B. Une procédure qui met en cause les droits de
l'accusé
La possibilité de maintien en détention
après acquittement met en cause les droits fondamentaux de la personne
notamment le droit à la présomption d'innocence
(1) et le droit à la liberté
(2).
1. Le droit à la présomption
d'innocence
Le droit à la présomption d'innocence
consacré par de nombreux textes juridiques internationaux52
et codifié dans la plupart des législations
nationales53 constitue l'un des principes de base de droit
pénal moderne. Selon ce principe, toute personne poursuivie est
considérée comme innocente tant qu'elle n'a pas été
déclarée coupable par la juridiction
compétente54.
L'un des corollaires de la présomption d'innocence est
que la liberté est la règle et la détention reste
l'exception55. La détention ne devrait être
ordonnée que dans les conditions exceptionnelles et doit prendre fin
lorsqu'elle n'est plus justifiée, en raison de la décision
d'acquittement56 dont l'effet primordial est de lever la
culpabilité qui la justifierait. C'est d'ailleurs pour cette raison
qu'en France comme dans bien d'autres pays57, l'acquitté ne
peut pas être maintenu en détention, sauf s'il est retenu pour
d'autres causes58. De ce qui précède, il
apparaît que le maintien en détention de l'acquitté serait
en effet attentatoire à ce droit fondamental de la présomption
d'innocence.
52 Art. 11 de la D.U.D.H. du 10 nov. 1948; art. 14.
2 du P.I.D.C.P. du 23 mars 1976; art. 6. 2 de la C.E.D.H. du 4 novembre 1950;
art. 8. 2 de la C.A.D.H. adoptée par l'Organisation des Etats
américains à la Conférence spécialisée
interaméricaine sur les droits de l'homme du 22 nov. 1969 et
entrée en vigueur le 18 juillet 1978; art. 7. 1. b. de C.A.D.H.P.
adoptée par l'Organisation de l'unité africaine à sa
18e Conférence du 27 juin 1981 et entrée en vigueur le
21 octobre 1986.
53 A titre d'exemple, voy. art. 19 Constitution de
la République du Rwanda du 04/06/2003, telle que révisée
jusqu'à ce jour, J.O.R.R., n°spécial du 04 juin
2003, p. 1; art. 11. d) de la Charte canadienne des droits et libertés
telle comprise dans la Loi constitutionnelle canadienne de 1982 entrée
en vigueur le 17 avril 1982; art. 32. 1 de la Constitution
fédérale de la Confédération suisse du 29 mai 1843
telle que modifiée dernièrement le 18 avril 1999.
54 P. J. SCHWIKIKARD, Presumption of
innocence, Cape Town, Juta and Co Ltd, 1999, p. 36.
55 N. MWENE SONGA, Traité de droit
pénal général congolais, Kinshasa, Editions Droit et
société, 2001, p. 484.
56 B. DEJEMEPPE (dir.), op. cit., note 48, p.
283.
57 Art. 169 de la Loi no 13/2004 du
17/5/2004 portant code de procédure pénale du Rwanda, telle que
modifiée et complétée jusqu'à ce jour,
J.O.R.R., no 11 du 15 juin 2004; art. 33 §
1er al. 2 du C.P.P. Blg.
58 Arts. 367-368 du C.P.P. Fr.
Cependant, il faut signaler que ce principe de
présomption d'innocence n'est pas ignoré par le TPIR car il est
consacré par son Statut en son article 2059. Si le
rédacteur des textes du Tribunal a prévu la détention
provisoire et son maintien après acquittement, c'est pour des raisons
tenant au souci de doter l'institution de moyens efficaces nécessaires
à l'instruction du procès. Mais ces moyens devraient être
conçus de façon à atteindre l'objectif visé sans
enfreindre les droits de l'accusé.
2. Le droit à la liberté
Le droit à la liberté reconnu à tout
individu et en tout le temps60 vise essentiellement à le
protéger contre toute atteinte à sa liberté physique.
L'arrestation et la détention n'étant pratiquées
qu'à des occasions exceptionnelles. C'est cet esprit qui a d'ailleurs
inspiré le rédacteur de l'article 99 du Règlement qui a
consacré en principe la remise en liberté de l'acquitté et
exceptionnellement son maintien en détention.
En interprétation de cette disposition, la Chambre de
première instance a relevé qu'Ó« il convient
d'apprécier (...) au regard du fait qu'Ignace BAGILISHEMA a
été acquitté et qu'il jouit de son droit fondamental
à la liberté (..).»61. Ainsi, la Chambre s'est
montrée préoccupée au même titre que certains droits
nationaux62 par le maintien en détention après
acquittement. Ce dernier risquerait de voir enfreint son droit fondamental
à la liberté ainsi obtenu, lorsqu'il n'y a plus de soupçon
justifiant la détention en cas d'acquittement.
Cependant, il est vrai que le procès en première
instance ne met pas fin à la procédure. La Chambre d'appel peut
en effet bien revenir sur l'acquittement et il serait alors utile d'avoir
l'accusé disponible pour répondre des charges ou purger sa peine
si la Chambre d'appel a elle-méme évoqué l'affaire et
appliqué une peine. Toutefois, même si la mesure d'acquittement
peut revétir quelque précarité au regard des pouvoirs de
la Chambre d'appel de la remettre en cause, personne ne saurait dénier
à la Chambre de première instance le droit de tirer les
conséquences logiques de son propre jugement d'acquittement. A son
niveau, le soupçon n'existe plus. Dès lors, il serait très
malaisé pour elle de maintenir quelqu'un en détention juste
après l'avoir lavé de tout soupçon. Ceci est d'autant plus
vrai que la lenteur des procédures d'appel risquerait de prolonger une
détention indue pour une
59 L'art. 20 du Statut est libellé comme suit :
« Toute personne accusée est présumée innocente
jusqu'à ce que sa culpabilité ait été
établie conformément aux dispositions du présent statut.
».
60 Cfr. art. 8 de la D.U.D.H.; art. 9. 1 du
P.I.D.C.P.; art. 5. 1 de la C.E.D.H.; art. 7 de la C.A.D.H.; art. 6 de la
C.A.D.H.P.
61 Le Procureur c. Ignace BAGILISHEMA,
supra note 8, par. 10.
62 Cfr. supra notes 57-58.
période déraisonnablement longue63.
La Chambre pourrait être tout aussi embarrassée si elle accordait
une mesure de mise en liberté immédiate avec la pleine conscience
que la personne ne justifie d'aucune garantie de représentation en
justice et s'évanouirait dans la nature dès la première
opportunité, compromettant ainsi toute possibilité de
procès contradictoire en appel.
C'est certainement ce double embarras qui a conduit le TPIR
à inventer une alternative à la détention, visant à
trouver un équilibre entre les intérêts de la justice et la
primauté de la liberté individuelle.
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