1.2. La dominance de la communauté
internationale
J.-Y. Martin rappelle que la faiblesse des résultats
obtenus par la politique d'Education Pour Tous dans les pays
sous-scolarisés démontre l'incapacité des Etats et de la
Communauté internationale à faire évoluer les
systèmes éducatifs et trouve son origine dans le fait qu'il n'y a
pas de questionnement autour de la pertinence (2006).
La définition des politiques
d'éducation par la communauté internationale
Aujourd'hui encore, les politiques éducatives sont
définies de l'extérieur et s'inscrivent dans ce « nouvel
ordre éducatif international>> (Laval. et, Weber, 2002 ;
cité par Martin, 2006 : 152) impulsé par les puissances
économiques et politiques occidentales : l'OMC, la Banque mondiale,
l'Union européenne et l'OCDE. Ces organisations disposent à la
fois de capacités de financement, d'expertise et d'un modèle
d'éducation qu'il est facile d'exporter au travers d'une
régulation (Martin, 2006 : 152). L'environnement international est tel
que l'on assiste à un processus d'affaiblissement des Etats dans les
pays pauvres. Or, « l'autonomie des politiques éducatives est une
condition primordiale d'une plus grande efficacité des politiques
éducatives >>, à la fois dans la définition et dans
leur mise en oeuvre (Martin, 2006 : 150- 151).
Le pilotage des systèmes éducatifs par
les indicateurs
La régulation des systèmes éducatifs par
des instruments et des dispositifs de contrôle et d'accompagnement
définis à l'échelle internationale font que ce sont les
moyennes des résultats qui deviennent les normes sans plus amener de
débat au niveau politique. « Ce sont les outils
élaborés qui rendent évident la direction dans laquelle
aller >> (Charlier, 2010-2011). La comparaison des rapports EPT 2010 et
2011 de l'Unesco atteste des efforts réalisés dans cette
direction.
Par ailleurs, le pilotage du programme Education pour Tous en
Afrique par le Pôle de Dakar est réalisé à partir de
la méthode RESEN. Cette méthode a été
définie par la Banque mondiale en 2000. Une première lecture de
cette méthode nous renseigne sur le caractère complexe et
détaillé de la démarche nécessitant des
connaissances élevées en économétrie. La question
posée est simple: est-il vraiment utile de rédiger des
analyses
aussi fouillées ? Pourquoi consacrer davantage encore
de moyens au pilotage comme le mentionne la Task Force on the MDGs
(UNDG, 2010) ?
Le pilotage par les indicateurs peut engendrer des contre
effets sur le terrain. En ce qui concerne les taux de scolarisation, le
Sénégal en introduisant en 2002 l'enseignement religieux dans les
écoles publiques et en reconnaissant les daara dans les
systèmes d'éducation, à l'instar de ce qui se faisait
déjà au Mali et au Niger, poursuivait entre autres comme objectif
d'augmenter significativement ses taux de scolarité et ainsi de
rencontrer l'objectif d'éducation primaire universelle pour 2015
(Charlier, 2002, 2004b).
En ce qui concerne la qualité, celle-ci est
plutôt orientée vers l'amélioration de la gestion des
systèmes et des flux d'élèves en se référant
à plusieurs indications qui s'inscrivent dans une perspective de
rationalisation des coûts et qui ont trait à la question du
recrutement et de la rémunération des enseignants, du mode de
groupement des élèves par classe, entre 40 et 50
élèves, des bâtiments scolaires, des manuels (surtout la
lecture et la grammaire), des cantines scolaires et de l'inspection. Ainsi, la
qualité des systèmes ne s'inscrit pas dans la perspective d'une
recherche « d'une plus grande proximité de l'école avec les
environnements culturels et sociaux qu'elle aborde » (Martin, 2006 :
153).
Cette réflexion rejoint celle formulée par N.
Henaff à propos des repères qui sont le reflet de l'approche par
les rendements de la Banque mondiale :
« Les recommandations de la Banque mondiale et du
Fonds Monétaire International à propos du primaire ont
été exprimées sous forme de repères dans le cadre
de l'Initiative Fast track (FfI), lancée en 2001 pour permettre aux
pays, qui sont « sur la bonne trajectoire » pour atteindre l'objectif
de généralisation d'un cycle d'éducation primaire de
qualité, de ne pas se voir arrêter dans cette voie par des
obstacles d'ordre financier. Ces repères sont basés sur les
paramètres observés dans les pays qui ont réussi (World
Bank et IMF, 2002 : 2)... Sur neuf repères, sept concernent les
coûts (qu'il faut réduire) et les dépenses (qu'il faut
augmenter); l'accroissement des taux d'inscription dans le privé
correspond à la recherche d'une meilleure efficacité de la
dépense. Les deux autres repères concernent la qualité de
l'enseignement: le ratio élèves/enseignants et le taux de
redoublement » (2006 : 84-85).
Education primaire universelle versus
éducation supérieure
Par ailleurs, en matière de politiques éducatives
pour l'Afrique subsaharienne, l'injonction de la Banque mondiale est double
voire triple. Poursuivre les
investissements liés à l'éducation
primaire universelle, qui est un passage obligé, et déployer les
investissements dans l'enseignement supérieur, pour intégrer la
société de la connaissance mondialisée et
l'économie mondiale, sans oublier l'enseignement secondaire :
« Tout en maintenant la priorité sur
l'éducation pour tous, les pays doivent adopter une approche globale, en
prêtant un surcroît d'attention à l'éducation
post-primaire. Un élément qui empêche en particulier la
plupart des pays d'Afrique subsaharienne de pouvoir pleinement renforcer leurs
propres capacités internes, être à la fois
bénéficiaires et parties prenantes dans le développement
d'informations et de savoirs nouveaux, et s'intégrer comme il faut
à l'économie mondiale est en effet le faible niveau de
qualité et d'adéquation de leurs programmes d'enseignement
supérieur et de recherche.»33.
En 2008, elle publiait un dossier sur le choix de
l'enseignement secondaire en Afrique subsaharienne en exposant, sur base de
plusieurs études empiriques, les effets positifs sur la croissance, la
santé maternelle et infantile, la fertilité. (2008 : 86, 90).
La Banque mondiale publiait en 2010 un dossier sur le
financement de l'éducation supérieure en Afrique (2010). Les
priorités accordées à l'enseignement supérieur
semblent répondre aux défis de la mondialisation en
réponse à des pénuries de main d'oeuvre au Nord (Charlier,
2010-2011). Pour ces mêmes raisons en Europe, un « dispositif de
l'enseignement supérieur » sous l'appellation Processus de Bologne
a été progressivement mis en place durant les années 2000.
Les pays du Sud n'ont d'autres alternatives que de suivre (Charlier et
Croché, 2009 : 8).
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