5.2.2. Analyse de la sequence
Comme nous le verrons, cette interaction sÕapparente en
réalité à une sorte de monologue avec, dans le rTMle
principal, Max, qui se présente comme un porte-voix de son organisation,
en lÕoccurrence Médecins Sans Frontières. Nous verrons que
le discours de Max est prepare car il regarde de temps à autres ses
notes. Par ailleurs, même sÕil sÕagit dÕun
monologue, nous verrons que Max met en scène un jeu de
questions/réponses quÕil sÕadresse, en quelque sorte,
à lui-même. Par cela, nous
verrons qu'il anticipe d'éventuelles critiques qui
pourraient être présentes dans la tête de ses auditeurs,
pour ensuite y répondre. On peut donc penser que Max tente ainsi de
réagir à priori aux opinions et images préconçues
que ses interlocuteurs pourraient avoir de son organisation.
4 ((Le chant d'un coq fait irruption tout au long de cette
séquence coupant
5 en partie la parole à Max, accompagné de
temps en temps de pleurs
6 d'enfants))
7
8 Max Euh:: les gens de MSF se présenter (.) commencons
peut -être par Jean-
9 Pierre =
10
11 Jean-Pierre =Oh oui je réponds au nom de Jean-Pierre
Barjavel (.) je suis
12 administrateur assistant MSF (.)
13
14 Isabelle Moi c'est Isabelle (.) je suis l'administratrice
à Béni (.) donc pour le
15 Nord-Kivu
16
17 Gérard Euh Gérard (.) je suis responsable des
ressources humaines de euh sur la
18 RDC (ASP) et: euh:: j'suis suis passé par
Kinshasa
19
20 Jonathan J'suis LOG admin euh de Kiwandja
21
22 Eric Ben Eric (.) euh: responsable euh: terrain ici euh: pour
MSF euh: à Mumba
23 et voilà
24
25 (3.0)
26
27 Docteur Joseph Ok on a demandé seulement à
l'équipe de: MSF de présenter euh sinon::
28 nous avons l'équipe de l'hôpital aussi (( se
tourne vers Max qui hoche la tête
29 en signe d'accord)) ils sont nombreux euh nous sommes
actuellement au
30 nombre de: cinquante:::
31
32 X Quatre
33
34 Docteur Joseph Quatre personnes et il n'y a pas moyen qu'on
donne à chacun la parole
35 pour se présenter. Au nom de l'équipe donc c'est
((fait des gestes avec les
36 bras)) euh c'est toute la c'est tout l'hôpital
qui est présent ici ((il s'enfonce
37 au fond de sa chaise et croise ses bras))
Au début de l'interaction (ligne 8), Max demande aux
personnes de MSF de se présenter. Par cette intervention, il marque sa
supériorité hiérarchique envers ses collègues en
leur demandant de se qualifier. Ceux-ci répondent favorablement à
sa requête en prenant la parole les uns après les autres; ils
choisissent tous de se présenter comme des personnes avec des fonctions
dans certains lieux, par exemple: Ç Moi c'est ?Isabelle je suis
l'administratrice à ?Béni È (ligne 14). C'est une sorte de
tour de table classique oü chacun prend la parole l'un après
l'autre dans l'ordre oü sont assises les personnes. Le suivant à
prendre la parole, avant Max, est le Docteur Joseph qui ne se présente
pas, mais prend la parole au nom du personnel de l'hôpital
de façon très brève (lignes 35-37),
choisissant, par souci d'économie, de présenter l'hôpital
dans son ensemble en disant Çc'est toute la c'est tout l'hôpital
qui est présent iciÈ (ligne 35), ce qui marque évidemment
un contraste avec la manière dont les représentants de MSF se
sont individuellement présentés. On peut aussi remarquer que tous
les intervenants (acteurs de MSF et partenaire) utilisent l'acronyme MSF et non
pas le nom ÇMédecins Sans Frontières È, pour parler
de l'organisation humanitaire, ce qui peut se traduire comme exprimant une
certaine familiarité avec elle.
39 (3.0)
40
41 Max Donc comme je vous ai dit hein c'est une rencontre
d'information d'abord
42 j'souhaite un peu vous présenter MSFtd'abord qu'est ce
que c'est MSFt
43 euh: à commencer par le Congo donc j'vous ai
déjà dit que MSF ben on
44 travaille au Nord-Kivu depuis euh: depuis 2002 on est aussi
présent dans le
45 Katanga euh laj'ai pas les dates ca fait déjà
euh: ça fait déjà plusieurs
46 années euh ya eu aussi ya aussi une équipe de
coordination qui est basée à
47 Kinshasa avec un chef de mission avec Gérard entre
autres qui travaille sur
48 les ressources humaines entre autres pour toute la RDC ya
Carole que
49 vous avez vue qui est la coordinatrice médicale euh:
qui travaille aussi qui
50 est basée à Kinshasa donc ya une Coordinationt
à Kinshasa ya une
51 coordination au Katanga et au Katanga ya un projet en cours
à Roukourou
52 ya un projet à Kitengi ya un un projet euh: à:::
=
53
54 Eric =Moukoubou=
55
56 Max =Moukoubou euh:: et ici au Nord Kivu euh: donc on a des
projets à Béni
57 on a des projets à Laika et des projets euh à:
Mumba (.) donc ça c'est c'est
58 pour la partie euh::: la partie que (.) donc tMSF ça a
été démarré en 1971
59 euh:: par des médecins français (.) ensuite de
ça le mouvement s'est
60 internationalisé ya d'autres sections (.)
opérationnelles qui sont venues (.)
61 donc Ya 5 sections donc yaMSF France ya MSF Hollande yaMSF
62 Belgique yaMSF Espagne et ya MSF Suisse (.) ces 5 sections
euh: sont
63 présentes au Congo (.) hein MSF Suisse ils sont
à Bougna MSF Hollande
64 ils sont aussi à Goma mais ils travaillent un peu plus
vers le sud Kivu ya
65 MSF Belgique qui est vers l'équateur et euh:: province
orientale ya MSF
66 Espagne qui est aussi dans le Katenga MSF Belgique ils sont
aussi à:: Kin-
67 ((se tourne vers Gerard)) à Kinshasa donc ya
quand mémet tdonc parfois
68 les cinq sections sont dans un pays parfois ya seulement une
section et ya
69 aussi des sections partenaires ya 12 sections partenaires
euh::
70
71 (2.0)
72
73 Max Qui participent à recruter du personnel à
recruter des fonds Euh:: MSF
74 Canada MSF Etats-Unis MSF euh:: Australie Japon Suède
donc ya: ya une
75 douzaine de- de sections partenairest
Après un léger silence, Max prend la parole sans
se présenter à l'assemblée comme il l'avait demandé
à ses collègues, puis il qualifie la situation présente de
rencontre d'information (ligne 41). Cet acte de qualification est
intéressant dans la mesure oü il définit/identifie pour son
auditoire ce qu'il est sur le point de faire:
présenter son organisation, leur offrant ainsi une
manière d'interpréter la situation. En prenant la parole devant
cet auditoire, Max parle au nom de son organisation MSF au sens
général, mais aussi, nous allons le voir, de façon plus
locale: << j'souhaite un peu vous présenter MSFtd'abord qu'est ce
que c'est MSFt euh: à commencer par le Congo>> (lignes
42-43). Le discours de Max va donc, selon lui, répondre à la
question <<Qu'est-ce que c'est MSF ? >> Cependant, nous verrons
que, de façon implicite, Max répond aussi à deux autres
questions : << Qui sommes - nous ? >> et <<Que faisons-nous ?
>> (à titre d'acteurs de MSF). L'intervention de Max répond
donc à ces interrogations qu'il s'est adressées à
lui-même et il s'en charge dans cet ordre, en donnant des
éléments de l'être de son organisation du
début de l'interaction à la ligne 165, puis des
éléments du faire c'est-à-dire de l'action de MSF
à l'hôpital de Mumba des lignes 166 à la fin. Nous allons
donc voir comment Max, qui se présente donc comme porte -parole de MSF,
communique sur ce qu'est et ce que fait son organisation. Nous observerons
ainsi à quels éléments il fait appel pour construire
l'image de MSF qu'il présente à l'hôpital de Mumba.
Dans sa présentation de MSF, Max choisit de commencer
en parlant de la présence de MSF au Congo. En faisant cela, il situe son
organisation de façon locale, avec des éléments
géographiques et temporels: << à commencer par le Congo
donc j'vous ai déjà dit que MSF ben on travaille au Nord-Kivu
depuis euh: depuis 2002 on est aussi présent dans le ?Katanga euh la
j'ai pas les dates ça fait déjà euh: plusieurs
années euh ya eu aussi ya aussi une équipe de coordination qui
est basée à Kinshasa>> (lignes 43-47). Max poursuit son
exposé en invoquant des projets. Par cela, on comprend des missions MSF,
dans plusieurs villes de la région pour finir par celle de Mumba qui
concerne l'assemblée réunie: << ya un projet en cours
à Roukourou ya un projet à Kitengi ya un un projet euh:
à::: = [É] [Moukoubou euh::
et ici au Nord Kivu euh: donc on a des projets a Beni on a des
projets à Laika et des projets euh à: Mumba>> (lignes
51-57).
En amorçant son propos avec ces éléments,
Max peut produire donc des effets de légitimation/justification de
l'action et la présence de MSF dans l'hôpital, cette justification
étant verbalisée par l'énumération des nombreuses
présences de MSF dans la région. Ainsi, de cette manière,
tout se passe comme si Max était en train de dire implicitement à
l'assemblée que MSF a l'expérience nécessaire pour
conduire une mission dans cet hôpital. Le passé et la
répétition valide donc, en quelque sorte, la présente
mission. Après avoir développé l'action de MSF au Congo,
Max présente alors l'organisation MSF de façon plus globale. Pour
cela, il revient très brièvement sur la fondation de
l'organisation pour ensuite s'attacher à sa nature présente,
d'envergure internationale: Ç donc tMSF ça a été
démarré en 1971 euh:: par des médecins français (.)
ensuite de ça le mouvement s'est internationalisé ya d'autres
sections (.) opérationnelles qui sont venues>> (lignes 58-60). Il
fait donc une invocation très rapide et presque mythique de la fondation
de l'organisation, pour ensuite s'attacher à développer en
détail la réalité du présent de l'organisation,
c'est à dire une organisation avec une présence internationale
avec différentes sections, mais qu'il rattache aussitôt au local
(lignes 61 à 75).
En invoquant de la sorte toutes les sections de MSF monde, Max
donne donc de la force et de la légitimité à la
présence de MSF dans cet hôpital. En quelque sorte, en faisant
appel à toutes ces organisations qui incarnent MSF, en les
présentifiant donc, il donne une valeur ajoutée à l'action
locale de MSF, l'inscrivant dans une certaine lignée, une certaine
histoire et une notoriété mondiale. En termes de travail
identitaire, on peut donc dire que l'intervention de Max définit son
organisation non seulement en termes locaux, mais également en termes
globaux, ce
qui revient à dire que par le biais de cette intervention
locale dans cet hTMpital, c'est aussi toute l'organisation
internationale qui se met à agir et opérer.
79 Max Meme si MSF France est basée on dit MSF France
parce que le siege est
80 basé à Paris hein mais c'est pas euh: ga a l'air
ga n'a /aucun /lien avec la
81 France (.) dans ce sens où euh: Tout le monde peut
venir travailler pour
82 une des sections opérationnelles. Moi meme par exemple
j'suis Canadien
83 j'suis pas Francais, mais j'travaille avec euh: avec MSF
France euh c'est
84 important parce que euh: quand on va revenir sur les principes
de MSF
85 entre autres le principe d'indépendance, on est
#?d'aucune fagon #?lié au
86 gouvernement frangais belge hollandais ou etc c'est du fait
que les Qu- les
87 les sièges sociaux soient basés dans ces
capitales là hein (.) donc ya ga \
88 euh (.) ((il sÕeclaircie la voix))
89
90 (2.0)
91
92 Max Donc les grands principes (.) de base de Médecins
Sans
93 Frontieres=Médecins Sans Frontieres donc c'est une
organisation médicale
94 (.) d'urgence euh: on intervient principalement dans des::
zones de conflit
95 euh dans des endroits oix ya eu des catastrophes naturelles
((bouge ses mains
96 et penche sa tete )) euh pour venir en appui euh aux
populations dans des
97 situations précaires dans des situations de danger (.)
donc c'est::: (.) le
98 cas ((bouge ses mains en faisant une sorte de
reverence)) au Congo
99 ((regarde ses notes sur la table )) et puis euh
d'urgence parce qu'on n'est
100 pas là en principe pour du long terme on fait pas de
de de développement
101 (.) on est là pour des des appuis ponctuels
dans des moments euh:: plus
102 difficiles euh:: dans des contextes euh:: souvent oix euh de
/violence (.)
103 donc ga ga c'est aussi une différence par rapport
à d'autres organisations
Apres avoir dressé le tableau d'un Médecins Sans
Frontieres d'envergure internationale, Max se penche plus
précisément sur MSF France, qui est la branche de l'organisation
pour laquelle il travaille (lignes 79-83). On remarque toutefois qu'il
s'empresse de dissocier cette organisation du gouvernement francais, une
dissociation qu'il marque par l'illustration de son cas personnel : « par
exemple j'suis Canadien j'suis pas Francais mais j'travaille avec euh: avec MSF
France » (lignes 82-83). Conscient en effet que le nom « MSF France
» puisse donner à penser à ses auditeurs que cette
organisation travaillerait pour le gouvernement francais, Max s'empresse donc
d'opérer une désidentification, synonyme pour lui
d'indépendance, en regard, en particulier du passé colonial de la
France (et ce meme si la RDC était jusque dans les années 60 une
colonie belge et non pas francaise). En termes de travail identitaire, on peut
donc noter (et ceci se confirmera par la suite) que Max insiste autant sur ce
que MSF est ou fait que sur ce qu'elle n'est pas ou ne fait pas.
L'exposé de Max se poursuit en abordant les fondements
de MSF, ce qu'il appelle les Çgrands principes de base de
Médecins sans Frontières>> (ligne 92). On notera en effet
que jusqu'à présent, il n'a pratiquement que fait un travail de
mise en situation de l'organisation dans le paysage congolais. Il amorce, par
contre, dès la ligne 92 une énumération et une explication
des valeurs de MSF, autrement dit de sa raison d'être. Les deux premiers
points sont abordés des lignes 93 à 102. Max informe ou rappelle
à son auditoire que MSF est une organisation médicale d'urgence,
en s'attardant à définir le principe médical et celui
d'urgence. L'aspect médical est exprimé ici par un des termes du
nom propre de l'organisation Ç Médecins >>, donc de facon
très claire, ainsi que par l'emploi du terme Ç appui >> qui
renvoie ici au fait d'aider et comme nous parlons de médecine, en
l'occurrence de soigner. L'aspect d'urgence, est quant à lui, beaucoup
plus explicité: en effet, le terme même est employé deux
fois. Il est aussi défini par Max dans un cadre particulier. Ainsi,
l'urgence, selon MSF (tel qu'interprété par Max, bien entendu),
c'est le cadre d'une zone de conflit, c'est une catastrophe naturelle, c'est
une situation de danger, c'est un contexte de violence.
Pour parfaire sa définition, Max inclut l'action de MSF
au Congo et justifie donc sa présence, ainsi que la nature de
l'organisation en disant: Ç donc c'est::: (.) le cas ((bouge ses
mains en faisant une sorte de révérence)) auCongo>>
(lignes 97- 9 8) . Mais l'urgence, toujours selon ses propos, cela s'estime de
manière temporelle. En effet, Max parle de moments, d'appuis ponctuels
et que ce n'est donc pas pour du long terme. De plus, dans le discours, il
semble y avoir une opposition forte entre l'urgence et le développement,
l'urgence étant associée à du court terme et le
développement à du long terme. Les points sont donc
expliqués de manière assez claire à l'aide d'exemples et
de détails. Cependant, Max précise, à la ligne 100, que
tout ceci est vrai <<en principe È, ce qui induit
un doute dans son discours. Ainsi, après avoir fait l'apologie du
caractère d'urgence auquel serait associé l' organisation MSF,
Max semble dire implicitement que ce n'est pas toujours le cas dans la
réalité. L'opposition entre court terme et long terme est donc
alors quelque peu remise en question par ces quelques mots.
Puis Max dit à la ligne 103 : << donc ça
ça c'est aussi une différence par rapport à d'autres
organisations È, marquant ici une différenciation de son
organisation par rapport à d'autres organisations humanitaires.
L'organisation MSF est donc aussi définie par ce qu'elle n'est pas. Son
identité, sa raison d'être est donc présentée comme
unique, différente des autres, des autres que Max invoque donc pour
asseoir l'originalité de son organisation et donc son importance. On
notera d'ailleurs que l'autre est sans nom, il n'est pas identifié
nommément, mais porte certaines caractéristiques que l'on
retrouve tout au long du discours de Max. Plusieurs indices apparaissent ainsi
dans son propos pour marquer la différence de MSF, la distinguer,
montrer qu'elle n'est pas semblable à d'illustres <<autres
È. Ce principe s'apparente clairement à une démarche
identitaire, une démarche d'individuation, qui consiste à se
distinguer des autres et à affirmer sa personnalité propre
(Lipiansky, 1993). La question est de savoir pourquoi il est important pour
Max, lorsqu'il présente son organisation, de la différencier, de
verbaliser cette différence. Y a-t-il donc ici un aspect qui peut porter
à controverse au sein de l'organisation et qui s'exprime dans le
discours du porte-parole de MSF? Mais nous pouvons aussi tout simplement dire
que Max, en pointant l'autre du doigt, est en train de construire
l'identité de son organisation, à travers un jeu de miroir entre
soi et l'autre, oü l'organisation se construit au regard de son
environnement et de ce qu'elle ne serait pas.
107 Max Comment MSF fonctionne pour son fi::nancement
((bouge ses mains))
108 donc c'est une association MSFt euh: 85 à 90 % des
Fonds (.) de
109 Médecins Sans Frontières sont des fonds
privés (.) c'est à dire que c'est
1 1 0 moi qui donne ((fait des gestes vers lui)) de
l'argent, mon frere, ma mere
111 ((fait des gestes vers le public dans la salle ))
votre frere, votre cousin, votre
112 oncle qui a 1$ qui a 5$ qui a 10$ et qui fait une donation
à Medecins Sans
113 Frontieres Donc c'est cet argent c'est avec cet argent
là que Medecins
114 Sans Frontieres euh arrive à faire des programmes
d'urgence euh:: dans les
115 milieux dans des contextes de violence ou dans des les
contextes ou ya des
116 catastrophes naturelles (.) Donc ca c'est le 85 à 90 %
et le 10 15 % restant
117 ya un peu de fond institutionnel, les institutions que vous
connaissez
118 comme Echo, USAid euh:: ou d'autres (.) donc ca aussi
c'est::: ca me
119 semble quand meme assez important dans la mesure où
Medecins Sans
120 Frontieres est une organisation tindependante (.) donc
on n'est pas euh:: on
121 n'est pas sujet à:: aucunes /politiques nationales euh
on n'est pas lie à
122 aucuns gouvernements on n'est pas /lie à aucunes
forces militaires donc
123 quand on intervient par exemple comme ici au Congo MSF,
par souci
124 d'independance euh:: Ne va pas faire taucuns convois
avec aucuns
125 militaires qu'ils soient FARDC ou qu'ils soient MONUC hein
euh par souci
126 #?d'independance euh pour pas creer de
tconfusion dans la tete euh des
127 populations et on soigne #?tout le monde (.) donc on
va soigner euh:: tous
128 les belligerants hein au conflit (.) du moment que ya un
blesse militaire
129 ben il devient non combattant ((fait des gestes avec une
main )), qu'il soit
130 FDLR, May May, FARDC euh:: ou autre (.) MSF ne fait
taucunes
131 tdiscriminations à la prise en charge euh:: des
patients (.) donc ca aussi
132 c'est un autre des principes ((fait un geste de la main
de soi vers le public))
133 importants de Medecins Sans Frontieres on on soigne tout
le monde
134 sans aucunes discriminations ((compte avec ses
mains)) de religion de politique
135 euh:: d' ethnie de de et de groupe euh donc pas de
politique pas de religion
136 pas:: de de d'ethnie on est là pour soigner tout le
monde ca aussi c'est un
137 autre des principes euh::fondateurs de Medecins Sans
Frontieres
138
139 (5.0) ((Chant dÕun coq et silence dans la
salle))
Max explique ensuite le volet financement de l'organisation
MSF des lignes 107 à 118. Pour cela, on voit qu'il
materialise/concretise, en quelques sorte, le principe du don en parlant de
petites sommes d'argent et en faisant intervenir dans son exemple sa propre
identite, des membres de sa famille, ainsi que des membres de la famille de ses
interlocuteurs : « c'est moi qui donne ((fait des gestes vers
lui)) de l'argent, mon frere, ma mere (( fait des gestes vers le
public dans la salle)), votre frere, votre cousin, votre oncle qui a 1$,
qui a 5$, qui a 10$ et qui fait une donation à Medecins Sans Frontieres
j. » (lignes 109-113). Cet exemple permet non seulement de concretiser un
principe, mais aussi de donner un visage et une identite à la figure du
donateur. Dans un sens, cette image d'un donateur familier permet de
positionner implicitement MSF comme etant responsable face à cet argent,
car cet argent qui est utilise dans le cadre de la mission, ce n'est pas de
l'argent venu de collectifs sans visage (un gouvernement, des bailleurs de
fonds), il porte le visage de son donateur.
De plus, on notera que Max ne parle pas de grosses sommes
d'argent dans son exemple. Il situe le don d'un particulier entre 1 et 10 $, ce
n'est donc pas enorme si
l ' on considère les coüts qu'engendrent la
présence et l'action que peut avoir MSF au sein d'un hôpital. Les
coüts financiers de la mission de MSF représentent donc les
économies de plusieurs milliers de particuliers et en
conséquence, il faut éviter les gaspillages. Ainsi, tout se passe
comme si MSF, selon Max, ce n'était pas que le nom d'une organisation,
une organisation qui est connue ou méconnue de la part de ses
interlocuteurs, mais ce sont aussi des gens qui font des dons, des proches qui
donnent quelques dollars, pour rendre possible des interventions d'urgence. En
faisant appel à la figure de << Monsieur tout le monde>> et
en prenant l'exemple de petites sommes d'argent, Max cherche sans doute
à donner à MSF un visage humain dans la mesure oü MSF
travaille certes pour les populations en danger, mais aussi au nom de Monsieur
et Madame tout le monde qui s'avèrent être ses bailleurs de fonds.
De plus, il met aussi en évidence une certaine responsabilité
financière qui incombe aux acteurs de la mission prise en charge par
MSF.
Cet aspect financier de l'organisation appara»t comme un
tremplin pour aborder un sujet qui semble être important aux yeux de Max,
soit l'indépendance de MSF, car celui-ci l'annonçait
déjà, avant de présenter l'organisation: << c'est
important parce que euh: quand on va revenir sur les principes de MSF entre
autres le principe d'indépendance>> (lignes 83-85). Le financement
et l'indépendance de MSF apparaissent donc comme intimement lié:
<< ça me semble quand même assez
important dans la mesure oü Médecins Sans
Frontières est une organisation tindépendante>>
(lignes 118-120). Dans un premier temps, il traduit donc l'indépendance
de l'organisation d'un point de vue monétaire: être
indépendant signifie pour lui que la trésorerie de l'association
soit constituée de dons de nature privée et non,
institutionnelle. Max continue cependant sa définition de
l'indépendance en apportant de nouveaux éléments: <<
donc on n'est pas euh:: on
n ' est pas sujet à:: aucunes politiques nationales euh
on n'est pas lié à aucuns
gouvernements on n'est pas lié à aucunes forces
militairesÈ (lignes 120-122). On notera ici que la traduction est ici
faite ici par la négation: être indépendant selon MSF
(selon Max, bien entendu), c'est ne pas être assujetti à des
politiques nationales, ne pas être lié à un gouvernement et
ne pas être lié à une force militaire.
On constate donc que le travail de définition est
encore une fois réalisé par Max par le biais d'une
différenciation. Il y a donc un fort travail de dissociation de sa part
et par sa voix, de son organisation, pour faire en sorte que MSF apparaisse,
une nouvelle fois, comme unique. Ce concept d'indépendance qui se
présente comme un principe important de MSF, est donc traduit
concrètement par Max, porte-parole de l'organisation, qui livre ici sa
version ou traduction de l'indépendance. Ajoutons que pour
matérialiser ce concept fort d'indépendance et traduire donc, en
quelque sorte, l'être par le faire, Max donne des exemples concrets des
lignes 122 à 130: Ç donc quand on intervient par exemple comme
ici au Congo MSF par souci d'indépendance euh:: ne va pas faire
taucuns convois avec aucuns militaires qu'ils soient FARDC ou qu'ils soient
MONUC hein euh par souci td'indépendance euh pour pas
créer de tconfusion dans la tête euh des populations et on
soigne ttout le monde (.) donc on va soigner euh:: tous les
belligérants hein au conflit (.) du moment que ya un blessé
militaire ben il devient non combattant ((fait des gestes
avec une main)) qu'il soit FDLR, May May, FARDC euh:: ouautre
È.
Notons que Max emploie deux fois le mot Ç souci
È, un terme qui traduit un intérêt fort, une
préoccupation importante, ce qui confirme donc un besoin sérieux
qu'aurait MSF de revendiquer son indépendance. De ce fait, MSF est
implicitement présenté comme animé par le souci de son
indépendance, souci qui enjoint cette organisation à ne pas faire
certaines choses, comme être convoyé par des militaires.
Cela veut donc dire concrètement que MSF refuse une
protection de ses déplacements par des militaires. MSF est donc
présentée comme habitée par un souci d'indépendance
qui se traduit en des actions concrètes. Si l'on étend cette
idée et en considérant que l'action de MSF se concentre en grande
partie dans des contextes de violence, la sécurité de MSF n'est
donc pas assurée à proprement dit par les armes, mais semble t-il
par la parole. On pourrait, en effet, avancer que Max est donc aussi en train
d'assurer la sécurité de son organisation et surtout de son
personnel, en donnant ce type d'informations dans son discours, d'oü
l'insistance dans ces propos sur ce sujet. Ce fort souci d'indépendance
peut donc s'assimiler à un outil de protection de l'action de MSF et non
comme une simple idée évoquée dans un discours. Il agit en
tant que tel comme bouclier pour anticiper d'éventuelles
présomptions qui pourraient mettre en danger les acteurs de MSF et la
légitimité de leur action. Nous avons vu avec quelle force Max
fait en sorte d'attacher le principe d'indépendance à
Médecins Sans Frontières. Cependant, dans un sens, ce fort souci
d'indépendance le rend en quelque sorte dépendant de ce souci
là précisément. En effet, il est déjà et
avant tout dépendant de l'image qu'il renvoie à son
environnement, comme aux populations et aux gouvernements notamment, une image
qui peut le précéder et qu'il est obligé de
négocier dans ses interactions pour essayer de la faconner en
adéquation avec la réalité qu'il veut projeter. Il est
donc dépendant de son discours officiel; sous entendu, MSF est
dépendant de son discours.
Ce souci d'indépendance qui anime MSF, selon Max,
semble aussi s'apparenter à un souci de clarté car il dit qu'il
n'est pas question de créer de la confusion dans la tête des gens.
Le message doit être compris, il doit être clair et consiste
à dire: Ç on soigne ttout le mondeÈ (lignes
126-127). Parler de confusion
renvoie à l'idée de prendre une chose pour une
autre. Il s'agit donc, via le discours de Max, de présenter un tableau
unique, de marquer la différence de son organisation, pour qu'elle ne
soit pas confondue avec une autre qui prendrait partie dans un conflit. MSF,
à travers Max, se montre donc soucieuse de l'image que la population a
de ses activités et de ce qu'elle est. En disant que MSF soigne tout le
monde, Max présente un nouveau principe dans la discussion qu'il
verbalise concrètement des lignes 130 à 131 : << MSF ne
fait taucunes tdiscriminations à la prise en charge euh:: des patients
(.) donc ça aussi c'est un autre des principes >>. Il s'agit donc
du principe de non-discrimination, principe qui est traduit, de nouveau
concrètement par des exemples locaux quand il dit: << qu'il soit
FDLR May May FARDC euh:: ou
autre >> (lignes 129-130), évoquant les
différentes milices ou armées qui s'affrontent dans la
région.
De plus, MSF, par l'intermédiaire de Max, se charge de
définir clairement ce qu'est la discrimination à l'aide d'un
exemple: << on va soigner euh:: tous les belligérants hein au
conflit (.) du moment que ya un blessémilitaire ben il devient non
combattant>> (lignes 127-129). MSF, en disant cela, se donne donc
implicitement le droit de déclarer qu'un combattant, lorsqu'il est
blessé, n'est plus considéré comme tel et obtient, du
méme coup, le statut de patient. MSF, en définissant la situation
ainsi, fait donc un travail de classification, le public étant là
juste pour prendre acte de cette réalité et recevoir/faire sien
ce message. Des signes non verbaux sont aussi là pour confirmer cette
action: << ((fait un geste de la main de soi vers le
public))>> (ligne 132). Mais le public est aussi là pour
comprendre et appliquer les principes de MSF. En effet, Max se charge aussi de
définir ce que sont les discriminations dont ils parlent aux lignes 130
et 133. Les discriminations sont nommées deux fois à la suite par
Max (lignes 134 à 135): elles concernent les
religions, la politique, les ethnies et les groupes, qui sont,
en effet, au vu de la situation particuliére du Congo, souvent sources
de conflits, voire de massacres. LÕeffet de repetition est donc surement
employé pour marquer lÕimportance de son propos et permettre
à ce dernier d'être bien saisi par ses interlocuteurs.
Max finit son tour de parole en disant : Ç on est
là pour soigner tout le monde ca aussi cÕest un autre des
principes euh:: fondateurs de Médecins Sans Frontiéres È
(lignes 135-137), il ne parle pas ainsi juste de simples principes, mais de
principes fondateurs. Le fait de parler de principes fondateurs renvoie aux
origines de lÕorganisation, cÕest à dire ce qui est de
lÕordre du non négociable, quÕon ne peut pas remettre en
question et quÕil faut appliquer. Max est donc en train de faire
implicitement une injonction à lÕassemblée, afin que tous
appliquent sans discuter ces principes.
141 Max Que dire dÕautre ? (.) sur Médecins Sans
Frontières
142
143 (6.0)
144
145 Max ((Max se tourne vers la droite oh se trouve les
collaborateurs de MSF et
146 sÕadresse à eux)) Des choses à
ajouter ? (.)
147
148 Max tDes questions par rapport à ga ? ((Max se
tourne vers le public de la salle ))
149
150 (12.0)
151
152 Max Pas de questions (.)
153
154 Docteur Joseph Ou bien on nÕa pas de soucis, ga arrive
aussi ((rire et décroise ses bras))=
155
156 ((Max et quelques personnes rigolent dans la
salle))
157
158 Max =Si ya des choses si ya des choses qui sont pas claires
((Docteur Joseph
159 recroise ses bras en souriant)) faut pas se
gêner ((le visage de Docteur
160 Joseph se ferme)) hein euh
161
162 (5.0)
Des la ligne 141, Max semble avoir fini son exposé ou
du moins la partie de son exposé quÕil avait consacrée
à la question : Ç quÕest ce que cÕest MSF
È (ligne 42). Il a donc, semble-t-il, fait le tour de la question et
para»t ne plus savoir quoi dire dÕautre sur ce point ; un silence
suit cette interrogation. Il se tourne alors vers ses collaborateurs, comme
à la recherche dÕun soutien ou dÕune precision par
rapport à ce qu'il vient de dire (lignes 145-146). Il
leur propose ainsi de participer à la présentation de
l'organisation, du moins si celui-ci n'a pas déjà tout dit sur
MSF. On retrouve ici la figure associative de MSF, l'idée que chacun est
un membre de valeur de l'organisation, peu importe sa place dans celle-ci, que
chacun a la parole et peut donner son avis. Puis il cherche à faire
participer l'auditoire (ligne 148), répondant peut-être ainsi
à un souci de clarté, le but étant que son discours soit
compris pour que l'application des principes de MSF soit effective par les
partenaires de MSF. Il laisse le temps (ligne 150) à ses interlocuteurs
de lui poser des questions, mais ceux-ci restant muets, Max réagit en
notant à la ligne 152 que personne ne semble vouloir poser de questions.
La classique paire question/réponse n'est donc pas visible et
respecté dans l'interaction.
Le Docteur Joseph intervient alors en associant la demande de
questions d'un coté, à l'annonce d'un problème de l'autre.
Il prend la parole pour ses employés et se repositionne comme directeur
de l'hôpital: Ç Ou bien on n'a pas de soucis, ça arrive
aussi ((rire et décroise ses bras))=È (ligne 154). Son
intervention et surtout son rire semblent être là pour
détendre l'atmosphère et démontrer une certaine
solidarité vis-à-vis de Max. Le non verbal nous donne aussi des
indications sur l'état d'esprit d'une personne dans le cadre de
l'interaction, mais il est difficile d'interpréter le fait que le
Docteur Joseph soit très souvent les bras croisés.
Jusqu'à présent, nous avons vu que Max, à
travers son discours, a présenté ce qu'est l'organisation MSF
à un auditoire composé du personnel de l'hôpital de Mumba.
Pour cela, il a invoqué des principes et les a donc
présentés. Nous avons également vu comment il a aussi
inséré l'action de MSF dans un cadre international tout en
donnant des exemples locaux, donc intelligibles pour le public qui
l'écoute. En somme, Max a dressé un tableau illustré d'une
certaine vision de Médecins Sans
Frontières. Il a donc posé les pierres qui lui
permettent dès lors de parler de la mission qui se déroule
à l'hôpital de Mumba et qui intéresse tout
particulièrement son auditoire.
162 (5.0)
163
164 Max si ya des questions qui vous reviennent plus tard (.) il
sera toujours temps
165 (.) ((DocteurJoseph fait un signe d'accord en hochant la
tête)) par rapport
166 à ça donc maintenantj'voulais un peu::: revenir
un peu::: aussi sur
167 l'entente euh:: que nous avons prise ici (.) avec les
autorité sanitaires
168 avec le bureau central avec euh l'hôpital avec le
comité de gestion euh de
169 l'hôpital donc on a signé un protocole d'ent euh
d'accordt qui a
170 commencé le 7 ((se tourne vers Eric et Docteur
Joseph)) Octobre
171 ((Docteur Joseph hoche de la tête pour montrer son
accord)) (.) j'vais
172 revenir un peu sur l'esprit/ de cet accord làde cette
entente là qu'est ce que
173 ça veut direcomment on va faire comment on va mettre
en place quels
174 moyens on vase donner pour faire ça (.) donc comme je
vous ai dit on a
175 prit un p'tit peu on a prit on supporte l'hôpital
à Laika aussi donc c'qu'on
176 c'qu'on souhaite faire donc le système de
santé congolais euh::: le
177 principe c'est que d'abord les gens doivent aller consulter
dans un soit
178 dans un poste de santé soit dans un centre de
santé euh c'est la première
179 ligne (.) si ça:: si ya besoin de soins
supplémentaires àce moment là on
180 doit référer soit vers le centre de
santé de référence soit vers l'hôpital euh
181 de référence ((Docteur Joseph tousse))
donc l'idée pour MSF ce n'est pas
182 de tca::sser ((fait des gestes de guillemets avec
ses doigts)) le système on
183 est pas là euh::: pour défaire tout mais pour
venir en appui euh les
184 populations ici subissent des violences depuis maintenant
plusieurs années
185 du fait de ces violences là déplacements de
population paupérisation de la
186 population qui a difficilement accès euh aux soins
plus particulièrement
187 aux soins secondaires oü on peut sauver beaucoup de
vies euh:: avec les
188 soins secondaires donc l'idée c'est de faire un appui
essentiellement sur
189 les soins secondaires pour que les soins primaires puissent
continuer à
190 fonctionner dans le système de recouvrement des couts
que les gens
191 puissent continuer à avoir confiance de ce
système là tout en sachant que
192 si ya un gros pépin ben que les centres de
santé vont référer les patients
193 vers l'hôpital et qu'à l'hôpital ils
pourront être pris en charge gratuitement
194 (.) euh donc ça aussi c'est une une politique de
Médecins Sans Frontières
195 quand Médecins Sans Frontières fait un appui
euh::: soit à un hôpital ou
196 dans d'autres circonstances dans un camp de
déplacés ou etc tMédecins
197 Sans Frontières fait toujours des soins
tgratuits (.) euh on n'est pas un
198 tbailleur de fond #?Médecins Sans
Frontières ne va pas tDonner ((fait des
199 gestes avec ses mains notamment vers Docteur
Joseph)) de l'argent à un
200 centre de santé ou à unhôpital etc etc
Médecins Sans Frontières est une
201 organisation indépendante on fait euh Médecins
Sans Frontières fait tout
202 par lui tmême c'est à dire qu'il va pas
donner d'argent ou des médicaments
203 sans être tPrésent (.) euh:: toujours en
travaillant en collaboration
204 évidemment avec les gens qui sont déjà
dans ces dans ces structures là hein
Des lignes 164 à 166, Max exemplifie implicitement une
qualité d'écoute de MSF à l'encontre de ses partenaires
locaux, puis il annonce le sujet de la prochaine question qu'il va aborder dans
son discours: Ç donc maintenant j'voulais un peu::: revenir un peu:::
aussi surl'entente euh:: que nous avons prise ici (.) avec les autorité
sanitaires avec le bureau central avec euh l'hôpital/ avec le
comité de gestion euh de l'hôpital/ donc on a signé un
protocole d'ent euh d'accordt qui a commencé le 7 ((se tourne vers
Eric et Docteur Joseph)) OctobreÈ (lignes 166-170). Ainsi,
Max invoque une entente, un protocole d'accord, c'est à
dire un contrat signé et daté. Les acteurs qui prennent part
à ce contrat sont de poids, il s'agit de MSF, donc une grosse machine
associative représentée par Max et des acteurs de la RDC, avec
les autorités sanitaires, le bureau central et l'hôpital de Mumba
représenté par son comité de gestion. L'auditoire de la
réunion est donc là pour prendre acte de cette information,
information de taille car elle les dépasse, tout en les y
insérant car ce sont des acteurs d'un des partenaires invoqués
dans ce protocole. Max fait donc un travail de positionnement de l'action de
MSF dans une structure légale et approuvé par des
autorités. Après avoir vu que l'identité de MSF
était composée d'idéaux, il semble que celle-ci soit aussi
très opérationnelle et construite de façon très
pratique dans l'action par ses acteurs et ses partenaires. L'entente est donc
quelque chose sur laquelle les différentes parties se sont mises
d'accord, impliquant donc une co - construction de l'identité de MSF
dans le cadre d'une action locale. L'identité de MSF appara»t comme
quelque chose qui est conclue et indiquée dans l'entente dans la mesure
oü il y a un accord sur ce que fait et ce qu'est son intervention.
Après avoir informé son auditoire de la
présence d'un nouvel acteur dans l'environnement de l'hôpital,
Max, poursuit en procédant avec un mode plus explicatifoü il met en
scène cet acteur, c'est à dire l'entente. En effet, des lignes
171 à 172, il dit qu'il souhaite revenir sur l'esprit de l'entente et du
protocole. Il va donc le faire parler et d'une certaine manière, on peut
penser ici à un effet de ventriloquie. Max se donne donc comme objectif
de répondre à ces questions: Ç qu'est ce que ça
veut direcomment on va faire comment on va mettre en place quels moyens on va
se donner pour faire çaÈ (lignes 172-174). Les réponses
à ses questions vont donc servir à présenter l'esprit du
protocole d'accord, c'est-à-dire les intentions qui sont traduites par
ce texte. Max va donc donner les clefs de la mise en Ïuvre de l'action
humanitaire à son auditoire et pour cela, il invoque
dans un premier temps deux autres acteurs, qui sont l'hôpital de Laika
(ligne 175) et le système de santé congolais (lignes 176-181).
L'hôpital de Laika a déjà
été invoqué dans le discours de Max comme exemple de
l'intervention de MSF dans une structure locale équivalente à
l'hôpital de Mumba. Cet acteur est donc mis en scène afin de
démontrer à l'auditoire l'expérience et le savoir-faire de
MSF dans des partenariats locaux équivalents à celui qui fait
l'enjeu de la discussion de cette réunion d'information. Max ne rentre
pas dans les détails de l'intervention de MSF à l'hôpital
de Laika. Il semble que sa simple invocation suffise à donner le poids
qu'il souhaite à son discours. Cependant, il est à noter que
lorsqu'il invoque cette structure, Max commet un lapsus, qui est quand
même à souligner : Çon a pris un p'tit peu on a pris on
supporte l'hôpital à LaikaÈ (lignes 174-175). En effet, Max
semble hésiter pour décrire l'intervention de MSF dans cet
hôpital entre les verbes prendre et supporter. Ces deux verbes
n'induisent pas les mêmes conséquences pratiques, ce qui laisse
à penser que ce lapsus nous montre peut-être une différence
entre la réalité et le discours dans le cadre des partenariats et
ententes que MSF établit avec ses partenaires.
Aussi, de facon implicite, il semble que ce lapsus nous
présente l'image d'une organisation qui, dans la réalité
de l'action et non sur le papier, a une certaine main mise ou un certain
contrôle sur ses partenaires. Ensuite, Max poursuit en s'attachant
à décrire le second acteur qu'il mobilise dans son exposé,
c'est à dire le système de santé congolais. Il invoque ce
système en parlant de principe, ce qui signifie que normalement, c'est
quelque chose que les gens se doivent de respecter, la responsabilité
n'étant pas donc pas du coté de MSF, mais du coté des
Congolais eux- mêmes. De plus, en invoquant de la sorte le système
de santé congolais, MSF (selon
Max, bien entendu) reconna»t donc un système
établi dans le cadre oü il opère et par rapport auquel il
s'intègre. MSF se positionne donc, à travers Max, comme une
organisation consciente de son environnement et qui agit en partenariat avec
celui-ci. Cette idée est clairement verbalisée par Max des lignes
181 à 183 : Ç donc l'idée pour MSF ce n'est pas de
tca::sser ((fait des gestes de guillemets avec ses doigts)) le
système on est pas là euh::: pour défaire tout mais
pour venir en appuiÈ. En terme d'identité organisationnelle, on
peut traduire le fait de ne pas vouloir casser le système comme la
présentation d'une organisation respectueuse de l'ordre établi.
MSF est donc identifiée comme n'étant pas destructrice de son
environnement. On voit ici que Max tente de déconstruire une idée
qui pourrait être préconcue par ses interlocuteurs.
De plus, Max ajoute que le but de MSF, dans ce cadre, c'est de
venir en appui, donc de supporter une action et d'aider à sa mise en
place. En conséquence, c'est une image altruiste et
généreuse de MSF qui est véhiculée lorsque Max
parle d'appui. Cependant, si Max trouve le besoin d'aborder ce point, on peut
se dire que ce n'est pas anodin et qu'il doit y avoir des raisons. Une des
raisons probables est sürement de répondre, à travers son
intervention, à d'éventuelles critiques qui peuvent être
faites à l'encontre de Médecins Sans Frontières, comme par
exemple le fait de se comporter en territoire conquis en ne prenant pas compte
du système de santé en place. Aussi, il semble que Max
réagisse en prévision de critiques à travers un discours
de justification oü il fait intervenir les figures de l'écoute et
de la compréhension. Cette réaction montre que le discours de Max
est assez rodé et que MSF a l'habitude des critiques et qu'elle met en
scène un contre discours qui est donc préparé. En
conséquence, cela nous permet de dire que les critiques poussent
à la réaffirmation d'une certaine identité. Ainsi, en plus
d'être chef de mission chez
MSF , Max est aussi un garant de son image. Ë travers la
parole, il tente ainsi de gommer les tâches éventuelles qui
pourraient venir ternir l'image de son organisation. En effet, le discours de
MSF, par l'intermédiaire de ses porte-parole, s'efforce implicitement et
explicitement dans les interactions, d'écarter la critique qui lui est
faite par ses partenaires locaux de casser ou du moins de perturber le
système de santé local. Il s'avère cependant que les
interventions de MSF ont un impact sur le système et que d'une certaine
manière on peut dire que MSF casse quand méme, ne serait-ce qu'un
peu, le système comme cela a été abordé dans
l'article << A humanitarian organization in action : organizational
discourse as an immutable mobile >>, écrit par Cooren, Matte,
Taylor & Vasquez (2007).
Puis, Max reprend son travail de justification, en s'attelant
à légitimer la présence de MSF au Congo, pays oü de
nombreuses violences sévissent, violences qui ont des
conséquences humaines dramatiques qui correspondent aux domaines
d'intervention de l'organisation (lignes 183-187). Cet historique et cette
réalité viennent donc appuyer et légitimer la
présence de MSF, car elle répond aux principes et à la
nature méme du rTMle de Médecins Sans Frontières qui est
avant tout de sauver des vies, comme cela est verbalisé par Max:
<< on peut sauver beaucoup devies>> (ligne 187). MSF
répond donc à une demande, demande qui est faite, en quelque
sorte, par la réalité de la situation. La population est en
danger et a besoin d'aide, besoin de soins: << doncl'idée c'est de
faire un appui essentiellement sur les soins secondaires>> (ligne
188-189). Il est à noter que le système de santé congolais
est compartimenté en deux niveaux de soins de la population, les soins
primaires et les soins secondaires. Les soins primaires se concentrent sur les
soins médicaux de base, tandis que les soins secondaires
nécessitent des soins chirurgicaux et une surveillance médicale
accrue. Max répète trois fois que dans le cadre de cette
mission, MSF ne va s'impliquer que dans les soins secondaires
et pas dans les soins primaires (lignes 187-189). Cette insistance semble
démontrer le fait qu'il souhaite bien se faire comprendre de son
auditoire et faire passer son message.
Puis, Max poursuit en invoquant le système de
recouvrement du coüt de soins et en souhaitant que les centres de
santé, qui font partie des soins primaires, travaillent main dans la
main avec l'hôpital, qui couvre plutôt les soins secondaires
(lignes 188-193). Max précise aussi qu'il faut que la population
continue à avoir confiance en ce système, la question se posant
alors de comprendre pourquoi il parle ici d'un éventuel problème
de confiance de la population et le lien qu'il fait implicitement avec la
présence de MSF à l'hôpital de Mumba. L'explication
possible à cette question se trouve, vraisemblablement, lorsque Max
évoque la gratuité des soins qui vont être donnés
à l'hôpital: Ç à l'hôpital ils pourront
être pris en charge gratuitement È (ligne 193). Cette
gratuité des soins est présentée comme une politique
affiliée à l'intervention de Médecins Sans
Frontières (lignes 194-197), cela fait partie de son identité, de
ses habitudes. Il appara»t alors que MSF est aussi
représentée par ses politiques et notamment sa politique
concernant la gratuité des soins dans ses interventions. D'un point de
vue identitaire, la gratuité des soins procurés par MSF à
la population démontre son désintérêt dans une
optique de don de soi. L'organisation est ainsi ici dans une logique de type
missionnaire.
On notera donc que, depuis le début de son
intervention, Max dresse petit à petit un tableau de son organisation.
Il a ainsi évoqué des principes dans la première partie de
celle-ci et il continue ce cheminement même lorsqu'il parle du cadre
opérationnel de l'action de MSF à l'hôpital de Mumba.
Aussi, on peut dire que Max réalise un travail de positionnement par des
effets de ventriloquie, afin de présenter son organisation comme une
entité très structurée (principes, politiques,
habitudes,
protocoles) qui s'impose inévitablement dans son
discours. En conséquence, on peut concevoir que MSF peut ainsi produire,
par son représentant, Max, un effet massif qui peut intimider
ou désarmer son interlocuteur et le forcer à s'adapter. Il n'y a
donc pas d'égalité effective entre MSF et ses partenaires,
même si celle-ci est spécifiée par la signature d'ententes
qui amènent des partenariats. On comprend donc comment il semble
difficile pour l'auditoire de questionner ou de critiquer MSF, alors que leur
implication est indispensable au fonctionnement de MSF. S'il y a
co-construction de l'identité de MSF, on voit donc qu'une telle
co-construction se fait essentiellement par l'affirmation d'une identité
d'un coté (celle de MSF par Max) et la reconnaissance, la traduction ou
le rejet possible de cette même identité par ses interlocuteurs,
lesquels, ne prennent jamais la parole. Autrement dit, on ne voit, à
aucun moment, de négociation de l'identité de MSF à
travers la parole.
Des lignes 197 à 204, Max présentifie clairement
son organisation: << on n'est pas un tbailleur de fond
tMédecins Sans Frontières ne va pas tdonner ((fait des gestes
avec ses mains notamment vers le Docteur Joseph)) de l'argent à un
centre de santé ou à un hôpital etc. etc. Médecins
Sans Frontières est une organisation indépendante. On fait euh
Médecins Sans Frontières fait tout par lui tmême
c'est à dire qu'il va pas donner d'argent ou des médicaments sans
être tprésent (.) euh:: toujours en travaillant en
collaboration évidemment avec les gens qui sont déjà dans
ces dans ces structures là hein È. Dans sa présentation,
Max réaffirme ainsi de nouveau le principe d'indépendance de MSF,
un principe qui est invoqué pour justifier le fait que MSF ne donne pas
de l'argent ou du matériel à une structure médicale sans
être présent physiquement. Dans cette intervention, MSF (selon
Max, bien entendu) est défini comme n'étant pas un bailleur de
fond, mais comme étant une organisation autonome et capable d'agir seule
<<Médecins Sans Frontières fait
tout par lui ?même » (lignes 210-202). De
plus, Max définit aussi MSF comme une organisation qui, en contrepartie
de sa contribution financière et de médicaments, exige sa
présence physique dans l'action en le notifiant : « qu'il va pas
donner d'argent ou des médicaments sans être
#?présent » (ligne 202-203). Enfin, MSF (selon Max, bien
entendu) est défini comme une organisation qui collabore avec ses
partenaires dans le cadre de l'action.
Ë la lumière de ses quelques paroles, il semble
que Max soit de nouveau dans un mode quelque peu défensif. Il
protège son organisation et envoie avec force un message au personnel de
l'hôpital. De plus, il semble qu'implicitement, cette information soit
orientée vers le docteur Joseph : « ((fait des gestes avec ses
mains notamment vers le Docteur Joseph)) » (lignes 198-199). On peut
donc en déduire qu'une partie du discours de Max s'avère
être construit pour renvoyer une certaine image à son auditoire et
pas nécessairement la construire avec lui. C'est un « on »
exclusif et non inclusif qui est employé par Max. Il y a donc d'un
coté un « Nous », représenté par les acteurs de
MSF, un « Nous » qui donne de son temps, de son argent et de son
matériel en étant présent, chez un « Vous »,
représenté par les partenaires locaux de MSF, qui recoivent ces
aides silencieusement. Nous sommes donc face à une configuration dite
classique de la communication oil l'on retrouve l'émetteur, le
récepteur et le message ou encore le pourvoyeur/fournisseur, le
bénéficiaire et l'offre. Ainsi, le discours de Max laisse
transparaitre MSF comme une organisation obsédée par son
indépendance, son autonomie et sa présence.
208 Max Donc c'est c'est ga l'idée aujourd'hui c'est c'est
d'appuyer l'hôpital de
209 Mumba euh avec une prise en charge de qualité
euh pour les patients
210 une prise en charge gratuite donc pour faire ga euh::
et pour pas non plus
211 tout euh:: tout euh briser le système donc M-
Médecins Sans Frontières va
212 euh donner des primes (.) à tout le
personnel (.) de l'hôpital (.) de la GR
213 de Mumba euh:: en complément de la prime CEMUBAC hein
donc euh on
214 va donc la prime CEMUBAC est toujours là#? euh
Médecins Sans
215 Frontières va prendre cette portion là (.) la
déduire du montant euh que
216 normalement MSF payerai (.) que si vo us aviez 10$ de du
CEMUBAC
217 euh: et si MSF euh pour le poste que vous avez vous donne
vous /donnerai
218 normalement 50$t donc le 50$t on va déduire le 10$#?
MSF va vous
219 donner 40$t et le CEMUBAC 10$t ga vous fera toujours le 50$t
donc ga
220 on y reviendra un peu plus dans le détail ((Max se
tourne vers Gérard)) ben
221 Gérard pourra vous expliquer un p'tit peu ((fait
des gestes avec ses mains))
222 ya une échelle de fonctions a Médecins Sans
Frontières on va y revenir
223 après ((Max regarde ses notes sur la
table))
224
225 (2.0)
226
227 Max Donc ttous les services de l'hôpital auront la
tprime par contre lya un
228 serv ya quelques services euh (.) que MSF ne va pas:: entrer
directement la
229 ici j'fais référence a la maternité (.)
eta la consultation externe tpourquoi?
230 (.) parce que la maternité euh:: c'est du soinprimaire
a la base euh les
231 femmes qui vont consulter viennent pour un accouchement pas
seulement a
232 l'hôpital ils vont dans les centres de santé ici
dans la zone de santé donc
233 toujours dans le méme esprit tde pas casser tde pas
briser le système
234 existant (.) les gens ont confiance d'aller euh accoucher
dans les centres de
235 santé donc ça euh ya les gens vont continuer a
payer pour euh un
236 accouchement eutocique ((s'adresse au Docteur
Joseph)) (TOUT BAS) euh ici
237 c'est quoi c'est 6, 7$ ? +
238
239 Docteur Joseph C'est 6$ ((il reste les bras
croisés et racle sa gorge))
240
241 Max Donc 6$ donc ça ça va rester on va quand
méme on va quand méme ici
242 payer une prime euh pour ceux et celles qui travaillent a la
maternité euh::
243 parce que:: l'hôpital va avoir moins de revenus donc
yaura plus de
244 ponctions (.) salariales pour l'hôpital euh::
pour ces salariés la (.) donc euh
245 MSF euh prend en/charge cette partie la euh de prime mais les
patients
246 vont quand méme payer c'qui va permettre a
l'hôpital de continuer a
247 acheter desmédicaments du matériel a sms pour
les services
248 de maternité et de:::
249
250 X (TOUT BAS) dispensaire +
251
252 Max Du dispensaire ((fait un geste de la main vers la
personne qui lui a soufflé
253 l'information)) donc ça aussi ça vous
ça permet a la GR de pas se mettre
254 en marge du système on parle plutôt de de soins
primaires
Des lignes 209 a 214, Max continue son travail de
positionnement et de présentification de MSF en l'ancrant dans le
présent, le concret, tout en rappelant les points essentiels de
l'intervention de MSF. L'organisation y est associée, encore une fois, a
la qualité de sa prise en charge des patients, a la gratuité et
ne souhaite pas détruire entièrement le système et c'est
pour cela qu'elle octroie des primes, donc donne de l'argent au personnel de
l'hôpital de Mumba. Max véhicule donc dans son discours le fait
que MSF est une organisation qui sait ce qu'elle veut, ce qu'elle ne veut pas
et qui prend pour acquis l'adhésion de ses collaborateurs a cette
vision. De plus, MSF offre une compensation financière pour pallier sa
présence, ce qui laisse entendre donc qu'elle perturbe en partie un
système préexistant et qu'elle comprend que sa présence
n'est pas forcément positive pour tous ou sur tous les points qui la
concerne.
Des lignes 213 a 219, Max invoque la prime CEMUBAC, qui est un
salaire
versé au personnel de l'hôpital par
l'organisation du même nom. En évoquant le CEMUBAC, MSF, par
l'intermédiaire de Max, démontre sa connaissance de
l'environnement et qu'elle s'y intègre, car elle va offrir un salaire en
complément de cette prime qui était déjà offerte
avant l'intervention de MSF à Mumba. De plus, Max ne parle pas de
salaires pour l'argent que MSF va donner au personnel de l'hôpital dans
le cadre de son intervention, mais de primes: Ç ttous les services de
l'hôpital auront la tprime par contre 1.ya un serv- ya quelques services
euh (.) que MSF ne va pas:: entrer directement làÈ (lignes
227-228). Le fait de parler de primes peut faire allusion à un
caractère exceptionnel, Max étant donc déjà en
train signifier à son auditoire que MSF ne va pas rester. Ainsi, il
semble qu'implicitement, Max soit en train de dire que tout comme ces primes
sont de natures exceptionnelles, la présence de MSF l'est tout autant.
On pense ici au caractère d'urgence voulu dans l'intervention de MSF.
Après avoir détaillé les conditions de
ces primes, Max revient encore une fois sur des points qui semblent
obséder son organisation (lignes 233-236), c'est à dire le fait
que MSF ne veuille pas être percue comme un perturbateur de l'ordre
établi dans lequel il intervient et le désir profond que sa
présence ne perturbe pas les habitudes de la population. MSF apparait
donc comme soucieuse de sa présence et des conséquences qu'elle
peut avoir sur son environnement, alors qu'elle cherche à ne pas en
avoir, si ce n'est pour sauver des vies (ligne 187). Notons aussi que Max
(lignes 234-235) associe le fait d'avoir confiance dans un système, au
fait de continuer à payer pour recevoir des soins. Il montre ici les
conséquences possibles de la gratuité des soins offerts par MSF,
c'est à dire que les patients ne souhaitent plus payer. Dans le jeu de
questions/réponses auquel s'adonne Max dans son discours, qui met en
exergue d'éventuelles critiques faites à l'encontre de MSF, la
gratuité semble
en être une. En effet, l'insistance sur ce point semble
le confirmer, cela même si elle n'est pas verbalisée clairement.
La répétition et l'insistance de façon
générale, nous montre que l'identité, selon MSF, doit
être protégée et construite prospectivement et
rétrospectivement. La construction de l'identité
organisationnelle porte donc les stigmates d'hier, d'aujourd'hui et de demain
dans le discours, le rôle de Max dans ce cadre-là semble
être de contrôler l'image de MSF.
258 Max Donc voilà un peu le l'idée l'esprit de
de cette entente là de cet accord là
259 euh (.) c'qui est clair c'est que ga va amener euh de la
#?réorganisation
260 euh::: (.) dans #?l'hôpital (.) ga risque d'amener
une hausse de l'activité
261 dans #?l'hôpital euh donc attendez vous pas à
travailler moins fort avec
262 MSF attendez vous à travailler #?plus #? fort avec MSF
Ah Ah Ah on a:: déjà
263 vu déjà revu par exemple les horaires de
travail avec vous hein euh:: ga par
264 de ce côté-là j'pense que c'est ga
semble satisfaisant pour tout le monde
265 en tout cas de c'que j'ai entendu en tous cas les gens
semblent être plutôt
266 heureux euh de cette réorganisation des horaires donc
ga c'est pour
267 reprendre un exemple mais yaura dans les prochaines
semaines dans les
268 prochains mois yaura toutes sortes de
réorganisation comme celle-là hein
269 qui peut être parfois vont vous qui vont être
T confrontantes (.) seront
270 peut-être euh:: vont peut-être ((fait le
geste des guillemets avec ses doigts))
271 déstabilisantes parfois on va tenter des
expériences aussi euh:: c'est aussi
272 à vous ((fait des gestes vers le public de la
salle)) à nous dire tout ga hein
273 on fait en tcollaboration on est pas là pour
timposer les choses on
274 tpropose des tchoses et puis on essaye de voir tous
ensemble après à
275 vous de nous faire des retours si euh si ya des
insatisfactions si ya des
276 difficultés parfois on va présenter des choses
euh:: peut être que ga
277 fonctionnera pas peut être que ga va fonctionner donc
là j'pense l'exemple
278 des des horaires parce qu'on m'a dit que:: que les gens
semblait plutôt
279 satisfait de cette réorganisation$? là$? donc
y'aura #?d'autres exemples
280 comme ga euh::: pour en reprendre un autre ben la pharmaciet
c'est euh::
281 c'est Médecins Sans Frontières qui va fournir
((fait un geste de lui vers le
282 public de la salle)) les médicaments. On va
le faire T service par T service
283 donc vous vous étiez habitué à
fonctionner avec une pharmacie centrale
284 avec des commandes chaque matin pour chaque service là
on va plutôt
285 faire une pharmacie par service (.) avec une commande euh::
par semaine
286 donc euh les superviseurs de chaque service sont en charge du
suivi de la
287 de la pharmacie du suivi des consommations ga c'est des
choses
288 importantes à (coupe video) tMSF on
fait des tcommandes à peu près à
289 tous les tsix mois (.) qui vient qui vient par bateau donc il
faut planifier
290 d'avance et il faut avoir des bonnes consommations
savoir combien
291 on consomme exactement par service pour être le
plus près possible de la
292 réalité quand on va lorsqu'on va faire une
commande (.) par exemple
293 ((regarde ses notes sur la table))
294
295 (2.0)
296
297 Max Donc j'pourrais pas vous énumérer (.) tout
ce qu'on va réorganiser tout ga
298 va se faire au fur et à mesure avec tvous hein on a
pré réorganisé un peu le
299 bloc (.) on a pré réorganisé la
stérilisation (.) euh:: donc ga aussi euh:: ga va
300 amener on va rajouter du personnel oil yaura des besoins euh
j'pense
301 qu'entre autres sur la tgarde de nuit oil yavait 2
infirmiers pour tout
302 l'hôpital ga faisait une tache #?colossale euh
((se tourne vers Docteur
303 Joseph)) là on a déjà
ajouté 2 infirmiers supplémentaires ? ((Docteur
304 Joseph hoche la tête tout en restant les bras
croisés, puis il se tourne
305 vers Eric)) donc ga fait 4 infirmiers pour les
gardes chaque nuit c'est ga ?
306
307 Eric En fait on a fait par service (.) là euh:: on a
ajouté 2 infirmiers sur le::
308 service de pédiatrie et 2 infirmiers euh sur le
service de chirurgie (.) pour
309 faire des roulements et avoir 1 infirmier ttoujours sur
tchaque tservice (.)
310 et ((se tourne vers Max qui hoche de la tete pour
manifester son accord))
311 c'est à dire que les infirmiers tournent plus sur tout
l'hôpital juste sur leur
312 service
Ë la ligne 258, Max dit : « Donc voilà un peu
le l'idée, l'esprit de de cette
entente là, de cet accord là
È, il confirme ainsi qu'il vient de présenter, en quelque sorte,
l'idéologie de son organisation (au sens neutre du terme) à
travers des éléments choisis, idéologie qui l'amène
alors, à aborder les conséquences ou la mise en acte de ce
contrat, car il parle de réorganisation dans l'hôpital (lignes
259-260). La mobilisation des principes, des politiques et de la
présence en tant que telle de Médecins Sans Frontières
dans le discours de Max ont donc pour finalité de générer
l'action, une action qui se manifeste particulièrement par la
nouveauté et le changement.
Une des premières conséquences voulues, car
imaginée et verbalisée par Max est : << ça risque
d'amener une hausse de l'activité dans tl'hôpital euh donc
attendez vous pas à travailler moins fort avec MSF attendez vous
à travailler tplus tfort avec MSF Ah Ah AhÈ (lignes 260 -262).
Max annonce donc que la signature de cette entente entre MSF et l'hôpital
de Mumba va faire accroitre le nombre de patients à traiter par
l'hôpital. On peut imaginer qu'il affirme cela au nom d'une certaine
expérience ou bien d'un profond désir que ce chiffre augmente, ce
qui justifierait la présence de MSF et les changements qu'elle exige
dans la structure. Puis, Max s'adresse directement au personnel de
l'hôpital sur le ton de l'humour pour leur annoncer quel va être
leur sort suite à ces changements, plus particulièrement du point
de vue de leur future charge de travail. La tournure de phrase que Max emploie
pour dire cela signifie que, d'une certaine manière, il imagine leur
pensée. Autrement dit, Max est en train de leur dire qu'il ne faut pas
qu'ils considèrent que la présence de MSF sur leur lieu de
travail va les décharger et qu'ils vont <<se tourner les pouces
È. Max positionne en cela le rôle de MSF comme un acteur qui
accompagne dans l'action et non qui la prend en charge en entier. Il est donc
en train de leur demander leur soutien et leur participation à ce
processus. MSF se présente donc
comme une entité qui est là pour aider l'autre,
mais qui n'est pas là comme un prestataire de service, de bien ou de
salaires (MSF n'est pas un bailleur de fond).
Des lignes 262 à 267, Max parle d'un exemple de
réorganisation qui a déjà eu lieu dans l'hôpital
à l'initiative de MSF. Cet exemple concerne les horaires de travail des
infirmiers. Max invoque ce changement à titre d'exemple positif en
faisant parler les gens : << j'pense que c'est ça semble
satisfaisant pour tout le monde en tout cas de c'que j'ai entendu en
tous cas les gens semblent être plutôt heureux euh de cette
réorganisation des horairesÈ (lignes 264-266). Ce n'est donc pas
Max qui parle seul ici, mais aussi des gens dont on ne conna»t pas le nom,
mais qui semble se dire heureux des réorganisations et donc de la
présence de MSF. Cependant, le discours de Max n'est pas uniquement
basé sur des exemples de réussites sans difficultés
marquées, mais se présente aussi comme un discours
réaliste qui laisse entendre que le changement ne s'opère que
rarement sans conflits ou incompréhensions.
MSF marque ici, à travers la parole de Max, une
certaine habitude ou expérience par rapport à ce qui est
implicitement présentée comme l'application difficile de ses
préceptes chez ses partenaires. Il dit ainsi sous le ton de la
prédiction: << y'aura toutes sortes de réorganisation comme
celle-là hein qui peut être parfois vont vous qui vont être
confrontantes (.) seront peut-être euh:: vont peut-être
((fait le geste des guillemets avec ses doigts))
déstabilisantesÈ (lignes 268-271). En annonçant ces
possibles difficultés à son public, au personnel de
l'hôpital de Mumba, Max marque du même coup le fait qu'il leur
porte de l'intérêt, que MSF est soucieuse de leur condition, un
souci qui pourrait être traduit comme de la compassion. MSF
véhicule ainsi l'image d'une organisation compréhensive des
conditions de ses partenaires face aux changements qu'elle demande. Finalement,
c'est en quelque sorte l'image d'une organisation relativement transparente qui
est
véhiculée ici car elle pourrait présenter un
tableau idyllique de ses interventions à ses partenaires, mais elle ne
le fait pas.
De plus, on voit que Max dit: << parfois on va tenter des
expériences aussiÈ (ligne 271). Ainsi, il inclut les
partenaires et l'auditoire dans ce processus de changement, changement qui
n'est pas gravé dans la pierre et qui implique donc des essais. Il
laisse entendre ainsi qu'il n'y a pas de recette miracle et qu'une
certaine faillibilité marque les interventions de l'organisation
humanitaire (voir aussi Matte, 2006). Cette idée est totalement en
phase avec le fonctionnement de l'organisation MSF, car c'est une
organisation qui se présente comme se construisant dans
un échange constant entre la réalité du terrain,
l'opérationnel et le siège qui donne les grandes marches
à suivre. D'un coté, il y a les protocoles, les principes, les
grandes lignes et de l'autre coté, il y a le terrain, la
réalité, les interactions du quotidien, les partenaires et des
facteurs non prévisibles. Max positionne donc MSF comme
une organisation qui n'a pas toutes les réponses, mais qui a le
mérite d'essayer de donner des réponses à des
problèmes, qui va expérimenter des solutions. Cependant,
cet exercice ne se fait pas seul, MSF marquant le besoin de l'autre, de ses
partenaires pour agir et tenter des expériences, comme on peut le
constater des lignes 271 à 277. Ce besoin de l'autre, dans le cas de
Médecins Sans Frontières, passe, selon Max, par un travail de
responsabilisation du partenaire vis à vis de la tâche
à accomplir ensemble: << c'est aussi à vous ((fait
des gestes vers le public de la salle)) à nous dire tout
ça hein on fait en tcollaborationÈ (lignes 271-273).
Ainsi, Max attribue des responsabilités à son auditoire. Illes
informe qu'ils ne doivent pas être passifs mais bien actifs afin que
ces changements s'avèrent positifs pour tous. Puis, Max
présentifie d'une certaine manière à ses partenaires les
règles de conduites en vigueur dans l'organisation: << on n'est
pas là pour timposer les choses on
tpropose des tchoses et puis on essaye de voir tous
ensemble après à vous de nous faire des retours si euh si ya des
insatisfactions si ya des difficultésÈ (lignes 273- 276)
.
Communiquer est une de ces règles. En effet, la parole
a une place importante chez MSF et cela se retrouve aussi bien au niveau
interne qu'externe, comme on peut le voir ici. Ce principe ou, du moins, cette
exigence a sürement pour origine le fondement associatif de l'organisation
et ses particularités. En effet, une des particularités des
associations est de donner la parole à tous ses membres, MSF montrant
donc qu'elle a de la considération pour le personnel de l'hôpital
de Mumba, car leur avis compte dans l'opérationnalisation des
réorganisations. Leur responsabilité est cependant de manifester
cet avis et surtout de dire si ça ne va pas, plutôt que de se
taire. On peut aussi imaginer que cette nécessité de
communication peut avoir pour objectif de lutter contre une certaine
résistance au changement organisationnel. L'image que Max
véhicule de MSF est donc celle d'une organisation qui n'impose pas les
choses ou les changements mais les propose. Si elle se positionne comme
à l'initiative des changements, elle attend des autres une
réaction (positive ou négative). C'est donc au nom,
implicitement, d'un principe d'échange et d'ouverture que Max encourage
son auditoire à ne pas hésiter à s'exprimer. D'une
certaine manière, Max est en train de leur dire, si vous voulez changer
et vous améliorer, c'est à vous de le faire et de prendre les
choses en main. Ajoutons que l'idée de ne pas imposer les choses donne
une ouverture à la négociation, MSF en appelle donc à la
capacité de réflexion et de penser de ses partenaires. Ceci
montre qu'un des marqueurs de l'identité de MSF semble être le
dialogue ou du moins une organisation qui laisse place à la
conversation, à la négociation pour construire ensemble.
On voit donc que Max, tel un leader, communique la vision de
MSF à l'assemblée, celle des principes de Médecins Sans
Frontières en l'adaptant à son public, en renvoyant aux
caractéristiques qui sont censées lui être propres et en
choisissant des exemples locaux. Max est désormais dans une phase
oü il cherche à susciter leur engagement et leur transmettre un
désir de changement pour les orienter vers l'action. L'identité
de MSF semble donc construite dans une idée de projection
adressée à l'autre, projection d'un idéal auquel il faut
adhérer. Cependant, aucune certitude n'est annoncée quant
à la réussite des changements proposés par MSF à
l'hôpital de Mumba: << peut être que ça fonctionnera
pas peut être que ça va fonctionnerÈ (lignes 276-277). Max
met donc de l'avant une tolérance MSFienne vis-à-vis des erreurs,
présentifiant donc son organisation comme une organisation qui n'est pas
parfaite et qui peut se tromper. Il est aussi peut être en train de leur
communiquer le fameux adage : Nous apprenons de nos erreurs.
En somme, cela donne l'idée que MSF est une
organisation à échelle humaine, qui a le droit à l'erreur.
Tout en montrant une certaine tolérance de la part de MSF, Max donne au
public un exemple gratifiant et positif d'un des changements qui a
déjà eu lieu dans l'hôpital à l'initiative de son
organisation (lignes 277-280). Il parle d'un changement qui s'est
opéré par rapport aux horaires de travail des infirmiers. Tout en
citant cet exemple, il parle à leur place (il les ventriloquise, donc)
pour dire que c'est un changement positif : <<on m'a dit que:: que les
gens semblait plutôt satisfait de cette réorganisation.1..
là.1..È (lignes 278-279). MSF tente donc de transmettre
l'idée à ses partenaires qu'elle a fait une bonne réforme
de leur système et ce n'est pas elle qui le dit, ce sont lesdits
partenaires, ce qui est censé donner une plus grande
crédibilité au propos en le rendant plus difficilement
critiquable.
La démarche de changement initié par MSF à
l'hôpital appara»t donc comme
positive gr%oce à l'intervention de cet exemple dans le
discours de Max. Les pierres sont dès lors posées pour l'annonce
de futures réorganisations, ce que Max va faire: << donc yaura
td'autres exemples comme ça euh::: pour en reprendre un autre ben la
pharmacietÈ (lignes 279-280). Cet exemple est détaillé par
Max des lignes 281 à 292 oü il y spécifie les habitudes de
MSF en matière de gestion des stocks de la pharmacie, que l'organisation
souhaite bien appliquer au sein de l'hôpital de Mumba. Max invoque donc,
de nouveau, l'expérience de son organisation pour laisser entendre que
la réforme du système partenaire va ultimement
l'améliorer. MSF est ainsi présentifié/mise en
scène comme une organisation expérimentée qui partage son
savoir et change les habitudes de ses partenaires.
De plus, MSF se présente, à travers Max, comme
une organisation préparée et prête à agir dans de
brefs délais. Ainsi, comme nous avons pu le constater, l'urgence est
aussi bien un cadre opérationnel qu'une façon d'être. MSF
est présentifiée comme une organisation qui prévoit le
plus possible son action avec une importante logistique à l'appui, le
but étant d'optimiser son action. Aussi, Max annonce ce pouvoir
d'efficacité et de rapidité dans l'action à ses
partenaires des lignes 297 à 299 : << Donc j'pourrais pas vous
énumérer (.) tout ce qu'on va réorganiser, tout ça
va se faire au fur et à mesure avec tvous hein on a pré
réorganisé un peu le bloc (.) on a pré
réorganisé la stérilisation È. MSF transmet donc
une image forte à son auditoire en ce qui concerne sa
réactivité à mettre en place une structure
conséquente pour << sauver des vies È. De plus, l'exemple
de la gestion de la pharmacie est censé démontrer la
rationalité de l'organisation. Ajoutons aussi, que dans ce cadre, il
semble que l'initiative revienne aux acteurs de l'association
représentés par le <<on È. Cependant, on remarquera
que l'annonce est tout de même faite que ce travail est commun aux
acteurs de l'hôpital de Mumba: << ça va se faire au fur et
à mesure avec
tvous >> (ligne 298). Max est donc en train, pierre
après pierre, de se présenter comme responsabilisant les
employés de l'hôpital (ce qui laisse entendre quand méme
que ceux-ci manqueraient a priori de ce sens des responsabilités,
évoquant implicitement une attitude paternaliste, voire méme un
tant soit peu <<colonialiste>> de sa part et les intégrant
au sein d'un programme de réorganisation à la fois de leur
structure de travail et de leur façon de travailler.
Afin, sans doute, de ne pas faire peur aux
intéressés, une peur qui pourrait générer de leur
part une résistance à cette réorganisation, Max leur
montre que MSF est compréhensive de la tâche qu'ils ont à
accomplir et qu'il prend les moyens effectifs pour les aider à
réussir cette mission: << on va rajouter du personnel oü
y'aura des besoins >> (ligne 300) et <<ça faisait une
tâche tcolossale>> (ligne 302). Max fait participer Eric
à ce processus de mise en scène de MSF, après avoir fait
une tentative avortée de joindre le Docteur Joseph à son
discours: << ((se tourne vers Docteur Joseph)) [É]
((Docteur Joseph hoche la tête tout en restant les bras
croisés, puis il se tourne vers Eric))>> (lignes 302-305).
Eric, le responsable terrain de la mission, répond à l'appel de
son supérieur et collègue et expose les détails pratiques
de cette réorganisation à l'assemblée des lignes 307
à 312. En effet, ces détails sont de son ressort puisque c'est
lui et le Docteur Joseph qui sont les maitres d'Ïuvre à
l'hôpital de Mumba. La position de Max est, quant à elle, plus
générale car il supervise aussi d'autres missions dans la
région. Il donne donc les grandes lignes et ce sont des acteurs locaux
comme Eric qui les appliquent dans les structures, avec les partenaires et les
équipes locales de MSF. Cependant méme si il y a une
hiérarchie au sein de l'organisation, c'est l'esprit d'équipe qui
ressort de l'intervention de Max, matérialisé par l'utilisation
constante du <<on >> et du << nous >> pour parler de
l'ensemble des acteurs de MSF.
314 Max Donc ces réorganisations là:: on les fait
avec vous j'pense que vous ((jette
3 1 5 un coup dÕÏil vers Docteur Joseph qui hoche
de la tete en restant sto ·que))
316 aussi vous aviez constaté qu'il y avait des besoins de
ce cTMté là/ et euh tout
317 ga pour amener euh:: pour essayer euh:: d'avoir des soins de
meilleure
318 qualité hein le fait d'être plus d'infirmiers
sur une garde va faire en sorte
319 que:: les patients vont bénéficier d'un travail
de meilleur qualité donc on
320 s'est c'est plutTMt en ces termes #?là qu'on souhaite
voir la réorganisation
321 avec vous #?Médecins Sans Frontieres a quand
même une texpertise depuis
322 une trentaine d'années dans ce dans ce type de
contexte là et puis on::
323 #?Médecins Sans Frontieres travaille dans des
hTMpitaux euh depuis depuis
324 longtemps aussi (.) mais donc ga ((se tourne vers Docteur
Joseph)) c'est
325 toujours fait en partenariat euh avec vous avec la direction
de l'hTMpital
326 avec la direction du DCZ ((se tourne vers Docteur
Joseph)) donc on n'est
327 pas là non plus pour f imposer les choses euh: on est
là pour essayer de
328 travailler avec tvous mais c'est stir qu'on a des
expertises et qu'on qu'on
329 veut les partager avec vous (.) ensuite on vous remettra
aussi du matériel
330 à la disposition de l'hTMpital donc à:: votre
disposition'!" euh:: dans les
331 services au bloc euh on aura aussi du du matériel euh
de tsupport une
332 bibliotheque opérationnelle à Médecins
Sans Frontierest euh vous avez
333 déjà surement vu les guides les guides
cliniques euh donc ga ce sera aussi
334 c'est des outils qu'on vous perm- qu'on met à
votre disposition c'est ga
335 aussi c'est à vous à tVous les
tapproprier ces toutils là\ qu'on va mettre
336 dans les services etc euh: ben aussi à tvous de de
d'utiliser ce matériel là
337 (.) donc tout ga pour dire ga fait beaucoup
#?d'ajustements euh:: on vous
338 demande un peu de flex::ibilité par ga par
rapport à ga euh parfois ga va
339 faire des /frictions parfois ga va peut être faire des
/mécontents ((fait des
340 gestes avec ses mains et montre plus ou moins Docteur
Joseph)) euh:: il
341 s'agit de pas garder son mécontentement#? mais de
venir en tdiscuter euh et
342 comme ga euh on peut aplanir les difficultés (.) une
autre chose donc dans
343 cette réorganis- dans cette réorganisation
là euh:: comme Eric ((se tourne
344 vers Eric)) l'a dit là au lieu de bouger sur
tous les services on va plutTMt se
345 concentrer sur des services donc on va revoir donc j'pense
que c'est déjà
346 en cours avec Docteur Joseph ((Docteur Joseph hoche de la
tete en signe
347 dÕaccord)) on a revu des profils de poste
donc ga pour moi par exemple les
348 profils de poste c'est une chose qui doit demeurer vivante
(.) et qui vous
349 appartient aussi (.) c'est pas seulement à nous
((fait des gestes vers lui)) à
350 faire la description du profil de poste c'est aussi
à vous:: à vous
351 #?l'approprier et à dire ben apres trois quatre six
huit semaines (.) euh:: à
352 un poste qui est un peu changé par rapport peut
être à celui que vous aviez
353 (.) à nous dire bein ga fait pas parti de mon profil
de poste parce que dans la
354 réalité ga je le fais pas mais dans la
réalité ga je le fais et c'est pas dans
355 mon profil de poste (.) donc ga aussi à vous à
nous faire des retours sur ça
356 euh:: tranquillement (.) polé polé ? ((qui se
traduit par « Lentement,
357 lentement » en Swahili))
L'esprit d'équipe présent chez MSF tend à
être véhiculé chez ses partenaires, l'idée
principale étant de travailler ensemble : « Donc ces
réorganisations là:: on les fait avec vous » (ligne 314).
L'organisation exprime ici une reconnaissance de l'autre et la réunion
autour d'un objectif commun : améliorer ou réorganiser un systeme
existant. Le partenariat est clairement mis en scene dans le discours de Max et
le fait de travailler ensemble n'appara»t pas comme une question, mais
plutTMt comme une affirmation qui est produite par l'emploi du « donc
». Le public de la réunion est ainsi enrTMlé dans une
aventure qui va modifier son quotidien professionnel et se doit de l'accepter.
Cependant, cette annonce ne tombe pas telle une sentence car Max dit aussi :
« j'pense que f vous ((jette un coup dÕÏil vers Docteur
Joseph qui hoche de la
tête en restant sto ·que)) aussi vous
aviez constaté qu'il y avait des besoins de ce côté
là È (lignes 314-316). En disant cela, Max opère un
travail de traduction de la pensée de ses interlocuteurs et se fait le
porte parole de leur avis sur la question, donnant ainsi du poids à son
propos.
Leur adhésion à cette réorganisation est
donc présentée comme issue de leur propre chef (le directeur de
l'hôpital) et les moyens déployés par MSF à
l'hôpital répondent donc aussi bien à l'urgence du contexte
qu'à l'appel de ses acteurs quotidiens, ce qui est censé rendre
leur légitimité d'autant plus évidente. Max est donc, de
nouveau, en train de responsabiliser son auditoire face à ses
désirs de changement en invoquant le jugement de leur propre situation
qui semble être antérieur à l'intervention de son
organisation. MSF est donc présentée comme une organisation qui
reconna»t et gratifie le raisonnement des acteurs locaux dans les
contextes dans lesquels elle intervient. Elle signifie ainsi sa qualité
d'écoute et d'attention. L'objectif de ces changements est de permettre
au personnel de l'hôpital de donner des soins de meilleure qualité
aux patients (lignes 316-319).
Max fait donc intervenir ici la figure du patient, afin sans
doute de clarifier l'intervention de MSF à Mumba et de ne pas perdre
l'objectif ultime de la mission humanitaire. MSF n'est pas un prestataire de
service et n'est pas là pour améliorer leur structure de travail,
mais pour sauver un maximum de vies, de patients. Les changements voulus sont
là pour répondre à des critères propices à
une bonne prise en charge des malades et des blessés. MSF
présente ainsi un gage de qualité dans son action oü
l'idée principale est de sauver des vies et de le faire bien.
L'amélioration de la qualité, du système et du
matériel est présentée comme visant à
réduire la mortalité des populations qui vont se présenter
à l'hôpital. Cependant, il semble aussi que Max véhicule
ici le fait que son organisation est attentive et sensible aux
populations dans les endroits oü elle intervient, avec une
préoccupation aussi bien pour les patients que pour les soignants.
De plus, Max marque son insistance sur la définition du
rôle du personnel dans cette mission: Ç donc on s'est c'est
plutôt en ces termes tlà qu'on souhaite voir la
réorganisation avec vous tÈ (lignes 319-321). On remarque ici que
c'est MSF qui fixe, de nouveau, les règles de ses partenariats,
même si les mots employés par Max font part d'une intention et non
d'une affirmation. Après avoir communiqué sa vision de la
réorganisation à son auditoire, Max y ajoute des arguments pour
donner plus de poids à son propos et légitimer la
présence, ainsi que la facon de faire de MSF (lignes 321-324). Nous
sommes donc face à un discours de légitimation qui repose sur
l'expérience et l'expertise de Médecins Sans Frontières
depuis plus de 30 ans. Max fait ainsi appel, une nouvelle fois, à
l'histoire de son organisation (il la ventriloquise, donc) pour défendre
et asseoir son discours. Ce qui semble étonnant dans cette intervention,
c'est le besoin que ressent Max de devoir justifier la valeur et la
présence de son organisation auprès de ses interlocuteurs, comme
si ses compétences pouvaient être, par définition, remises
en question. Cela illustre le fait que MSF fait souvent l'objet d'attaques en
ce qui concerne sa facon de faire et que le discours de Max est donc empreint
de cette critique qu'il anticipe et à laquelle il répond à
l'avance. En conséquence, il répond à ses
détracteurs sous prétexte d'informer son auditoire, afin de faire
taire les éventuelles remises en question du savoir faire de
l'organisation. Le porte parole de MSF opère donc un jeu de
questions/réponses à l'intérieur même de sa
performance.
Après avoir présenté avec
intensité son organisation, Max revient sur le partenariat qui unit tous
les acteurs en présence des lignes 324 à 326. Il réaffirme
que cette mission doit se faire main dans la main et reconna»t verbalement
chacun de ses
partenaires dans le cadre de celle-ci en les
hiérarchisant: Ç avec vous, avec la direction de l'hôpital,
avec la direction du DCZÈ (lignes 325-326). Il met ainsi au premier plan
le public qui est face à lui, et cela, avant la direction de
l'hôpital, donc le Docteur Joseph et les représentants de la
Santé de la RDC. A travers cette annonce, Max est donc en train de
valoriser les personnes qui sont en train de l'écouter en laissant
quelque peu de côté toute hiérarchie. Il montre en cela que
MSF est une organisation qui considère ses employés et qui n'est
pas trop concernée par la bureaucratie et la question
hiérarchique. De plus, cela dévoile un trait identitaire chez MSF
qui est de porter une attention plus particulière au terrain, à
sa réalité humaine et à ses acteurs.
Max poursuit en disant : Çdonc on est pas là non
plus pour imposer les choses euh: on est là pour essayer de travailler
avec tvous mais c'est sür qu'on a des
expertisesÈ (lignes 326-328). Max anticipe donc
de nouveau une des critiques souvent adressées à l'encontre de
MSF, soit le fait qu'elle impose son propre système, ce qui vient faire
écho à ce qu'il avait lui-même avancé quelques
minutes auparavant lorsqu'il avait déjà mentionné cette
information à son auditoire, comme on peut le voir des lignes 273
à 274. Dans ce tour de parole, il disait que MSF n'imposait pas les
choses mais les proposait. Max est donc, encore une fois, en train de
protéger son organisation face aux attaques qu'on pourrait
éventuellement lui porter. Il communique ainsi une image positive de
MSF, une organisation préoccupée et consciente de son
environnement. L'argument principal employé ici par Max est l'expertise
de son organisation. C'est sa carte de visite pour rassurer et enrôler
ses partenaires.
Des lignes 328 à 334, Max exprime par plusieurs
exemples l'idée selon laquelle MSF serait une organisation qui partage
et met à la disposition de ses
partenaires des outils pour faciliter et améliorer
l'action humanitaire. Ainsi, MSF est représentée et
incarnée par ses expertises, les guides cliniques d'une
bibliothèque opérationnelle, ainsi que du matériel.
L'invocation de ces guides par Max nous montre aussi que MSF est aussi une
organisation très protocolaire et structurée. De plus, il semble
que cette évocation démontre le désir de MSF que ses
partenaires adoptent sa façon de faire, en somme, ses pratiques.
L'existence d'une telle bibliothèque exprime le caractère
raisonnable et prévoyant de MSF et il appara»t donc que, d'une
certaine manière, l'organisation cherche à normaliser une action
médicale dans un contexte instable. Paradoxalement, l'organisation est
aussi représentée par un ensemble d'expertises, donc de
témoignages de la réalité du quotidien.
Cette réalité est de l'ordre de
l'imprévisible, mais MSF s'en sert pour construire une sorte de
mémoire organisationnelle qu'elle utilise pour agir au quotidien et
qu'elle est apte à transmettre. MSF appara»t alors dans toute sa
complexité, une organisation qui a soif de prévoir
l'imprévisible ou du moins de s'y préparer du mieux qu'elle peut.
Max continue son travail de responsabilisation des lignes 335 à 336:
Ç c'est à vous à tVous les tapproprier ces toutils
là qu'on va mettre dans les services etc euh: ben aussi à tvous
de de d'utiliser ce matériel là È. Ainsi, il semble que
chacun ait sa place au sein de cette configuration: MSF met à
disposition des outils, mais c'est aux acteurs de la structure médicale
de se les approprier, pour offrir en retour, une meilleure qualité de
service. Ajoutons qu'au delà de ce travail qui se veut de
responsabilisation, c'est aussi un travail d'éducation qui transparait
ici de la part de MSF, laquelle semble donc prête et disposée
à instruire ses partenaires, laissant de nouveau entendre qu'ils ont
besoin d'être donc responsabilisés et éduqués.
L'organisation n'est donc pas qu'une association
médicale d'urgence classique avec du matériel et
du personnel médical, c'est aussi un savoir et en quelque sorte une
école de la médecine d'urgence ou du moins c'est comme cela
qu'elle souhaite être identifiée.
Des lignes 337 à 338, Max fait rimer ajustements (pour
ne pas parler de changements) avec flexibilité, demandant ainsi aux
acteurs concernés par la réorganisation qu'ils soient ouverts
d'esprit et prêts à faire des concessions pour le bien commun. De
plus, la communication semble au cÏur de la méthode MSF, car Max
incite, de nouveau, ses interlocuteurs à se manifester si ils ne sont
pas satisfaits ou que les changements les indisposent. On constate cela des
lignes 338 à 342: << parfois ça va faire des frictions
parfois ça va peut être faire des mécontents ((fait des
gestes avec ses mains et montre plus ou moins Docteur Joseph)) euh:: il
s'agit de pas garder son mécontentementt, mais de venir en
tdiscuter euh et comme ça euh on peut aplanir les
difficultés >>. MSF montre alors, de nouveau, sa disposition
à entendre la critique. Puis, des lignes 342 à 355, Max illustre
le désir d'agir concrètement ensemble à l'aide d'un
exemple de revalorisation des profils des poste, oü il utilise un
<<on>> qui inclut cette fois-ci le Docteur Joseph (ligne 346) et
incite le personnel à faire des retours, donc à donner leur avis
(ligne 355), tout cela, pour être plus en phase avec la
réalité (ligne 354).
Ainsi, Max, au nom de MSF, positionne les membres de son
auditoire comme de véritables collaborateurs et acteurs de ce processus
de changement, leur rTMle devant être actif et non passif. L'organisation
est donc présentée comme préoccupée par la
communication et la discussion plus précisément, car elle
considère que les acteurs détiennent les solutions du changement.
C'est donc une vision de la base vers la direction qui est
préconisée, même si l'initiative revient au haut de la
hiérarchie. Correspondre à la réalité semble
être un trait marquant de l'identité projetée de
Médecins Sans Frontières, qui s'exprime ici
à travers cet exemple, mais qui semble être récurrent dans
son approche. Enfin, Max finit son tour de parole par une note amicale qui
démontre l'intérêt qu'il porte à la culture et la
langue de ses partenaires: << euh:: tranquillement (.) polé
polé? ((qui se traduit par<<lentement, lentement >> en
Swahili))>> (lignes 356-357). Cela nous montre également que
même si les interventions de MSF sont en quelque sorte brèves, ses
acteurs portent une attention particulière à l'autre et cela non
pas forcement que d'un point de vue opérationnel et médical. Ce
souci démontre aussi une certaine éthique dans ses interventions,
sa facon de travailler et un intérêt pour la communication.
Pour finir, nous avons donc pu constater que sous
prétexte d'informer, car c'était le but annoncé de la
réunion au début de l'intervention de Max, on voit que ce dernier
en profite pour donner en réalité la vision des choses de MSF et
défendre ses idées dans le but d'influencer l'assemblée
réunie et de les convaincre d'agir dans le sens de MSF. Pour faire cela,
Max agit avec le seul moyen qu'il a à sa disposition, c'est à
dire le langage, le discours, la parole. D'une certaine manière, Max
négocie avec le public l'adhésion de ce dernier à sa
vision de MSF, le choix de ses arguments devant donc être pertinent. Pour
cela, on voit comment il ventriloquise implicitement et explicitement les
principes, politiques et pratiques de son organisation afin de la
présenter et ainsi la rendre présente dans son intervention. Tout
au long de son discours, Max fait un travail de positionnement à travers
un subtil jeu de langage mettant en scène le <<nous>> et le
<<vous >>, qu'il conclut par un <<faire>> collectif.
MSF se caractérise donc aussi dans toute sa complexité, avec au
sein de son discours, des marqueurs de l'ouverture et de la fermeture à
l'autre.
au Nord-Kivu avec deux officiers de la MONUC
Sur l'ensemble des 42 heures de vidéos que nous avons
visionnées concernant la mission de MSF en RDC, nous avons pu constater,
à plusieurs reprises, que Max tenait le même discours. Ainsi, sous
prétexte d'informer ses interlocuteurs, il semblait souhaiter, en
réalité, accomplir quelque chose et notamment les convaincre en
communiquant sa vision de l'identité de son organisation. Nous avons
donc vu, à de nombreuses reprises, ce même travail à
l'Ïuvre et tout particulièrement dans un extrait où il
rencontre deux représentants de la MONUC.
Afin de replacer cette séquence dans son contexte,
notons qu'elle a lieu dans un camp militaire de la MONUC, qui est une mission
de paix des Nations Unies chargée de remplir plusieurs mandats en RDC,
notamment la protection des civils et la sécurité du territoire.
Les acteurs de cette réunion sont deux officiers de la MONUC, ainsi que
deux membres de MSF (Max, chef de Mission au Nord-Kivu et Carole, coordinatrice
médicale de la RDC). En plus de ces quatre personnes, nous constaterons
la présence de Francois Cooren, co-directeur de ce mémoire,
accompagné de sa caméra qui filme l'interaction.
Ce présent extrait ne va pas faire l'objet d'une
analyse minutieuse, mais va plutôt être étudié dans
son ensemble pour constater que le processus qui est à l'Ïuvre est
le même que celui observé dans l'analyse de la séquence A
que nous avons précédemment analyser. En arrivant sur le
campement des militaires, Max remet un rapport d'activité trimestriel de
l'action de MSF dans la région à un des chefs militaires qui
l'accueille. Puis il lui pose des questions sur les milices présentes
dans la région (May May et FDLR) et leurs activités et mouvements
dans celle-ci. Le militaire lui répond en lui donnant certaines
informations, puis il demande à Francois
Cooren dÕeteindre la video pour communiquer à Max
des informations non officielles.
Les deux hommes discutent cordialement de ces informations sur
les milices et lÕaction de la MONUC. Ils disent aussi quÕils se
rencontrent assez souvent, cette rencontre nÕest donc pas
exceptionnelle. Puis, un deuxieme chef militaire entre dans la reunion. Notons
que celui-ci ne conna»t pas Max. Automatiquement, Max lui explique en
detail les activités de MSF dans la region. Il parle du programme de
lutte contre la malnutrition des enfants, ce qui amène son interlocuteur
à le remercier pour le travail que MSF fait sur le terrain. Puis, cette
même personne demande à Max comment cela se passe pour que MSF
intervienne. Il sÕen suit alors un long monologue de Max, ponctué
par des signes dÕaccords de son interlocuteur, lequel se montre
apparemment tres attentif au discours de son vis-à-vis.
On voit Max aborder de nombreux points, mentionnant que toutes
les operations sont financées par MSF à lÕaide de fonds
privés, quÕelle négocie avec les autorités locales
pour sÕimplanter sur le terrain. Il parle aussi de la politique de
transparence de son organisation, du fait que MSF a été
créé en 1971 par des médecins francais et quÕelle
est aujourdÕhui une association dÕenvergure internationale
implantée localement sur tous les continents avec sa maison mere en
France. Il signifie aussi que MSF est organisation médicale non
gouvernementale, qui donne des soins gratuitement à tout le monde et
cela, sans aucunes discriminations. Max lui dit egalement, avec une certaine
conviction dans la voix et les gestes, que MSF est une organisation
indépendante et quÕà ce titre elle refuse d'être
convoyée avec des militaires lors de ses déplacements. En outre,
il précise que MSF nÕest pas lie à la MONUC, ni aux FARDC,
ni à aucun gouvernement. Enfin, il indique à son interlocuteur
que les membres de MSF sont, pour la majorité, des
volontaires issus de tous les pays du monde.
On le voit ensuite confirmer à plusieurs reprises
quÕune des habitudes de MSF est de parler avec tout le monde, afin
dÕexpliquer les activités quÕelle realise et le pourquoi
de ses interventions. Il explique aussi que le rapport dÕactivité
quÕil vient de remettre à son collégue vise à ce
que tout le monde soit vraiment au courant de lÕaction de MSF.
Finalement, lÕinterlocuteur de Max le félicite pour
lÕaction de son organisation et lui demande pour combien de temps ils
vont rester dans la region. LÕambiance est ensuite assez détendue
tout au long de la rencontre, il y a beaucoup dÕéclats de rire.
Les officiers de la MONUC invitent Max, Carole et Francois à rester
déjeuner avec eux, mais Max sÕexcuse car il ne peut accepter
lÕoffre et se justifie en disant quÕils sont attendus à
une autre reunion. Les militaires les raccompagnent endehors du campement et la
délégation MSF reprend la route dans leur voiture aux couleurs de
MSF.
Cette rencontre entre les membres de MSF et les militaires de
la MONUC nous montre quÕau moins deux buts poursuivis semble (1)
dÕentretenir des relations cordiales avec leur vis-à-vis et (2)
dÕobtenir des renseignements qui peuvent etre utiles à la
sécurité du personnel MSF dans le cadre de leurs missions dans la
region. Max, qui se confie à Francois Cooren dans un autre extrait,
parle de pêche à lÕinformation. Cette sequence nous montre,
en outre, que les mêmes exemples sont utilisés par Max
lorsquÕil présente les principes de MSF à un des
officiers. Nous pouvons donc constater que Max est attaché à un
discours identique et recurrent qui rend present MSF dÕune certaine
façon, mais aussi que celui-ci est utilisé par ses membres dans
leurs interactions pour informer lÕautre de leur(s) vision/programmes
(ce quÕils font) et de leur identité (qui ils sont). Le rTMle de
Max sÕapparente ici à une sorte de responsable des relations
publiques. On pourrait comparer la façon de
communiquer de MSF à celle d'une campagne politique,
oü il faut voir un maximum de personnes pour leur communiquer une vision
et les rallier à notre cause. Ce type de rencontre sert donc à
collecter des informations et à communiquer l'essence de MSF à
l'autre.
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