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La construction identitaire d'une ONG par la communication: le cas de Médecins sans Frontières

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par Jessica Ellouk
Université de Montréal - Maitrise es sciences de la communication, option organisationnelle 2011
  

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6.1.4 Le rapport entre soi et l'autre et la question de la co-construction

MSF et l'autre Les extraits que nous avons analysés et plus particulierement l'analyse de la réunion d'informations à l'hTMpital de Mumba ont fait état de la présence et de la mobilisation constante d'un certain esprit d'équipe chez MSF, notamment par l'utilisation dans le discours du on et du nous, pour généralement déboucher sur le ensemble, symbole de collaboration et d'union dans l'action avec les partenaires. Nous remarquons donc que la parole met en scene le collectif, un collectif qui représente l'organisation car c'est lui qui est invoqué pour présenter l'organisation. Mucchielli (1986) démontre que l'esprit de groupe ou d'équipe est avant tout un sentiment d'appartenance : « On trouve dans l'esprit de groupe l'adhésion aux normes et objectifs, l'entraide et la solidarité, la loyauté, la confiance dans le groupe, la fierté de l'appartenance et la valorisation des liens communautaires. Toutes ces conduites se trempent dans la participation affective » (p. 50). Ce sentiment d'appartenance des membres de MSF semble même être exacerbé avec l'utilisation fréquente d'un on exclusif qui suppose un rapport exclusif à l'autre ou au partenaire. Donc, si l'on poursuit cette logique, le discours a apparemment pour but de projeter une image et non de la construire avec l'autre. C'est, en quelque sorte, une logique d'émetteur à récepteur, un

nous versus un vous. On peut alors eventuellement se poser la question de savoir si cette logique se retrouve autant dans le discours que dans lÕaction de MSF.

En effet, il reside une idée récurrente chez MSF de faire ensemble, dÕessayer autant que possible de faire du sur mesure et dÕexpérimenter des solutions avec les autres. LÕorganisation démontre alors quÕelle a conscience quÕil y a une marge entre les Ç grandes lignes È, lÕexpertise/expérience et le terrain, sous entendu la réalité de cas particulier, contextuellement et humainement parlant. Dans ses interventions, Max présente donc souvent MSF comme une organisation consciente de son environnement, de l'autre et qui souhaite agir avec lui. Aussi, il répéte sans cesse quÕil nÕest pas question de Ç casser le système È, témoignant de son respect pour le pays hTMte tout en répondant à une des critiques classiques adressées à lÕendroit de son organisation. DÕailleurs, Max répéte à ce titre que MSF se concentre sur les soins secondaires à Mumba, sÕinsérant ainsi dans le systeme de soins congolais. Ë propos du rapport à lÕautre et les reactions de defense qui peuvent se manifester, Mucchielli (1986) dit dans une réflexion sur lÕidentité individuelle :

LÕanalyse systématique des reactions (individuelles ou groupales) aux menaces sur lÕidentité fait appara»tre trois grandes categories de conduites : les mises à distance (lÕautre menacant est attaqué, intimidé ou fuit) ; les immobilisations (on sÕinhibe, se dissimule ou se rétracte devant la menace pour lÕéviter) et les rapprochements (on se conforme ou se justifie pour neutraliser la mise en cause). (p. 113)

positionnerait plutôt dans la catégorie des rapprochements, si l'on en croit, en tout cas, son travail de justification assez courant. En outre, nous avons noté, au cours des analyses, que Max tente souvent de ne pas offusquer l'autre tout en lui faisant passer son message, montrant ainsi par exemple son caractère a priori respectueux. A cela, il faut ajouter que MSF semble s'attendre à ce que ses partenaires reconnaissent la valeur des outils qu'elle met à leur disposition avant que ceux-ci ne lui demande quoi que ce soit d'autre. Un des aspects identitaires qui est aussi projeté dans le discours est que MSF fait tout par elle-méme, ce qui appara»t comme un synonyme d'autonomie de l'organisation.

D'autre part, dans la réunion d'information de Mumba, on voit Max faire tout un travail de traduction de la pensée de ses interlocuteurs lorsqu'il laisse entendre qu'ils ont déjà constaté par eux-mémes les problèmes que MSF veut régler à l'hôpital. Nous notons qu'en disant cela, Max accomplit un travail de légitimation de la présence de MSF (<< vous aviez besoin de nous È), tout en responsabilisant ses partenaires. Mucchielli (1986) déclare à ce propos et dans une méme réflexion sur l'identité individuelle: <<Par son regard, puis par ses attitudes envers moi, autrui m'attribue une identité et me pousse à me comporter de manière à répondre à cette définition qu'il donne de moi. "L'enfer c'est les autres" a aussi pour signification que la relation à autrui est, d'une certaine manière, aliénante È (p.111).

Par ailleurs, nous avons aussi pu constater au cours de l'analyse de l'interaction entre Max et Eric qu'il existe chez MSF, à l'interne et d'une certaine manière, au moins deux visions de l'identité et surtout deux visions de la relation à l'autre, le partenaire. Il est ainsi ressorti de cette analyse une possible identité en tension de MSF et un soi

multiple, avec deux types de profils organisationnels incarnés par Max et Eric. Ainsi, selon Eric, les perpétuelles discussions avec les partenaires ou plus précisément dans son cas, avec le docteur Joseph, sont considérées comme une perte de temps et donc dÕefficacité. Tandis quÕaux yeux de Max, ces mêmes discussions sont un facteur clef pour réussir une mission. Aussi, en tant que porte-parole de lÕorganisation, il prTMne la communication avec l'autre ou plutTMt une certaine persévérance dans cet exercice.

On notera cependant quÕau delà de leurs differences, Max et Éric présentent MSF comme détentrice dÕun savoir, savoir que nÕont pas les autres, qui sont ceux qui ne savent pas et quÕil faut donc guider. En même temps, au cours de la reunion dÕinformation de lÕhTMpital de Mumba, MSF est présenté par Max comme étant ouverte au dialogue et à la négociation avec lÕautre, reconnaissant ainsi sa capacité à informer lÕaction de MSF. Ceci semble donc correspondre à lÕidée dÕune construction de lÕidentité avec une vision externe que nous avions relevé dans la revue de littérature, avec une projection stratégique dÕimages qui servent à maintenir et confirmer son ou ses identités dans le but de plaire à lÕautre en légitimant son action et en tentant de lÕe nrTMler (Cheney et Christensen, 2001). Cependant, comme le disait Jenkins (1994 ; cite dans Hatch et Schultz, 2002), cÕest dans la rencontre des definitions internes et externes de lÕorganisation que lÕidentité est créée, donc la vision que MSF a dÕelle même et celle quÕautrui peut avoir de lÕorganisation.

L'autre et MSF Nous souhaitons maintenant nous intéresser au regard de lÕautre sur MSF et sa participation à la construction de son identité, gr%oce à ce que nous avons pu apercevoir dans les analyses des interactions. Nous disons bien apercevoir, car il est souvent difficile de bien se rendre compte de ce regard et de cette action. Cependant, le

choix des mots, conscient ou inconscient, nous permet tout de méme de faire un point sur ce sujet. Lors de la rencontre entre Max et les messieurs du Ministère de la santé congolais, nous avons remarqué que le discours de Tony mettait en scène le vous, en parlant de MSF et de sa façon de faire centrée sur le patient, le nous, c'est à dire le Ministère de la santé du Congo et sa façon de faire identique à celle de MSF, avec en plus ce qu'il appelle un appui du système. Pour finir, le discours de Tony se clTMt sur le ensemble avec l'annonce du souhait que MSF se joigne à la vision du nous qu'il vient de présenter.

Ë pro pos de l'utilisation du Nous dans le discours, Callon et Latour (2006) disent : << Dés qu'un acteur dit "nous", voici qu'il traduit d'autres acteurs en une seule volonté dont il devient l'âme ou le porte-parole. Il se met à agir pour plusieurs et non pour un seul. Il gagne de la force. Il grandit. >> (p. 16). Ainsi, Tony en parlant au nom de MSF et en définissant sa façon de faire, prétend que c'est quelque chose que MSF pourrait faire, qu'implicitement ça lui correspond. Nous remarquons alors que les partenaires se donnent un pouvoir de proposition tout comme MSF le fait en modifiant les structures dans lesquelles elle intervient. De plus, nous nous rendons compte qu'ils utilisent la même rhétorique du <<Vous, Nous, Ensemble>> que MSF met en scène dans ses discours de mobilisations.

Par ailleurs, comme Benwell et Stokoe (2006) nous le font remarquer en citant un article de Fairclough et Wodak (1997) qui ont analysé les discours de Margaret Thatcher, l'utilisation du pronom nous démontre une certaine ambigu
·té en envoyant différents messages : <<"We" was sometimes used inclusively, to convey solidarity with the général public ("We do enjoy a standard of living that was undreamt of then"), and

sometimes exclusively to convey an institutionalised sense of "we", the party ("After we returned to power")È (p. 115). Comme nous l'avons dit, le langage nous permet d'entrevoir comment MSF est percue par autrui et donc quels sont les traits identitaires qui ressortent. Aussi, MSF est présenté implicitement et explicitement par ses partenaires du Ministère la santé congolais, incarnés par Guy et Tony, comme détentrice d'un savoir à transmettre à l'autre sur le terrain, élément qui est confirmé par Max.

Ainsi, implicitement, MSF est alors percue par ses partenaires comme une aubaine à saisir et à exploiter, car elle représente une opportunité pour la formation des jeunes médecins congolais. Ë cela, il faut ajouter que les partenaires reconnaissent donc implicitement l'expérience pertinente de MSF. Nous notons donc que la présence de MSF est vue comme une chance à ne pas rater par ses collaborateurs locaux et est assimilée à une possibilité d'améliorer l'avenir. MSF est présentifiée par ses partenaires comme une possibilité de faciliter des projets de changement et d'amélioration des systèmes locaux. Finalement, on peut dire que les partenaires tentent de modifier la pensée de MSF en ajoutant le fait de penser au futur, c'est-à-dire à l'après intervention de MSF, en exprimant leur désir que MSF forme des médecins de facon formelle. Implicitement, les partenaires tentent donc de redéfinir l'action possible de MSF par rapport à leurs propres intérêts, mais c'est une tentative qui s'avère avortée pour eux car le porte-parole de l'organisation ne conclut pas vraiment dans ce sens.

Cependant, nous notons tout de même de la part des partenaires la formulation d'une argumentation solide oü ils expriment une réflexion élaborée sur ce que MSF est et fait. Tony et Guy présentent ainsi leur requête en la qualifiant de nécessaire et cette nécessité est dü à l'intervention de MSF à Mumba, car sa présence augmente le travail à

faire et que le Docteur Joseph est débordé. MSF est donc présentée par les acteurs locaux du terrain de sa mission comme une charge supplémentaire de travail. Il semble donc quÕici, MSF soit synonyme de changement Ç perturbateur È et cela même si dans le discours de MSF, lÕorganisation dit quÕelle propose, mais nÕimpose pas les changements.

Par ailleurs, nous nous sommes rendue compte dans les analyses, quÕen suivant ce raisonnement, les partenaires poursuivent un travail de responsabilisation de MSF face aux consequences de son intervention, des changements quÕelle déclenche et finalement de son ingérence. Ainsi, elle se doit d'être responsable et notamment de répondre positivement à leur requête afin de donner une contrepartie à sa presence. De plus, nous avons note la mise en Ïuvre dÕun travail dÕappropriation de la requête à lÕencontre de MSF, en disant que celle-ci aurait pu etre proposée par MSF elle-même. On peut penser que le format de la presence de MSF au titre de partenariat/collaboration pousse à ce genre de réflexion, dans la mesure oil cela peut induire une sorte de relation dÕégal à égal.

En réalité, on sait que cette relation est presque impossible car cÕest MSF qui amene le financement et les moyens dÕaction, ce qui lui confére donc un pouvoir supérieur à celui de ses partenaires. Ajoutons que les partenaires semblent etre conscients de cette réalité et que cÕest sans doute pour cela quÕils semblent trés prudents et précautionneux dans la formulation de leur requête. Finalement, on peut dire que cÕest par un mélange de plaintes et de marques de reconnaissance que sÕexprime le regard de Tony, Guy et le Docteur Joseph sur MSF, une organisation qui sÕavére etre pour le ministére de la sante et la population congolaise quÕils représentent, une opportunité en terme de savoirs, mais aussi en terme financiers. Quant aux deux hommes de la

MONUC avec lesquels Max sÕentretient dans une de nos sequences analysées, leur regard marque une certaine reconnaissance envers MSF et le travail que ses acteurs accomplissent dans la region.

Que dire de la co-construction et de la négociation ? Aprés avoir présenté le rapport que MSF entretient avec autrui et nous etre penché sur le regard dÕautrui vis à vis de MSF, nous sommes naturellement amenée à nous interroger sur la question de la co-construction de lÕidentité de MSF. Dans lÕanalyse de lÕextrait sur la reunion dÕinformation MSF, le public semble etre là pour prendre acte des dires de Max, les comprendre et si possible adhérer aux principes de MSF. En effet, dans son discours, il fait appel à des principes quÕil présente comme fondateurs, cÕest-à-dire quÕimplicitement il signifie à ses interlocuteurs quÕils ne peuvent pas faire lÕobjet dÕune négociation. Aussi, il semble difficile de parler de co-construction de lÕ etre dans cette situation, contrairement à celle du faire, cÕest-à-dire de lÕaction, qui fait lÕobjet dÕune demande explicite de la part de Max, le porte-parole.

Cependant, on peut imaginer une co-construction de lÕidentité de lÕorganisation entre les membres de ladite organisation, car dans cette même sequence, Max invite les membres de la mission à participer à la presentation de lÕorganisation. Cette démarche para»t logique, étant donné que la structure de lÕorganisation est associative. Il semble donc y avoir un esprit associatif chez MSF oil le soi appara»t comme synonyme dÕesprit dÕéquipe, qui semble lui-même etre synonyme du droit à la parole de tous, matérialisé par lÕutilisation récurrente du on et du nous dans le discours. De plus, Max fait intervenir les figures de lÕécoute et de la comprehension face à son partenaire, mais cela ne signifie pas pour autant une co -construction. En effet, comme nous lÕavons remarq ué, le discours

de MSF vis à vis de ses partenaires s'apparente au type Çnous versus vous È. Sous entendu, on va faire les choses ensemble, mais c'est nous qui décidons. Vous devez accepter cette idée-là, néanmoins nous sommes ouvert à la communication.

D'autre part, nous avons constaté que la formulation d'une requête par les partenaires de MSF pouvait être vue comme une tentative de modification de l'action de celle-ci, donc de son être et donc une tentative de participation à sa construction. Face à cela, MSF, par l'intermédiaire de Max, n'a pas dit non mais a bien reprécisé l'identité de MSF, une identité qui semblait être redéfinie par ses interlocuteurs. Max a ensuite poursuivi en s'attachant à requalifier les propos de ses partenaires. De ce fait, il montre qu'il n'est pas possible de faire faire quelque chose à MSF. Nous avons aussi pu voir, au fil des séquences, que c'est une organisation qui souhaite ne pas dévier de sa trajectoire et avec qui on ne marchande pas facilement. Aussi, être partenaire de MSF ne signifie pas pour autant qu'on puisse se mettre à la redéfinir.

On remarque donc que l'identité de MSF fait l'objet de contrôle de la part de ses représentants dans ses interactions avec ses interlocuteurs, un contrôle quotidien, une sorte d'obsession. Cependant, nous avons pu aussi constater un travail de responsabilisation de l'autre, MSF considérant qu'autrui a a priori un avis à formuler et qu'il se doit de le manifester pour que le partenariat soit constructif. Il y a donc invitation à un rôle actif, donc quelque part, un désir de co-construction de la part de MSF. Ajoutons que parler à tout le monde appara»t comme un leitmotiv au sein de MSF et qu'en parlant, en étant en situation d'interaction, on prend le risque de l'implication de l'autre.

Ainsi, comme le dit Kerbrat-Orecchioni (2008) dans une réflexion sur la communication interpersonnelle et l'analyse des conversations : << La proposition d'identité effectuée par l'un des participants sur lui-même ou sur son partenaire peut être ratifiée par ce dernier, ou au contraire contestée, ce qui va enclencher le processus négociatif.>> (p. 132). La co-construction, selon MSF, semble être un jeu compliqué d'aller et retour oü dans l'interaction et la relation avec l'autre, l'identité peut y être niée, réaffirmée ou modifiée (Marc, 1997; cité dans Giroux, 2002). L'avis de l'autre peut ainsi être intégré de facon épisodique à la construction du soi à certaines conditions. Mais, il arrive aussi que celui-ci s'autorise à participer à cette construction sans y être invité au préalable. Aussi, MSF maintient une distance tout en étant proche, il s'agit alors de garder la bonne distance afin de ne demeurer ni en rupture ni en fusion avec l'autre. Mais, d'une certaine manière, on peut parler d'un jeu de miro ir entre soi et l'autre en ce qui concerne MSF, une organisation qui se construit au regard de son environnement.

Nous avons pu remarquer que pour MSF, il y a un besoin de l'autre pour la construction de l'action, du faire, mais pas forcément de l'être. Cependant, comme le soi c'est logiquement ce que nous sommes et ce que nous faisons, il appara»t que MSF se trouve au sein d'une dualité identitaire ou une certaine schizophrénie, comme nous l'avons expliqué précédemment. De plus, nous ajouterons, pour repre ndre la métaphore initiée par Goffman (1967) faisant le parallèle entre le rituel de la danse et la construction de l'identité, un parallèle développée par Roth (1996): << If the interaction dance is to be graceful, the other participants must honor the line that he establishes by showing deference>> (p. 175).

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"Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se tait"   Appolinaire