V.2) Politiques éducatives et
conséquences sur le métier d'enseignant.
Pour LESSARD, changer les matières, (voire les
enseignants !) ne suffirait pas à faire admettre une loi. Comme l'avait
avancé Spillane, il faut des paliers intermédiaires pour que les
enseignants puissent mener à bien une transformation de leurs
pratiques.
La « dépossession du métier
», ainsi que « l'intensification du travail enseignant
» sont apparues évidentes dans les discours enseignants de
notre étude. Ils se voient de plus en plus comme de simples personnes
interchangeables ou facilement malléables que comme de vrais acteurs de
terrain. Cette dépossession a un effet désastreux, une rupture
entre le législateur et les acteurs de terrain étant de plus en
plus flagrante.
Nous avons effectué une revue des lois depuis plusieurs
années, avec comme objectif de souligner que les enseignants devaient
perpétuellement changer de façon de travailler. Lessard nous dit
: « Le récit des réformes, celui de leur mise en oeuvre
et de leurs résultats, est souvent celui d'espoirs déçus,
voire de désillusions profondes, à tel point qu'un sentiment de
scepticisme, voire de cynisme est fort répandu dans les milieux
institutionnels ayant subi des réformes ou des cascades de
réformes ».
Cette citation est révélatrice d'un malaise
enseignant, l'Etat ne propose pas, il impose, et ceci de tous temps. Des
équipes de « spécialistes » sont chargées
d'établir des programmes ou des recommandations, mais ceci bien loin du
terrain et des difficultés que peuvent éprouver les professeurs
dans leur quotidien.
Les enseignants interrogés dans cette étude sont
parfois désabusés parce que chaque année ce sont les
mêmes enfants qu'ils retrouvent en aide personnalisée. Dans
certains discours nous pouvons même entendre que « d'un jour
à l'autre tout est oublié ». Les professeurs sont donc
septiques quant aux bienfaits de ce dispositif. Un sentiment réel de
manque de temps en groupe classe vient renforcer cette idée.
L'obligation faite aux enseignants « d'étendre
leur champ d'activité » les rend hostiles quant à la perte
des 2 heures de travail hebdomadaire avec tous les élèves
réunis. Il y a de ce fait un décalage entre le « travail
d'interprétation de la politique » et les «
contraintes objectives ».
V.3) Articulation des données
Il apparaît dès lors intéressant
d'instaurer un système d'aide pour les élèves en
difficulté en plus des 26 heures de classe. Certaines communes le font
avec des animateurs, loin de dénigrer ceux-ci (certains ont des
diplômes universitaires), ces dispositifs ne sont pas aussi efficaces que
le travail qui pourrait être accompli avec un enseignant ayant quelques
élèves.
Les 26 heures de classe permettraient ainsi de boucler plus
facilement les programmes qui ont été surchargés en 2008,
en même temps que l'instauration du BO concernant l'aide
personnalisée, qui au lieu de donner plus de temps au groupe classe,
impose une perte de ces 2 heures...
Ce qui nous intéresse ici, pour répondre au
mieux à notre problématique serait de connaître les
modalités d'évaluation du système. Certains enseignants
l'ont bien dit, « cela ne sert à rien ». Pour
d'autres en revanche, l'aide personnalisée est efficace et les
résultats des élèves sont consignés dans des fiches
techniques. Pour tous, nous avons un point de vue commun concernant les
élèves pouvant progresser : « les élèves
en difficulté légère ». Les « cas
pathologiques » ou « les élèves étant
suivis par ailleurs » ne sont pas prioritaires ou ne peuvent
être aidés que par des enseignants spécialisés.
La dépossession du métier d'enseignant est
expliquée par Lessard de façon intéressante : «on
constate que les politiques, dans plusieurs secteurs institutionnels, si bien
pensées soientelles, « atterrissent » mal sur le terrain des
pratiques et qu'elles y perdent beaucoup de leur sens et par là de leurs
effets recherchés. » (2008, année de la création
du dispositif).
Nous mettrons en relation cette citation avec ce qui a
été dit auparavant, notamment le fait que « la base »,
c'est à dire les enseignants, ne sont pas consultés et «
subissent » des réformes qui sont, dans la plupart des cas,
vécues comme inadaptées. Certains enseignants, dans leurs
discours se sont clairement montrés hostiles envers la circulaire, et ce
depuis le début. Leurs collègues, un peu plus
expérimentés, après avoir observé les effets du
dispositif pour se faire une opinion, sont en règle
générale, plus partagés par le fait d'avoir perdu 2 heures
pour créer l'aide personnalisée.
Il est maintenant approprié de se pencher plus en
détail sur la problématique de ce mémoire : «
Est-ce que ce dispositif est bénéfique pour les
élèves ? ».
Si nous reprenons les différents points de
questionnement du mémoire, nous pouvons affirmer que :
Les moments de travail en aide, ne sont pas les mêmes
qu'en groupe classe, tous les enseignants ont insisté sur ce point. Des
supports plus ludiques, plus attractifs sont conçus par leurs
maîtres ou maîtresses, et ce, même si ces derniers sont
mécontents du dispositif. Les enseignants aménagent leur classe
de façon à créer de meilleures conditions de travail pour
leurs élèves.
Le manque de coordination entre les enseignants, par absence
de temps de concertation est préjudiciable. Par contre, ils ont tous
créé des supports originaux (jeux de carte, jeux de l'oie,
loto...) pour rendre ce moment ludique. Pour la plupart des enfants, il y a une
envie de participer qui se retrouve plus tard en groupe classe.
Les deux heures « perdues » sont une
aberration pour la plupart d'entre eux. Malgré tout, étant
fonctionnaires, les professeurs sont « obligés » de respecter
les consignes venues « d'en haut » (cela ressort dans tous les
entretiens).
Le fait de ne pas avoir été consulté est
dommageable, et ce, pour toutes les catégories de classe des enseignants
interrogés.
La pertinence du dispositif est à remettre en cause
étant donné que ce sont toujours les mêmes enfants qui sont
amenés à y participer. Les enseignants ont ensuite une marge de
manoeuvre pédagogique qui est propre au métier. On ne peut donc
pas dire que l'enseignant des CE1 ou CE2 (par exemple) n'est pas assez actif,
puisque certains élèves sont chaque année les mêmes
à être concernés par le dispositif, dixit les enseignants
de l'école.
Chaque enseignant garde ses élèves dans le
dispositif. Nous pourrions émettre une réserve dans le sens
où une méthode d'enseignement nouvelle pourrait être
efficace pour l'enfant. Cependant, pour éviter les conflits
socio-cognitifs, et pour être plus efficace quant à la
réponse aux difficultés de leurs élèves, chaque
professeur garde son public, de façon à voir une
amélioration possible dans le groupe classe. Ceci étant moins
vrai en maternelle, les échanges entre les maîtres sont plus
fréquents et apportent une vision différente à
l'enfant.
Les résultats attendus par le législateur ne sont
clairement pas atteints. Pour quelques professeurs, dans les deux
matières que sont le français et les mathématiques, il n'y
a qu'une
très faible part des élèves qui comprend les
notions reprises le soir avec le professeur.
Le point positif, évoqué également par le
ministère est de redonner confiance à l'enfant. Ici avec nos
enseignants-sujets, c'est un objectif non négligeable, voir le but le
plus important pour eux. Ils obtiennent des résultats convaincants et
visibles en groupe classe.
Aucune évaluation n'a été faite, les
professeurs se sentent un peu perdus (« Est ce que je fais ce qu'il
faudrait ? P.). « Je garde ces élèves en aide pour justifier
d'un maintien dans le niveau de classe ». (MH, V, MS.).
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