Chapitre 7 : CONCLUSION
Notre preoccupation de depart concernait la négociation
et la co-construction de lÕidentité organisationnelle par la
parole lors des interactions des acteurs, à lÕinterne et à
lÕexterne. Appliquée à Médecins Sans
Frontiéres, cette problématique nous a guide tout au long du
mémoire pour nous amener vers des pistes de réponses et de
discussions. LÕutilisation de lÕanalyse de conversation comme
methodologie sÕest avérée intéressante car elle
permet de sÕapprocher au plus près de la réalité
organisationnelle au niveau des pratiques et activités. Au niveau
théorique, le concept de ventriloquie sÕest avéré
utile pour repérer dans lÕinteraction toutes les figures qui
entrent en jeu pour définir lÕidentité de
lÕorganisation. En outre, nous nous sommes rendue compte que même
lors des situations moins dialogiques, comme quand le chef de mission parle
à un public, il y a un discours qui est lui-même dialogique et qui
met en scene des voix qui ajoutent au propos et tentent de le renforcer.
Ajoutons que la mobilisation du concept de
présentification nous a révélé que
lÕidentité était souvent présentifiée au
service de lÕaction, du faire, à travers une multitude
dÕimages invoquées explicitement ou implicitement, donc de
lÕordre de la performance. Nous avons trouvé que le di scours
organisationnel se retrouve dans les conversations quotidiennes des acteurs de
lÕorganisation oil lÕidentité est construite entre hier,
aujourdÕhui et demain. Son identité est construite sur une notion
de changement, de rupture (avec la Croix Rouge internationale, notamment) et
cela se ressent et se visualise dans son action quotidienne. Ainsi, de par son
histoire et sa raison d'être, MSF, lors de
ses rencontres, peut provoquer et perturber l'ordre établi
si il y a, ou du moins se faire remarquer.
Nous avons aussi pu nous rendre compte que <<la pratique
MSFienneÈ est ritualisée, il y a des schémas qui sont
pensés, construits, négociés et reproduits dans le cadre
de ses missions à travers le monde, dans l'esprit d'un apprentissage
constant de la réalité du terrain. Nous avons, en outre,
noté une obsession du contrTMle qu'elle applique dans son quotidien
à travers une sorte de jeu de séduction. Dans une recherche
permanente de l'anticipation, elle développe donc des stratégies,
possiblement inconscientes et des normes. Enfin, nous avons pu observer,
à travers ce mémoire et les analyses des séquences, la
culture fédératrice de Médecins Sans Frontières et
sa dimension << missionnaire È qui nous permet, en ce sens, de
citer Quéinnec (2004) lequel déclare:
Parce qu'elles sont issues d'un acte de foi, il n'est pas
surprenant que les associations humanitaires soient parvenues à
bâtir une identité forte, notamment structurée autour d'une
"religion" (l'éthique humanitaire), d'un "langage" particulier
(tutoiement systématique, abréviations, anglicismes, etc.) et de
"combats" incessants (contre l'oppression ou la maladie, bien entendu, mais
aussi contre l'aide humanitaire institutionnelle, certains gouvernements,
etc.). (p. 83)
Finalement, Médecins Sans Frontières, tel un
monstre à trois tétes est créé et se débat
entre la passion, la raison et l'action.
7. 1 Implications pratiques
Il est important que les gens chez MSF sachent ou du moins
quÕils aient une idée claire de ce quÕils
représentent, de ce quÕils incarnent, de ce quÕils sont
car cÕest cela souvent qui va définir ce qui va etre fait dans la
mesure oil, comme on lÕa vu, lÕinvocation identitaire peut avoir
un reel pouvoir dÕaction. Cette conscience et cette connaissance
sÕacquièrent par lÕexpérience, mais cela peut aussi
etre enseigné avec une formation préalable à
lÕenvoi sur le terrain dÕune mission notamment. Comme nous avons
pu le constater au cours de cette recherche, la parole a un vrai pouvoir chez
Médecins Sans Frontiéres. Il semble donc nécessaire de
former le personnel de lÕorganisation et plus spécifiquement les
chefs de mission sur leur rTMle et le discours quÕils doivent tenir
à ce titre. Ainsi, il sÕavérerait fondamental de faire
attention à la question de lÕidentité et de lÕimage
lors de lÕembauche du personnel MSF car comme nous avons pu le
constater, dÕune personne à une autre, comme entre Eric et Max,
il peut ne pas y avoir la même vision de ce quÕest et de ce que
fait (ou doit faire) MSF.
Etant donné que ce sont des personnes influentes dans
lÕenvironnement de lÕorganisation, il faut donc faire attention
à ne pas véhiculer une image qui pourrait ultimement être
néfastes à lÕaction humanitaire entreprise (si lÕon
considére, bien entendu, que les aspects de cette action sont
généralement positifs pour la population). Notons que Max avait
été sélectionné pour lÕétude
entreprise car il était considéré comme un bon chef de
mission chez MSF, il serait donc intéressant pour dÕautres chefs
de mission dÕapprendre, en quelque sorte, de lui. De plus, au cours des
analyses, nous avons pu voir plusieurs definitions et un jeu de langage autour
du nous et vous et ensemble. Au regard de cela, il
semble donc nécessaire de faire un travail de
positionnement plus clair avec les partenaires sur le terrain,
de mieux les identifier, ainsi sont-ils ou non MSF et si oui, de façon
ponctuelle ou permanente (la même question se pose constamment par
rapport aux Ç nationaux È, autrement dit les personnes qui
travaillent officiellement pour MSF, mais qui vivent dans le pays oil
lÕintervention humanitaire se déroule, mais nous nÕavons
pas la place ici pour analyser cette question). Ceci entraine un questionnement
pour MSF sur son positionnement quant à lÕurgence et au
développement. Pour finir, malgré une idéologie forte et
une certaine intransigeance par rapport à ce quÕelle est et fait,
une des forces de MSF semble etre sa propension à vouloir constamment se
remettre en question et ce, même si en pratique, une telle remise en
question est difficile. Que lÕon parle de lÕorganisation en tant
que telle ou de son identité, MSF trouve son equilibre, comme toutes les
organisations, entre la stabilité et le changement.
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