L'éducation primaire comme levier de développement. Analyse critique à partir de l'Objectif OMD 2: « Assurer l'éducation primaire pour tous »( Télécharger le fichier original )par Corinne STEPHENNE Université catholique de Louvain - Master 120 en sciences de la population et du développement, 2011 |
2.3. Analyse de l'efficacitéD'un point de vue quantitatif, les résultats sont-ils, à ce point, faibles ? En termes d'accès à la scolarisation, force est de constater que c'est dans les pays les plus pauvres et les régions accusant le plus grand retard que les progressions les plus importantes ont été réalisées, soit en Asie du Sud et de l'Ouest et en Afrique subsaharienne. Pour l'Afrique subsaharienne, si le rapport EPT 2011 attire l'attention sur les inégalités de progrès vers l'enseignement universel et pose la question de son accessibilité d'ici à 2015 sans moyens complémentaires, nous constatons aussi que ces progrès inégaux permettent : - de compenser la disparité initiale de niveau entre les pays pour tendre vers une meilleure convergence à la hausse ; - de faire progresser les taux net de scolarisation plus fortement que les taux bruts de scolarisation ; - de faire progresser le taux d'alphabétisation des adultes et d'élever plus encore celui des jeunes ; - de hisser le profil de scolarisation de l'Afrique subsaharienne au niveau de l'Afrique avec une amélioration plus forte de 15 points pour l'accès en dernière année que pour l'accès en première année qui a progressé de 11 points. Ainsi, comme le mentionnait déjà en 2005 E. Duret, « des progrès remarquables dans l'accès à l'école » ont été enregistrés (2005 : 59). Quant à l'évolution dans le cycle, nous constatons que le rapport OMD 2010 ne parle que du taux net de scolarisation et que le rapport EPT 2011 semble présenter les taux bruts et les retards comme des situations problèmes. Mais, s'il est possible d'évoquer ces problèmes au sein de la Fédération Wallonie-Bruxelles de Belgique comme des dysfonctionnements, il nous semble que c'est moins le cas lorsqu'il s'agit de déployer des systèmes d'éducation au sein de pays en développement et confrontés à des situations de grande pauvreté. Pour l'Afrique subsaharienne et dans un contexte de croissance démographique élevé avec un ISF de 4,27 en 201018, la progression quantitative enregistrée en 10 ans est, de notre point de vue, remarquable même si des problèmes persistent. A cet effet, nous citons le taux de survie en dernière année qui était encore de 70% en 2007, les taux d'accès et d'abandon, particulièrement dans les régions où l'instabilité politique et les conflits sont présents comme le mentionne le rapport EPT 2011. En termes d'efficacité, où se situe le vrai problème ? Comme relevé par les organisations internationales et mis en évidence dans plusieurs études empiriques, une des difficultés majeures liées au déploiement des systèmes d'éducation en Afrique subsaharienne est d'ordre qualitatif et concerne la faiblesse des acquis d'apprentissage à l'issue de la scolarisation. Plusieurs organismes et plusieurs études ont mis en avant ce problème. Nous pouvons citer les articles de Ph. Hugon (2005a) et E. Duret (2005). E. Duret met en exergue l'écart entre les pays africains et les autres régions du monde, les différences de niveau entre les pays d'Afrique et aussi, au sein même des pays. Les conditions d'apprentissage sont à l'origine de ces problèmes ainsi que l'absentéisme des professeurs et les pratiques pédagogiques. Quant à Ph. Hugon, il s'exprimait ainsi : « Dans la plupart des pays les moins avancés le système éducatif remplit toutefois mal ses fonctions : produire des savoirs, développer des intelligences, former des compétences, donner au niveau élémentaire les capacités de lire, d'écrire et de compter dans une langue écrite. La faiblesse du matériel didactique, des classes surchargées, des maîtres mal formés, peu encadrés et peu incités expliquent largement ces difficultés. L'école est devenue parfois plus un lieu de gardiennage social oil sont véhiculés des savoirs mémorisés plus que d'acquisition de savoirs (Hugon, 2005 : 23). 18 La Libre Belgique, Population mondiale : le régulation ou l'explosion, 1er mars 2011, p.2 En référence aux définitions du concept d'équité19 présentées par O. Debande et V. Vandenberghe (2008), nous pourrions également nous interroger sur les contre-effets engendrés par la priorité accordée à l'équité définie comme égalité d'accès en volume et comme égalité catégorielle entraînant une mise en retrait de l'équité définie comme égalité de résultats. Exprimé autrement, la trop forte pression exercée sur les Etats pour atteindre l'enseignement primaire universel engendre des dysfonctionnements et une organisation des systèmes éducatifs basée sur des résultats quantitatifs au détriment de résultats qualitatifs et de seuils minimaux à atteindre. Nous pourrions dire aussi que, par la force des choses, ce qui compte, c'est le nombre d'enfants inscrits dans la bonne classe, au bon niveau, respectant le cycle et moins l'atteinte d'un seuil minimal d'acquis d'apprentissage pour un plus grand nombre possible d'enfants. En référence à la théorie du capital humain, nous pourrions également nous poser la question essentielle de savoir si cette approche va réellement engendrer les rendements privés, sociaux et les externalités positives escomptées ? Malheureusement, le rapport OMD 2010 occulte ces dysfonctionnements et contreeffets. Quant au rapport EPT 2011, il les relève sans émettre de solutions hormis celles d'ordre financier. Il pointe surtout les difficultés liées à l'équité catégorielle qui est bien réelle. Au plus l'enfant est éloigné de la ville, au plus il vit dans une famille pauvre, au moins il a de chances d'aller à l'école et de terminer le cycle du primaire. S'il est de sexe féminin, ses chances diminuent encore. En lien avec la théorie du capital humain et les théories démographiques, cela représente effectivement un problème réel en termes de rendements et d'externalités positives. Mais assurer une égalité d'accès sans contenu n'a pas beaucoup de sens et contrecarre les effets attendus sur le développement. Quelles sont les solutions préconisées par les organisations internationales ? Si nous analysons les pistes de solutions proposées par les Nations Unies, il nous est possible aussi d'émettre quelques critiques. Comme mentionné plus haut, l'Assemblée générale des Nations Unies a réaffirmé la nécessité d'atteindre l'objectif en 19 Ces auteurs définissent l'équité à partir de quatre courants de pensée. Le premier courant, appelé Utilitarisme, s'intéresse à la somme des utilités atteints par les individus sans prise en compte d'inégalité interne. Le deuxième courant « définit l'équité comme égalité de résultats ». Le troisième courant définit l'équité comme « égalité d'accès à un certain nombre de biens jugés premiers ou fondamentaux ». Le quatrième courant définit l'équité comme « égalité catégorielle définie comme indépendance entre résultats et catégories ou traits hérités par la naissance » (Debande & Vandenberghe, 2008 : 84-85). 2015 lors de son sommet20 en septembre 2010 sur les Objectifs du Millénaire pour le développement. Elle s'est engagée, entre autres à l'issue de celui-ci, à progresser plus rapidement dans l'atteinte de l'Objectif 2 en s'appuyant sur dix recommandations sans toutefois dégager des moyens complémentaires. Une seule recommandation vise la qualité sans préciser de quelle qualité il s'agit. Une autre vise l'élimination des obstacles internes et externes aux systèmes éducatifs sans questionner l'adéquation au contexte local. En complément, le United Nations Development Programme publiait un rapport relatif à l'Agenda 2010-2015 dans lequel se trouvent les stratégies à mettre en place pour atteindre les 8 objectifs OMD. Nous pouvons déjà nous étonner de la réaffirmation du caractère atteignable des objectifs sans moyens complémentaires: «Based on a review of 50 country studies, this Assessment finds that the resources and know-how necessary to achieve the MDGs exist. Acceleration ofprogress over the next five years will need to focus on continuing proven strategies, policies and interventions and making a radical break with those that do not work» (UNDP, 2010 : iv). Pour l'objectif 2 des OMD, le recueil de bonnes pratiques publié par la Task Force on the MDGs du groupe des Nations Unies à destination des politiques et des professionnels de l'éducation (UNDG, 2010) reprend 88 bonnes pratiques en lien avec les principaux freins et contraintes détectés et à dépasser. Celles-ci sont reprises en synthèse dans le tableau ci-après. A la lecture de ce tableau, nous constatons avec étonnement que les bonnes pratiques sont fortement tournées vers le renforcement des capacités de pilotage. Tableau 2.8. : 88 bonnes pratiques pour atteindre l'EPU (Source : UNDG, 2010, MDG Good practices, p. 11) 20 ONU, Site consulté le 24 février 2011, http://www.un.org/fr/mdg/summit2010, La vision de l'Unesco est plus << réaliste >> en termes de résultats. L'Unesco affirme que l'objectif quantitatif ne sera probablement pas atteint sans ressources complémentaires et l'Unesco pointe les graves problèmes relatifs aux acquis réels d'apprentissage. Dans son rapport 2010, l'Unesco exprime clairement qu'il ne s'agit pas uniquement d'une question d'accès mais qu'il s'agit surtout d'une question de résultats : « L'objectif central de l'éducation est de faire en sorte que les enfants acquièrent les compétences qui détermineront leurs chances dans la vie ... Savoir si l'on parviendra ou non à réaliser l'éducation pour tous ne tient pas uniquement au fait que les pays auront assuré un plus grand nombre d'années de scolarité : la mesure du succès ou de l'échec est, en dernière analyse, ce que les enfants apprennent et la qualité de ce qu'ils vivent dans l'éducation... Le fait que des millions d'enfants quittent chaque année l'école primaire sans avoir acquis les compétences de base en matière d'alphabétisme et de calcul est passé plus inaperçu. Incapables de formuler ou de lire une phrase simple, ces enfants sont mal armés pour accéder à l'enseignement secondaire - sans parler des marchés de l'emploi » (Unesco, Rapport 2010 : p.114). |
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