruption est le
phénomène le plus préjudiciable au développement
durable et équitable » (Inspection Générale
d'Etat, 2001). C'est face à ces maux sociaux qu'il est apparu
impérieux de confier la promotion du développement local à
des entités locales pour une gestion rationnelle des ressources
allouées.
I.3-1-B) RAISONS EXTERNES OU OBJECTIVES
B.1) Détérioration des conditions
financières mondiales et ses multiples conséquences
La crise économique de 1980, due à
l'effondrement des prix du pétrole sur le marché mondial de 1973
et aux fluctuations du dollar tient une part importante dans toutes les
reformes intervenues dans la décennie. En effet les milieux politiques,
économiques et sociaux ont connu des bouleversements énormes.
Sur le plan politique, la plupart des observateurs auront
gardé de l'année 1980 le souvenir des reformes politiques qui ont
été parallèlement arrêtées et
appliquées notamment la décentralisation, qui s'est traduite
par la reconnaissance (élargie en 1985) de l'autonomie de plus d'une
centaine de collectivités locales (CONTAMIN et FAURE, op.cit). De ce
précède, il ressort que le déclin du règne des
partis uniques a favorisé l'éclosion du multipartisme et de la
démocratie dans l'espace politique.
Economiquement, Selon CAZES et DOMINGO (1991)
la situation s'est traduite par le recul des exportations du tiers monde et par
une rétraction des apports privés et des crédits à
l'exportation qui a entrainé une régression du volume global des
ressources dirigées vers le monde en développement. Du
coup, les pays du tiers monde se trouvent dans l'incapacité de
faire face à leurs dépenses de souveraineté, favorisant
ainsi l'ajustement structurel (NAKA, 1998).
Le champ social a été particulièrement
marqué par les répercussions de troubles économiques. Le
chômage et la pauvreté marquent la pensée collective. C'est
dans la recherche des voies et moyens pour juguler cette situation qu'est
apparue la décentralisation. A ce propos, KOFFI (2010) indique que
« ce sont les effets néfastes de la conjoncture
économique qui ont poussé les décideurs à relancer
le processus de décentralisation.»
Somme toute faite, retenons avec LAUZON et BOSSARD (op.cit.)
que la crise des finances publiques dont les origines remontent à
la crise du pétrole international et au fluctuation des cours des
matières premières sur le marché mondial, et la mise en
oeuvre des plans d'ajustement structurel dans les années 1980, ont mis
en évidence les limites de la capacité des Etats à assurer
seuls l'ensemble des fonctions de services à la population et
d'équipement du territoire. Ainsi, la priorité accordée
à la promotion de la démocratie dans les années 1990 a
ouvert de nouvelles perspectives et facilité l'avènement de la
décentralisation en Afrique de l'Ouest.
B.2) Exigence pour les bailleurs de fonds et des
partenaires au développement
Selon l'agence française pour le développement
(2008), « Les orientations retenues par le gouvernement
français pour l'aide publique au développement ont
particulièrement souligné l'importance de la gouvernance
publique, et, notamment le renforcement de la gouvernance locale. »
Cette gouvernance locale qui se traduit en terme réel par la
décentralisation, au regard de ce précède constitue une
conditionnalité pour bénéficier d'une subvention. Cette
nouvelle donne dans les relations partenariales Nord-Sud est due principalement
aux échecs constatés des investissements en Afrique par les
institutions de Bretton Woods et les institutions multilatérales (FMI,
Banque mondiale, BAD et l'UE) et autres partenaires au développement
(AFD).
En effet, les projets de développement avaient peu de
chance de réussite sous les régimes centralisés. Les fonds
octroyés étaient très souvent détournés
à d'autres fins ou profitent à une catégorie de personne
dans le sillage du pouvoir du fait de la mauvaise gouvernance. Alors que ces
financements devraient servir à promouvoir un développement
durable et équitable. Cette réalité courante dans
l'histoire des gouvernements du sud va susciter de la part des bailleurs de
fonds des mesures que devront dorénavant adoptés les pays pour
bénéficier de leurs aides au développement. A ce propos,
SYLL (op.cit.) révèle que « les bailleurs de fonds
conditionnent leurs aides à la décentralisation, comme une
réponse à la nécessité d'une refondation de l'Etat,
d'asseoir la démocratie sur les soubassements concrets et d'accroitre la
participation des citoyens aux processus de développement et
décision.» Il ressort clairement que la décentralisation se
situe dans les exigences de bonne gouvernance prônées par les
institutions de Bretton Woods.
Au total, nous retenons avec ZADI (2007), que « les
partenaires au développement qui accompagnent la Côte d'Ivoire et
d'autres pays africains dans leurs efforts pour éradiquer la
pauvreté mettent en avant ce problème de gouvernance
locale ». Le poids des partenaires au regard de ce qui
précède fut déterminant dans l'avènement et la
pratique de la décentralisation dans les pays en voie de
développement.
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