5.4. Analyse de la Séquence C : Réunion
entre Max et des représentants du Ministère de la Santé
congolais
5.4.1. Description du contexte
En tant que chef de mission MSF, Max rencontre
régulièrement les partenaires locaux des projets mis en
Ïuvre par son organisation, il se voit aussi attribuer le rôle de
porte-parole de MSF auprès des représentants des institutions du
pays d'intervention. Dans le cadre de l'interaction qui nous intéresse
ici, Max est en réunion avec deux représentants de la
Santé de la RDC, les docteurs Guy et Tony, à Goma (ville du
Nord-Kivu). La présente conversation a lieu peu après le
début de la réunion oü les trois hommes ont fait le point
sur l'action mise en Ïuvre à l'hôpital de Mumba.
5.4.2. Analyse de la séquence
Cette in teraction nous montre comment l'identité de
MSF dans son intervention en RDC est négociée et construite entre
un de ses membres, autrement dit Max, et des partenaires de l'organisation, les
docteurs Guy et Tony, tous les deux congolais. Nous allons aussi voir ici
comment certaines figures sont invoquées de part et d'autre pour
accepter, refuser ou inviter à accomplir certaines choses. Nous pourrons
ainsi constater que l'identité n'est pas quelque chose de figé
mais qu'il
existe une utilisation performative de l'identité
organisationnelle.
167 Guy Donc par rapport a ça, on avait encore une autre
euh, je ne dirai pas une
168 préoccupation on avait une requête a formuler
euh:: ((fait un geste de la main vers
169 Tony)) on en a longuement discuté avec
Docteur Tony C'est par rapport au euh
170 au chirurgien
171
172 Max Oui=
173
174 Guy =que MSF a amené pour essayer d'aider
l'hôpital. Nous, on s'est dit si euh c'est
175 la présence de ce chirurgien ne peut pas
profiter a d'autres médecins.
176
177 Max Hum hum
178
179 Guy Je crois que peut être Carole vous en a vous en a
déja parlé.
180
181 Max C'est possible
Des lignes 167 a 170, Guy annonce a Max la formulation d'une
requête concernant le chirurgien MSF avec le soutien de Tony a l'appui.
En formulant cette requête a Max, Guy et Tony reconnaissent implicitement
son caractère décisionnaire, car celui-ci représente MSF
et prend des décisions en son nom. Cependant, la formulation d'une
proposition de la part des deux médecins et la discussion qui s'en suit,
peuvent aussi être considérés comme participant de la
construction de l'identité de MSF, leur organisme partenaire, car ils
tentent de modifier son action en apportant leur propre vision de ce qu'est et
doit être MSF dans le cas présent. Guy évoque la
présence de MSF (par le biais d'un de ses chirurgiens), qualifiant son
action d'aide a l'hôpital, mais il considère que cette
présence pourrait constituer une opportunité
supplémentaire a l'action classique de MSF, c'est a dire soigner:
Ç Nous, on s'est dit si euh c'est la présence de ce chirurgien
ne peut pas profiter a d'autres médecins. È (lignes
174-175).
Afin d'ajouter du poids a son propos, Guy, a ligne 179,
invoque, par ailleurs, le fait que Carole soit au courant et qu'elle ait
possiblement fait part de la requête a Max. En faisant cela, Guy fait
appel a ce que représente Carole, c'est a dire, une expertise en tant
qu'actrice de l'organisation MSF, car elle est coordonatrice médicale
MSF et médecin congolais. Ajoutons qu'une telle introduction a
l'annonce
d'une demande et la façon de la formuler, laisse
para»tre une certaine hésitation, Guy n'affichant pas beaucoup
d'assurance dans son discours. La réponse de Max n'est, quant à
elle, pas ou peu claire, lorsqu'il rétorque: Çc'est
possibleÈ (ligne 181), ce qui semble pousser Guy à
préciser la formulation et l'argumentation de sa requête. Cette
réponse confère à Max un certain pouvoir quant au
déroulement de la suite de la conversation, car il peut ainsi, par
exemple, dire qu'il n'était pas vraiment au courant de cette
requête et donc ne pas d'ores et déjà donner une
réponse favorable ou non à la requête.
183 Guy Donc que euhnous, on voudrait, avec votre accord
envoyer nos médecins en
184 formation, évidemment uniquement euh pour la
chirurgie, pour qu'ils puissent
185 profiter euh de de de l'expérience du chirurgien que
MSF a mis a mis à l'hôpital.
186
187 Max Bon en formation euh = (( il affiche un visage
emprunt de perplexité))
188
189 Guy Bon on dirait formation, c'est peut être trop dire
mais bon euh=
190
191 Tony = En fait, en fait euh, l'idée vient du fait que
(.) le le système de santé que nous
192 essayons d'appuyer dans la province euh comprend non
seulement les structures,
193 les institutions mais aussi du personnel. Et donc qu'euh on a
constaté depuis un
194 certain temps que dans les milieux ruraux il y a de plus en
plus de jeunes
195 médecins
196
197 Max hum hum
198
199 Tony qui ne sont plus encadrés par des médecins
beaucoup plus =
200
201 Guy =[chevron[nés
202
203 Tony [Expérimentés, et donc chaque fois qu'il y
a une opportunité comme
204 celle que vous donnez à la zone de santé de
Mumba, nous pensons que c'est
205 vraiment quelque chose qu'il ne faut pas rater pour renforcer
le système. C'est
206 vrai quel'approche MSF, c'est une approche directement
centrée sur le patient
207 mais notre approche, tout en visant le patient essaie
d'appuyer plus le système. Et
208 je crois que les 2 ensembles pourraient faire un très
bon résultat. Donc nous
209 avons pensé qu'on peut vous approcher dans ce euh=
210
211 Guy =Dans ce sens-là
212
213 Tony =Dans ce sens-là, pour dire qu'euh, on pourrait
profiter de cette présence de ce
214 médecin-là pour essayer de de recycler un peu
les médecins des autres zones
215 voisines. Ainsi après c'est une année
d'intervention MSF, en plus du fait que les
216 gens auront accédé aux soins, on aura en
permanence des médecins qui sont
217 capables de répondre aux urgences les plus
fréquentes et de manière efficace.
218 Voilà un peu dit en gros.
Des lignes 183 à 185, la requête est enfin
formulée plus clairement par Guy et consiste à demander à
MSF l'autorisation d'envoyer des médecins à former par le
chirurgien MSF présent à l'hôpital de Mumba. MSF est ainsi
implicitement qualifiée et reconnue par ses partenaires pour son
expérience en matière de chirurgie. De plus, les partenaires de
MSF, représentés ici pas Guy et Tony, semblent considérer
que
cette expérience chirurgicale pourrait être mise
à disposition dans l'hôpital et à ce titre, ils demandent
à MSF si cette dernière serait prête à former des
chirurgiens locaux, cela en plus de soigner les patients. Il appara»t
donc, qu'implicitement, les partenaires de MSF ne voient pas l'organisation
uniquement comme une organisation humanitaire d'aide médicale, mais
aussi potentiellement comme un organisme capable de former du personnel
médical.
Cette requête met donc Max face à plusieurs
problématiques. Il doit en effet confirmer ou démentir cette
vision/identité de son organisation que lui projettent implicitement ses
partenaires/interlocuteurs. Mais, face à cette requête, il est
aussi mis à l'épreuve d'y répondre, pouvoir que semblent
lui conférer Guy et Tony dans la situation présente. C'est donc
dans ce contexte que Max répond: << Bon en formation euh =
((il affiche un visage emprunt de perplexité)) >> (ligne
187), répétant donc l'information principale de la requête
en exprimant un certain malaise. Il semble que ce malaise est percu par Guy,
qui nuance aussitôt son propos en cherchant à atténuer
l'impact du terme <<formation>> (ligne 189). Puis, dès la
ligne 191, Tony, le collègue de Guy, entre dans la conversation en
s'attachant à construire un contexte à la requête qui vient
d'être formuler, lui donnant ainsi une certaine assise et donc une
légitimité/autorité.
Son intervention sert sans doute à gagner l'assentiment
de Max en optimisant, en quelque sorte, la demande en vue de l'obtention d'un
accord de la part de MSF. Il représente donc la demande en
l'insérant dans un plan d'action du système de santé de la
province du Nord-Kivu. Tony présente ainsi à Max une
requête qui est identifiée comme issue d'une constatation
raisonnée, à l'effet de laquelle il n'y aurait pas d'encadrement
des jeunes docteurs congolais de la région et qu'il serait donc
raisonnable et envisageable que le chirurgien MSF les encadrent
pour le temps de son intervention à Mumba. De plus,
l'invocation du système de santé de la province comme acteur
ajoute un caractère responsable et respectable à la dite
requête. Ë la ligne 203, Tony parle du manque de médecins
expérimentés, il est donc implicitement en train de dire:
<< nous avons besoin de médecins expérimentés et vos
médecins sont expérimentés, donc MSF devrait pouvoir nous
aider È.
De plus, la présence même de MSF est
associée à une opportunité du point de vue de ses
partenaires : << donc chaque fois qu'il y a une opportunité comme
celle que vous donnez à la zone de santé de Mumba, nous pensons
que c'est vraiment quelque chose qu'il ne faut pas rater pour renforcer le
systèmeÈ (lignes 203-205). Ainsi, on voit que la requête
formulé à Max est présentée comme ayant pour but de
renforcer le système de santé, MSF étant alors
identifiée comme une chance à ne pas rater. Des lignes 206
à 208, on note aussi que Tony tient un discours oü il met en
scène le <<vous È, puis le <<nous È, pour
conclure sur le <<ensemble È. En effet, dans un premier temps, il
invoque l'approche MSF ou la vision que peut avoir un partenaire sur la facon
de faire de MSF et la définit comme étant centrée sur le
patient. Il se permet donc de parler au nom de MSF en l'identifiant
d'une certaine manière. Puis, il insère la facon de faire de
son organisation qu'il décrit comme étant équivalente
à celle de MSF en ce qui concerne le patient, mais en ajoutant le fait
de vouloir aussi appuyer le système. Pour finir, il déclare
souhaiter un ralliement entre ces deux visions, proposant que MSF se joigne
à sa vision.
En quelque sorte, les partenaires déclarent souhaiter
que MSF fasse sienne la mission proposée par la requête et en
conséquence, modifie quelque peu sa facon de faire, son approche. Il y a
donc une tentative de co-construction de l'identité de MSF par ses
partenaires locaux. Tony prétend donc que c'est quelque chose que MSF
pourrait faire et de facon implicite que cela pourrait correspondre à
son identité. Ë la
ligne 209, on voit Tony reformuler son propos: ce n'est plus
une requête qui est émise, mais une approche, la portée
étant dès lors moins forte que celle générée
par une requête. La présence de MSF est aussi qualifiée
d'opportunité de recyclage des
médecins des zones de santé voisines à
celle de Mumba (lignes 213-215), puis iidéveloppe une vision
de l'avenir en exprimant oralement les résultats attendus de
cette initiative.
Tony met en scène MSF dans cette prévision du
futur lorsqu'il dit: Ç Ainsi après c'est une année
d'intervention MSF, en plus du fait que les gens auront accédé
aux soins, on aura en permanence des médecins qui sont capables
de répondre aux urgences les plus fréquentes et de manière
efficaceÈ (lignes 215-217). En disant cela, Tony reconna»t, bien
entendu, que l'intervention de MSF signifie un accès aux soins pour les
gens, mais il montre aussi qu'il attend plus que cela de l'intervention de MSF,
autrement dit, de la formation. Ainsi, si MSF donne une réponse
favorable à cette requête, cela permettrait, selon lui, une
augmentation du nombre de médecins capables de répondre à
l'urgence et de façon efficace dans la région. En
conséquence, MSF est qualifiée et reconnue par ses partenaires
pour l'efficacité de son action dans l'urgence. Elle est ainsi
identifiée pour son expertise dans ce domaine. Implicitement et en
invoquant un désir de permanence, de développement, Tony
reconna»t le caractère ponctuel des interventions de
Médecins Sans Frontières. Ainsi, MSF semble toujours
véhiculer dans son environnement l'image d'une organisation qui
intervient épisodiquement dans des situations critiques d'urgence, ce
qui se confirme par la manière dont le médecin présente
l'organisation humanitaire à Max.
220 Max Ouais faut ouais faut faire attention hein (.) juste
comment comment utiliser ça
221 parce que effectivement formation, MSF, on n'est pas une
université
222
223 Tony Oui [ça ca on comprend
224
225 Max [On n'est pas là comme formateur en même
temps c'est clair quand MSF
226 passe dans un milieu hospitalier::, dans euh même dans
des centres de santé::, peu
227 importe oü on passe c'est clair que ya que ya qu'il y a
un volet euh
228 apprentissage qui est important
229
230 Guy bien sür
231
232 Max hein parce qu'on a quand même des outils euh
qui je pense sont intéressants à
233 MSF. On a plusieurs livres: je pense aux guides
cliniques, aux livres à
234 l'utilisation des médicaments essentiels avec les
protocoles thérapeutiques,
235 euh: aprês on apporte euh: le savoir en hygiene la
gestion la gestion de des
236 déchets de l'hygiene tout ça donc. Oui c'est
clair euh qu'il y a =
237
238 Guy =[un apprentissage=
239
240 Max =un euh un apprentissage qui est un peu, je dirai qui se
fait au quotidien euh en
241 mettant la main à la pâte hein? ((il agite
ses mains en parlant))
242
243 Guy hum hum
244
245 Max Et on n'estpas là j'dirais pour faire Ecole
246
247 Guy Hum hum
248
249 Max C'est aussi aux gens à s'approprier les outils
qu'on met à disposition euh. Et c'est
250 surtout de cette façon-là que je pense qu'il
qu'il y a des acquis, des apprentissages
251 (.) a, ça me semble, ça me semble euh me semble
euh évident. Aprês commeje
252 vous le dis c'est pas:: c'est pas euh tous les matins au
tableau pour faire l'école
253 ((il mime quelqu'un en train d'écrire sur un
tableau)) a c'est pas, c'est pas la
254 façon que MSF fait donc Moi, moi disons de prime
abord j'ai pas de gro::sses
255 objec:tions (.) Mais euh euh à voir comment
ça peut se faire (.) D'abord il ya le
256 docteur Luc qui est à l'hôpital de Mumba, qui
est aussi un jeune médecin=
257
258 Guy =Voilà
259
260 Max Euh::: qui qui est euh invité à passer au
bloc euh à chaque fois qu'il y a des
261 interventions. Donc c'est pas un souci euh mais en premier
lieu, c'est quand
262 même le chirurgien MSF qui doit faire euh les
opérations euh qui va qui va mettre
263 aprês quand c'est des euh tranquillement, je pense que
Luc va faire la césarienne,
264 etc euh sous la supervision de du chirurgien, de de
l'anesthésiste
265
266 Guy Hum hum
267
268 Max a c'est clair que l'anesthésiste sera toujours
présent euh à chaque euh=
269
270 Guy =Ë chaque [intervention
271
272 Max [à chaque intervention parce qu'on a amené
du matériel euh qui doit
273 être utilisé par un anesthésiste
[formé àce titre là
274
275 Guy [formé
276
277 (3.0)
278
279 Max donc apres euh:: comment vous vous voyez les choses? Vous
en êt- euh, vous
280 feriez passer euh le médecin euh deux semaines trois
semaines un mois au bloc?
281 Euh comment vous voyez la chose? Donc si vous envoyez un
médecin au bloc,
282 ça veut dire que Luc perd un heu sa son espace=
Des lignes 220 à 221, on voit alors Max revenir sur le
principe de formation que Tony a tenté d'écarter de son
argumentation et affirme avec vigueur que MSF n'est pas une université.
On peut remarquer ici que MSF s'identifie donc aussi à travers ce
qu'elle ne fait pas, et donc ce qu'elle n'est pas. C'est donc
comme si Max mettait ainsi en garde ses partenaires sur le choix de leurs mots
pour parler de son organisation. Il semble donc refuser leur tentative de
qualification implicite de son
organisation. On remarque que, ce faisant, Max, en tant que
membre de MSF, se positionne implicitement comme ayant le droit et
l'autorité nécessaire pour définir et parler au nom de son
organisation, ses vis-à-vis n'ayant évidemment pas cette
capacité, ou, en tout cas, pas avec la méme autorité.
Puis, des lignes 225 à 228, Max s'attèle à requalifier la
signification de la présence de MSF, la dissociant d'une structure de
formation: Ç On n'est pas là comme formateur È (ligne
225).
Il poursuit en précisant que ce n'est pas de la
formation que MSF fait lorsqu'elle est présente dans une structure
médicale, mais qu'elle rend possible de l'apprentissage, une distinction
intéressante dans la mesure oü il peut y avoir, bien entendu,
apprentissage sans formation structurée en tant que telle (par
observation, par exemple). Il confirme donc à ses partenaires qu'un des
volets de son action et de sa présence peut mener à
l'apprentissage, tout en écartant la possibilité d'une formation
structurée. On voit que Max est donc en train de requalifier son
organisation avec ses propres mots, sa propre vision. Ainsi, c'est comme s'il
se réappropriait MSF, contrant du méme coup la qualification
implicite que ses vis-à-vis lui proposent, celle d'une organisation dont
l'une des aptitudes serait de former des médecins. Il montre, de ce
fait, à ses partenaires qu'il n'est pas possible, en quelque sorte, de
faire faire quelque chose à MSF, la seule chose qu'il soit
possible de faire étant de bénéficier indirectement des
activités existantes et définies a priori par l'organisation
elle-méme.
Puis, des lignes 232 à 236, Max semble se sentir
obligé de justifier le volet apprentissage de MSF dont il vient de
parler en invoquant et mobilisant des outils que son organisation apporte dans
ses interventions et qui agissent donc en son nom: guides cliniques, livres sur
les médicaments essentiels, protocoles thérapeutiques en plus
d'un savoir faire en hygiène et en gestion des déchets. Notons
aussi que Max
précise: <<parce qu'on a quand même des
outils euh qui je pense sont intéressantsÈ (ligne 232),
donnant ainsi son avis sur la question avec une certaine intensité, ce
qui enjoint implicitement son interlocuteur à reconna»tre la valeur
de ces outils. Ajoutons qu'avec l'annonce de tous ces attributs, MSF
appara»t comme une organisation assez protocolaire ou du moins très
structurée, qui opère selon une formalisation et une
standardisation de ses pratiques. Notons également qu'une telle
indication des ressources nécessaires laisse entendre que si les
partenaires veulent en bénéficier, libre à eux, mais cette
même indication conforte également la position d'une organisation
qui ne dévie pas de la trajectoire qu'elle s'est elle-même
fixée, laissant aux autres le loisir de saisir les opportunités
que MSF leur offre de facto.
Ë travers son argumentaire, Max semble donc faire un
travail de désappropriation et d'élimination de la
responsabilité que ses partenaires ont tenté d'attribuer à
MSF, avec la mission proposée. Des lignes 240 à 241, Max confirme
qu'il y a un apprentissage chez MSF, mais celui-ci est qualifié comme de
nonformel, car quotidien et impliquant qu'on apprenne en <<mettant la
main à la pâte È. Il est à noter que <<mettre
la main à la pâteÈ est une métaphore qui signifie
implicitement l'idée d'un faire collectif, un faire qui, ultimement,
mènerait donc à un apprentissage de la part de ceux qui y
participeraient. Max est donc en train de mettre en scène et de
communiquer l'idée d'une transmission d'un savoir au quotidien, en
effectuant le travail, autrement dit en soignant les patients.
Ë la ligne 245, on voit aussi Max dire explicitement:
<< Et on n'est pas là j'dirais pour faire Ecole È.
Ainsi l'organisation souhaite être reconnue par ses partenaires dans la
non portée éducationnelle de son action. Max est en quelque sorte
en train de dire à ses partenaires qu'ils se trompent dans leur vision
implicite de MSF comme lieu de formation formelle, même s'il laisse
ouverte la porte à un
apprentissage de facto. Max est donc en train de
défendre la vision que son organisation, MSF, souhaite, semble-t-il,
transmettre ou faire para»tre à son environnement et en particulier
à ses partenaires. MSF partage donc son savoir avec les acteurs locaux,
mais ne souhaite et ne donne pas de formation officielle.
Puis, des lignes 249 à 256, on voit comment Max se
positionne implicitement comme responsabilisant ses partenaires par rapport
à l'héritage que MSF est censé apporter : ÇC'est
aussi aux gens à s'approprier les outils qu'on met à
disposition euh. Et c'est surtout de cette facon-là que je pense que
qu'il y a des acquis, des apprentissages >> (lignes 249-250). Notons que
ce positionnement quelque peu paternaliste, voire colonialiste, laisse entendre
implicitement que ces interlocuteurs et les gens qu'ils représentent
n'auraient pas conscience de cette responsabilité et n'initieraient donc
pas d'eux-mêmes de telles pratiques d'appropriation. On voit donc comment
le travail identitaire se fait dans les deux sens, les interlocuteurs de Max ne
réagissant pas aux attributions implicites de leur vis-à-vis,
laissant ouverte l'idée d'une acceptation possible de cette
attribution.
Ensuite, on voit Max parler d'évidence lorsqu'il
qualifie ce qu'il vient d'annoncer, marquant donc une certaine fermeture,
fermeture qui annonce peut-être à ses interlocuteurs qu'il n'est
pas ouvert à la négociation. Il reconfirme encore à ses
interlocuteurs que MSF ne veut pas être associé à l'image
d'une école, en faisant appel à l'image classique de
l'école dans la mémoire collectiveÇtous les matins au
tableau>> (ligne 252). Puis, Max affirme et confirme en cela que MSF,
c'est une facon de faire et des habitudes: Ç a c'est pas, c'est pas la
facon que MSF fait>> (lignes 253-254). A la suite de cela, Max relativise
son propos et sa fermeté avec l'emploi de la première personne du
singulier, oü il sous entend que ce projet ne le dérange pas
complètement de facon personnelle, mais que c'est éventuellement
avec
son organisation qu'il n'est pas en phase: Ç Moi, moi
disons de prime abord, j'ai pas de gro::sses objec::tions
È (lignes 254-255). Max fait donc en quelque sorte appel à son
expérience personnelle, à son avis d'expert face à cette
requête. De plus, c'est aussi, en quelque sorte, une tactique pour ne pas
faire perdre la face à ses vis-à-vis. En effet, il ne leur dit
évidemment pas que leur projet est inintéressant et
irréalisable car ce serait alors une offense à leur encontre. Il
s'agit ici, pour Max, de répondre ni par oui, ni par non, mais de
laisser une ouverture tout en préparant ses interlocuteurs à la
non acceptation de leur requête telle qu'elle est présentée
aujourd'hui.
De plus, on voit comment Max opère ici un subtil
détachement entre son organisation et lui-même. Notons qu'en
invoquant de la sorte la facon de faire et les habitudes de MSF, Max
présentifie MSF dans l'interaction comme un être agissant dont il
ne serait qu'un simple porte-parole. Ë ce moment là, il n'est plus
l'incarnation de MSF, mais il travaille pour MSF. Il peut être ainsi en
train de montrer à ses interlocuteurs qu'il n'est pas totalement
décisionnaire dans cette histoire et que ce sont d'autres personnes
à MSF qui décident de ces implications. Cependant, contre toute
attente, il laisse une ouverture à ses partenaires pour
l'opérationnalisation de leur requête sans grosses objections,
ceci sous-entendant qu'il y aura de toute manière des objections,
mêmes petites. Autrement dit, c'est comme si Max leur disait, ÇJe
n'ai pas de grosses objections par rapport à ce que vous proposez, mais
ma (petite) objection, en quelque sorte, c'est que nous ne sommes pas une
école et qu'il n'y aura pas de formation formelle È.
Ajoutons que Max, à la ligne 256, invoque le Docteur
Luc, qui est un jeune médecin congolais qui travaille au coté du
chirurgien MSF à l'hôpital de Mumba. La raison pour laquelle Max
invoque le Docteur Luc semble être qu'il veut démontrer à
ses interlocuteurs que ce qu'ils demandent, MSF le fait déjà avec
lui, démontrant
ainsi sa générosité et son principe
d'apprentissage au quotidien. A la ligne 258, Guy confirme par un Ç
VoilàÈ le raisonnement ou du moins le propos de Max, marquant un
alignement entre les deux parties (et donc une co-construction identitaire
implicite). Puis, des lignes 260 à 264, le porte-parole de MSF poursuit
son raisonnement en justifiant le rôle de MSF dans la formation du
docteur Luc et la transmission du savoir au quotidien à la
manière MSF. Donc MSF appara»t ainsi implicitement comme
n'étant pas avare dans la communication de son savoir à
l'autre.
Cependant, des lignes 272 à 273, Max dit aussi que
l'action de MSF à l'hôpital nécessite du personnel
qualifié, l'organisation se présentant donc comme soucieuse de la
qualification de ses membres, laissant entendre que MSF fait donc, en quelque
sorte, les choses bien. Puis, des lignes 279 à 282, Max marque son
désir de conna»tre le point de vue de ses interlocuteurs sur les
conséquences pratiques de leur requête. Il renvoie en quelque
sorte la balle dans leur camp en leur demandant donc de formuler
l'opérationnalisation de leur demande et en les mettant ainsi devant
leurs responsabilités. Notons aussi qu'il prend la défense du
docteur Luc, car il comprend la requête de ses partenaires comme une
perte d'espace, donc de travail et d'apprentissage pour ce médecin.
284 Guy ((il parle avec un debit de parole relativement
rapide)) = Nonnon, ce n'est pas
285 de cette façon que nous avons pensé,
c'est-à-dire que Luc est là, vous
286 comprendrez l'autre fois on l'a dit, nous n'avons pas voulu
lui confier
287 de responsabilité parce qu'on savait que, il venait
à peine de terminer, qu'il
288 n'avait pas assez d'expérience raison pour laquelle
jusqu'à ce jour c'est docteur
289 Joseph qui qui porte qui porte les deux chapeaux, nous
l'idée c'est que la
290 personne que nous envoyons là-bas n'est pas là
uniquement pour la chirurgie
291 parce que avec le projet vous vous rendez compte que, il ya
un afflux massif de de
292 de malades et que la chir- que le volume de travail::
augmente. a sera aussi pour
293 nous une façon de désengorger un peu docteur
Joseph qui en fait doit
294 normalement s'occuper des aspects euh techniques
administratifs de la zone de
295 santé, le médecin qui sera là, il est
là pour une durée de de de trois mois. Et pour
296 ce qui est de la chirurgie euh c'est au chirurgien de voir
comment les utiliser.
297 Donc utiliser Luc et utiliser celui qui sera là. S'il
n'est pas euh:: au bloc ce jour -là,
298 il peut, peut être, être en médecin
interne ou en chirurgie euh en pédiatrie. Donc
299 c'est c'est de cette façon-là que nous, donc il
est là juste pour une période de 3
300 mois mais il bénéficie de de
l'expérience de de de du chirurgien MSF. S'il y a par
301 exemple dix interventions programmées pour la jour
née, Luc prend cinq, lui
302 prend cinq hein comme ça euh ils ils se relayent. Pour
nous le prob - le l'important
303 pour nous c'est que, évidemment ce sont des jeunes, il
y a d'autres interventions
304 qu'ils peuvent faire, d'autres non. Mais en voyant le
chirurgien MSF le faire, à la
305 longue, ils peuvent être a mesure aussi de le faire,
donc que, acquérir de cette
306 expérience-la. Je crois que c'est c'est de cette
facon-la que::
307
308 Tony Oui en fait on se dit sans doute avec l'intervention de
MSF, on aura l'afflux de::
309 de patients donc on aura besoin d'un personnel
supplémentaire. Et on se dit il ne
310 serait pas bien de prendre un médecin euh euh pour
neuf mois par exemple hein
311 alors qu'on pourrait potentialiser ce ce médecin-la.
On prend par exemple le
312 médecin de la zone de santé voisine qui vient
pendant trois mois tout en appuyant
313 l'équipe qui est la. Donc il fournit les services de
médecin il profite en même
314 temps de l'expérience des médecins qui sont la,
des médecins expérimentés MSF.
315 Et alors pendant les trois mois, il acquiert des
compétences, dès qu'il rentre dans
316 sa zo[
317
318 Guy [dans son hôpital
319
320 Tony Dans son hôpital, il améliore aussi dans sa
zone dans son hôpital. Et donc que, on
321 se dit ce serait une facon de de potentialiser de de faire en
fait d'une pierre=
322
323 Guy =deux coups=
324
325 Tony =Deux coups : on intervient, on améliore la
l'accessibilité, mais on améliore
326 aussi=
327
328 Guy =l'offre=
329
330 Tony =dans la périphérie. Donc c'est un peu ce
qu'on a pensé. Le seul euh, la la seule
331 préoccupation qui s'est faite c'est que euh, en
déplacant ces euh ce personnel-la, il
332 vase créer un beug = un vide
333
334 Max hum
335
336 Tony dans l'hôpital. Donc l'inspection a dit il y a un
médecin qui pourrait faire donc le
337 le le c'est un, c'est un autre médecin qui va aussi
bénéficier en fait de cette
338 formation mais en dernier lieu. Donc les trois derniers mois
ce médecin pourrait
339 alors se retrouver euh euh aussi pour cette formation=
340
341 Guy = Mais entre temps il couvre [les absences
342
343 Tony [il couvre les absences dans les autres centres=
344
345 Guy =des autres médecins dans les autres centres donc
quand il y a un médecin par
346 exemple dans la zone A qui est a Mumba, ce médecin-la
couvre son absence
347 pendant les trois mois=
348
349 Tony =les trois mois
350
351 Guy Quand le deuxième médecin de la zone B ira
a Mumba et que celui qui était a
352 Mumba revient a son poste, il couvre l'absence du
médecin dans la zone B
353
354 Tony voila
355
356 Guy et que lui sera le dernier a bénéficier de
ce passage=
357
358 Tony =ce déploiement
359
360 Guy deMumba
Des lignes 284 a 306, Guy répond a Max et, dans un
premier temps, lui signifie formellement qu'il n'est pas question d'enlever de
l'espace au docteur Luc a l'hôpital de Mumba au profit de ce projet et de
ce fait, redéfinit les conséquences de leur proposition. Puis il
invoque le docteur Joseph et son rôle dans l'hôpital comme
médecin et administrateur, laissant ainsi entendre que celui-ci est
débordé et qu'il a donc besoin de soutien, donc de
médecins supplémentaires. Guy semble ainsi
démontrer à Max que cette requête n'est
pas inconsidérée ou une lubie de leur part, mais bien une
nécessité, un besoin, qui est le résultat de
l'intervention de MSF à l'hôpital. Tony et Guy visent donc, en
quelque sorte, à responsabiliser MSF par rapport aux conséquences
de ses interventions, de sa présence/ingérence à Mumba.
MSF est donc implicitement présentée ici par ses partenaires
comme une charge de travail supplémentaire, car il y a une augmentation
de patients, donc de la charge de travail et par conséquent cela
amène une nécessaire réorganisation à leurs
yeux.
MSF est donc ici synonyme de changement perturbateur, une
attribution qui leur permet ainsi d'espérer qu'en retour,
donnant/donnant, MSF accepte, en compensation pour cette surcharge de travail
et ce mini bouleversement, de contribuer à l'apprentissage des
médecins qui se rendraient à son hôpital pour y travailler.
Selon eux, MSF doit donc comprendre qu'elle doit faciliter la tâche de
ses partenaires en acceptant la requête et ainsi permettre à
plusieurs chirurgiens d'apprendre de l'expérience du chirurgien MSF. Des
lignes 308 à 316, on voit Tony poursuivre le travail de
responsabilisation et d'appropriation de la requête de MSF que son
collègue a formulé. Il signifie alors que le but de
l'opération est d'utiliser le temps de présence de MSF à
l'hôpital pour optimiser le savoir et les compétences des
médecins/chirurgiens locaux: Ç Donc il fournit les services de
médecin il profite en même temps de l'expérience des
médecins qui sont là, des médecins
expérimentés MSFÈ (lignes 313-314).
L'issue de la requête du point de vue des partenaires
est donc de potentialiser la présence de MSF. Ainsi, MSF est
présentée de nouveau comme une opportunité à
saisir, l'idée étant de puiser dans les ressources que peut
offrir l'organisation à la région. Ë la ligne 325, Tony dit
qu'il est ainsi possible de faire d'une pierre deux coups, métaphore qui
indique la réalisation ou la résolution de
deux choses à la fois en une seule action. La
présence de MSF et de chirurgiens expérimentés est donc
implicitement présentée comme une opportunité pour
améliorer les compétences des chirurgiens, non pas seulement dans
la zone d'intervention de MSF, dans la zone de Mumba donc, mais aussi dans les
zones périphériques. Des lignes 336 à 360, Tony et Guy
montrent qu'ils ont déjà réfléchi à
l'opérationnalisation de leur proposition et qu'ils en ont
déjà parlé à des instances, invoquant par exemple
l'inspection médicale. De plus, ils donnent beaucoup d'informations sur
la faisabilité du projet, afin, semble-t-il, de montrer à Max que
celui-ci est raisonné et construit.
362 Tony Donc on a pensé que ce sera un système de
trois mois trois mois et donc à ce
363 moment-là, le coût coût
supplémentaire peut être cela que cela ça ça
pourrait
364 jouer, c'est c'est de dire est ce que MSF prévoit
payer donc un médecin
365 supplémentaire? Si tel est le cas ça serait
facile alors comme ça c e médecin qui
366 remplacerait irait prendre les primes de ceux qui euh qui
sont euh.
367
368 Max a pour l'instant, pour moi pour le point de vue
administratifeuh ça moi j'ai pas
369 d'enveloppe de prévu pour ça.
370
371 Tony Hum
372
373 Max Mon enveloppe est déjà, mon budget est
déjà fait
374
375 Tony Hum
376
377 Max Pour toute l'année 2006 euh on a sorti, on a
principalement prévu du personnel
378 infirmier=
379
380 Guy =infirmier
381
382 Max supplémentaire parce que c'est vrai de ce
cTMté -là euh euh qu'il y a des manques (.)
383 euh donc moi j'en ai pas, j'en ai malheureusement pas de
budget de ce cTMté-là
384 euh.
385
386 Guy hum hum
387
388 Max Euh après moi comme je vous dis j'ai pas euh de
prime abord j'ai pas de
389 d'objection qu'on puisse procéder comme ça de
cette façon-là
390
391 Guy humhum
392
393 Max euh euh à vous de voir Ðlà à
l'inspection provinciale, comme vous pouvez faire; est
394 ce que CEMUBAC, parce que moi je trouve que ça
s'inscrit euh directement dans
395 dans ce que le CEMUBAC veut faire en termes de
développement. Euh euh, moi
396 j'ai pas d'objection à ce qu'on le fasse en
collaboration sauf que du point de vue
397 administratif, moi j'ai pas pour l'instant j'ai pas cette
marge de manoeuvre-là.
398 Mon budget vient de passer en commission budgétaire
à Paris euh::: j'vais pas
399 pouvoir euh faire des ajouts de ce cTMté-là.
((il affiche un visage désolé et
400 compréhensif))
401
402 X Hum
Des lignes 363 à 366, on voit enfin Tony formuler
implicitement une
en charge le projet financièrement. Il déclare
ainsi: << le coüt coüt supplémentaire peut être
cela que cela ça ça pourrait jouer, c'est c'est de dire est ce
que MSF prévoit payer donc un médecin supplémentaire? Si
tel est le cas ça serait facile alors comme ça ce médecin
qui remplacerait irait prendre les primes de ceux qui euh qui sont euh
È. MSF est donc de nouveau positionnée comme une
opportunité, mais cette fois-ci en termes monétaires.
L'organisation MSF semble ainsi présentifiée comme une
possibilité de faciliter des projets de changement et
d'amélioration des systèmes partenaires. En ce qui concerne le
point financier, Max répond à ses interlocuteurs en disant:
<< a pour l'instant, pour moi pour le point de vue administratif euh
ça moi j'ai pas d'enveloppe de prévu pour çaÈ
(lignes 368-369). S'il se confirme implicitement comme décisionnaire
d'un point de vue financier, il en profite donc pour dire qu'il ne peut rien
faire pour eux de ce coté-là, prétextant que cela
n'était pas prévu.
A la ligne 373, Max invoque donc la figure du budget et c'est
ce budget qui l'empêcherait, selon lui, de donner suite à la
demande de financement: << Mon enveloppe est déjà, mon
budget est déjà fait È. MSF appara»t ainsi comme une
organisation qui prévoit et planifie les choses, de façon
comptable notamment. Des lignes 382 à 383, MSF, par
l'intermédiaire de Max, se présente comme une organisation qui
pallie les manques en matière de personnel dans ses interventions, cela
après les avoir constaté sur le terrain. Max est ainsi en train
de positionner MSF comme n'étant ni un bailleur de fonds, ni la
trésorerie de la région, mais une association qui dépense
son argent pour parer au plus urgent et répondre à sa mission.
Cependant, notons aussi que Max s'excuse implicitement
auprès de ses
proj et, laissant entendre qu'il est toujours favorable
à leur demande d'apprentissage sur le tas : Ç Euh après
moi comme je vous dis j'ai pas euh de prime abord j'ai pas de d'objection qu'on
puisse procéder comme ça de cette façon-là >>
(lignes 388-389) et Ç j'ai pas d'objection à ce qu'on le fasse en
collaboration>> (ligne 396). Puis, il les dirige vers un autre
interlocuteur pour le financement de leur projet, en invoquant son nom et sa
façon de faire: Ç parce que moi je trouve que ça s'inscrit
euh directement dans dans ce que le CEMUBAC veut faire en termes de
développement>> (lignes 394-395). Max renvoie ses interlocuteurs
à ce qu'il présente implicitement comme leur
responsabilité quant à la faisabilité financière de
leur projet. Il est à noter que Max invoque le CEMUBAC en l'associant au
développement. Par opposition, MSF est associé à l'urgence
et n'est donc pas apte à financer ce projet du point de vue de ses
principes de bases. C'est une collaboration qui est proposée et non une
prise en charge du projet. Max invoque aussi, à la ligne 398, la
commission budgétaire de Paris et par ce biais, il montre donc à
ses interlocuteurs qu'il n'est pas le seul décisionnaire et qu'il est,
en fait, un simple maillon de la structure internationale de MSF.
Cet extrait nous a montré comment des partenaires de
MSF peuvent en quelque sorte jouer sur l'identité de MSF en
tâchant de saisir les moindres opportunités que sa présence
peut leur offrir. Nous avons vu comment Tony et Guy tentent ainsi implicitement
de redéfinir l'action possible de MSF selon leurs
intéréts, mais aussi comment Max se pose en gardien de
l'image/identité que peut/doit avoir son organisation auprès de
son environnement, excluant certaines dimensions de l'action que peut poser son
organisation vis-à-vis de son environnement. On voit comment Tony et Guy
présentent implicitement et explicitement MSF comme détentrice
d'un savoir et d'une expérience à transmettre à l'autre
sur le terrain de ses
opérations, ce qui est confirmé par Max, même
si celui-ci ne veut pas parler de formation, comme eux le font, mais bien
d'apprentissage.
De plus, notons que Tony et Guy positionnent implicitement MSF
comme un déclencheur de changements et qu'à ce titre ils
demandent qu'elle se responsabilise et réponde fa vorablement à
leur requête. Max, quant à lui et en tant que porte-parole de MSF,
a tout au long de l'interaction fait une sorte de travail de Ç
défiguration È (notons que par défiguration, j'entend ici
déconstruction) des figures invoquées par ses interlocuteurs afin
d'asseoir et de les convaincre de sa propre vision de MSF, donc de la vision
qu'ils doivent en avoir. Cette interaction a démontré que la
co-construction de l'identité de MSF se faisait dans la
négociation, à travers un combat de mots et d'imag es, de part et
d'autre. Nous constatons alors qu'une requête peut être vue comme
une participation à la construction identitaire de l'organisation. Nous
avons aussi vu qu'être partenaire de MSF ne signifiait pas
forcément le fait d'en faire partie à part entière comme
un de ses membres, de pouvoir parler en son nom. Finalement, il semble que
l'identité de MSF fasse l'objet d'un contrôle de tous les jours
dans les interactions de ses membres avec leur environnement.
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