6.2 Discussion
Dans cette recherche, notre interrogation de base se situait
autour de la question de la négociation et de la co-construction de
l'identité organisationnelle au fil des interactions du quotidien de MSF
et de ses acteurs. Nous avons ainsi trouvé des pistes de réponses
en nous rendant compte qu'il y avait tout un travail d'identification par la
négation et la différenciation, que cette construction se faisait
dans la répétition et que le discours identitaire était
mobilisateur, c'est-à-dire que l'invocation d'une identité
pouvait agir sur l'interaction et être ainsi au service de l'action
organisationnelle.
Nous pouvons alors affirmer que l'organisation est, certes
produite et véhiculée à travers des discours, des
histoires, des comptes rendus, mais que, d'une certaine manière,
l'organisation, par son identité ainsi produite et
réaffirmée, produit aussi elle- même certains récits
et discours. La parole y tient plusieurs fonctions, c'est un outil pour
persuader, pour convaincre l'autre, pour l'informer de ce que je suis ou veut
être, mais aussi, bien entendu chez MSF, pour se protéger. Nous
pensons aussi, en ce qui concerne l'action de la parole, à
Kerbrat-Orecchioni (1990) qui écrit: Çparler, c'est
échanger, et c'est changer en échangeantÈ (p. 17). De
plus, ce que l'on peut appeler le travail identitaire chez MSF est quelque
chose de très pratique, car il a notamment des répercutions
concrètes sur la sécurité, sur l'action locale (Cas de
Tontine, dans Cooren, Brummans & Charrieras, 2008) et sur l'aspect
médical. Ajoutons que l'identité est ajustée en fonction
des interlocuteurs, agissant comme un boite à outils, tout en
étant ventriloquisée par Max, le chef de mission, qui
répète inlassablement les même choses, telle une cassette
enregistrée. Obsession de ne pas être mal percu par son
entourage.
Par ailleurs, on décèle dans l'organisation
beaucoup de paradoxes identitaires. En effet, MSF réitère souvent
le même message participatif, mais semble avoir du mal à
l'appliquer en pratique. Elle invite, certes, les autres à participer
mais avec certaines limites qu'elle n'énonce pas dans un premier temps
mais qui ont tendance à se manifester, comme pour les rappeler à
l'ordre sans les avoir vraiment prévenu. Il va de soi alors que
l'organisation appara»t comme Ç schizophrène È dans
son discours. On note une forte volonté de contrôle de son image
de la part de MSF, mais l'interaction avec les représentants du
Ministère de la santé du Congo montre qu'elle peut renvoyer
d'autres images qu'elle ne maitrise pas. On peut alors considérer, dans
ce cas précis, qu'il y a cocontruction car négociation avec
l'autre de la définition du soi.
Cependant, celle-ci reste difficile à cerner car MSF
laisse peu d'espace d'intervention à l'autre, aussi si co-construction
il y a, cela s'avère être de facon implicite. Nous avons en effet
remarqué que l'identité de MSF fait l'objet d'un contrôle
de tous les jours dans les interactions dans l'esprit de protection de son
territoire. Pourtant, il semble y avoir co-construction de l'être de MSF
par tous les membres de MSF dans un esprit d'équipe hérité
du principe associatif de l'organisation, mais il est difficile d'envisager le
même type de co-construction avec les partenaires et l'environnement de
l'organisation, même si on note cependant un co-construction du faire
de celle-ci, c'est-à-dire de l'action organisationnelle.
En outre, il semble aussi y avoir une négociation de
l'identité au sein même de MSF, car, il y a plusieurs images et
définitions de l'organisation, et en même temps, l'organisation
semble avoir le désir de renvoyer à son environnement une seule
image de de MSF. Par exemple, on voit qu'au sein de MSF il y a identité
multiple en se basant respectivement sur les visions d'Eric et de Max. En
effet, le premier semble avoir une
vision protocolaire avec des principes qui doivent être
appliqués tels quels, tandis que le deuxième semble avoir une
vision avec les mêmes principes mais en offrant plus de marge quant
à la manière de composer avec l'environnement pour les voir
appliquer. Cette vision étant alors associé à la
réussite.
Finalement, le discours identitaire de MSF voyage dans le
temps et l'espace, à travers ses différentes missions aux quatre
coins de la Terre, avec un désir fort de correspondre à la
réalité du moment, du terrain. Paradoxalement, la norme chez MSF
semble être la persévérance et ce besoin de normaliser une
action dans un contexte qui ne l'est pas, en prévoyant au maximum
l'imprévisible, (guides, protocoles, collecte d'informations, etc.).
Aussi, MSF rime avec savoir dans le sens oü il semble qu'elle sache quoi
faire, elle a l'expertise, mais elle a aussi le Savoir, c'est-à-dire la
connaissance et l'expérience d'une pratique médicale d'urgence.
Ë ce titre, MSF est initiateur de changement dans ses partenariats mais
elle comprend la résistance au changement, en cela, elle respecte dans
une certaine mesure ses partenaires. De plus, elle affirme avec humilité
ne pas avoir toutes les réponses et propose alors à l'autre
d'essayer en le responsabilisant dans l'alternative positive que cela
fonctionne.
Ajoutons aussi que MSF transmet majoritairement son message
par l'humour et par le biais d'une image sympathique oü tout le monde
s'appelle et se présente par son prénom, avec un personnel qui
porte des vêtements décontractés ou des t-shirt blanc avec
le logo de MSF et qui s'adapte à la culture de l'accueillant en
utilisant dans ses interactions des mots de sa langue. Tous ces
éléments sont des éléments qui participent à
présentifier l'être de MSF dans son environnement et
à construire son identité.
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