2.3. Le pouvoir absolu arbitraire
2.3.1. Les différentes formes de l'arbitraire
Malgré toutes les limites du pouvoir pour éviter
l'absolutisme et l'arbitraire, le risque d'en arriver à ce qui est
redouté demeure. En effet, Il peut arriver que des hommes au pouvoir
agissent contrairement à ce que leur demande leur nature rationnelle ;
et cela malgré toutes les limites du pouvoir. En d'autres termes,
là où il y a des hommes la tyrannie, l'arbitraire ou l'absolu
sont toujours possibles malgré les lois mises en place.
Pour considérer les déviations
communément appelées abus de pouvoir, John Locke montre
combien ils se manifestent dans un Etat sous diverses formes.
Ainsi, la « tyrannie est l'usage d'un pouvoir dont on est
revêtu, mais qu'on exerce, non pour le bien et l'avantage de ceux qui y
sont soumis, mais pour son avantage propre et particulier, et celui-là
poursuit Locke, quelque titre qu'on lui donne, et quelques belles raisons qu'on
allègue, est véritablement tyran, qui propose, non des lois, mais
sa volonté pour règle, et dont les ordres et les actions ne
tendent pas à conserver ce qui appartient en propre à ceux qui
sont sous sa domination, mais à satisfaire son ambition
particulière, sa vengeance, son avarice, ou quelque autre passion
déréglée48 ».
D'où, peut s'établir une différence nette
entre un roi juste et un tyran. Cette différence
John Locke la donne quand il fait intervenir le Roi Jacques Ier
dans son discours au Parlement en 1603. Il parle en ces termes :
« Je préférerais toujours, en faisant de
bonnes lois et des constitutions utiles, le bien public et l'avantage de
tout l'Etat, à mes avantages propres et intérêts
particuliers ; persuadé que je ne suis que l'avantage et le bien de
l'Etat est mon plus grand avantage
46 Ibid., §. 141, pp. 250.
47 Philippe RAYMOND et Stéphane RIALS, « LOCKE John
», in Dictionnaire de philosophie politique, Paris, PUF, 1996, p.
355.
48 Second Traité, § 199, p. 290.
et ma félicité temporelle, et que c'est en ce
point qu'un Roi légitime diffère entièrement d'un tyran.
En effet, il est certain que le principal et le plus grand point de
différence qu'il y a entre un Roi juste, et un tyran et un usurpateur,
consiste en ce qu'au lieu qu'un tyran, superbe ambitieux s'imagine que son
royaume et son peuple sont uniquement faits pour satisfaire ses désirs
et ses appétits déréglés, un Roi juste et
équitable se regarde, au contraire, comme établi pour faire en
sorte que son peuple jouisse tranquillement de ses biens, et de ce qui lui
appartient en propre49 >>.
Le même Roi, dans le discours qu'il prononcera en 1609,
s'exprimera de la manière qui suit :
<< Le Roi s'oblige lui-même, par un double
serment, à observer les lois fondamentales de son royaume : l'un est
serment tacite, qu'il fait en qualité de Roi, et par la nature de sa
dignité, qui l'engage, et bien étroitement, protéger et
son peuple et les lois du royaume, l'autre est un serment exprès qu'il
prête, le jour de son couronnement. De sorte que tout Roi juste, dans un
royaume fondé, est obligé d'observer la paction (Le
pacte ou la convention ) que Dieu fit avec Noé après le
déluge. Désormais, le temps de semer et le temps de moissonner,
le froid et le chaud, l'été et l'hiver, le jour et la nuit, ne
cesseront point, pendant que la terre demeurera. Un Roi donc qui tient les
rênes du gouvernement dans un royaume formé, cesse d'être
Roi, et devient tyran dès qu'il cesse, dans son gouvernement, d'agir
conformément aux lois50 >>.
Dans le même discours, Jacques Ier ajoute :
<< Ainsi, tous les Rois qui ne sont pas tyrans ou
parjures, seront bien aises de se contenir dans les limites de leurs lois ; et
ceux qui leur persuadent le contraire, sont des vipères et une peste
fatale, tant au regard des Rois eux-mêmes, qu'au regard de l'Etat
51>>.
En lisant ce discours, nous avons pu ressortir la
différence que le Roi Jacques Ier fait entre un Roi juste et un tyran.
Quoi qu'il en soit, il faut entendre par abus de pouvoir le fait que les
gouvernants ne fassent pas comme il se doit leur travail ou abandonnent
carrément le travail pour lequel ils ont été élus
par la population.
Pour décrire les fonctions de l'Etat, Locke recourt
à la notion anglaise de trust, qui signifie chez lui que le
lien entre le peuple et les pouvoirs publics n'est pas un contrat,
mais une mission de confiance ou une charge que le peuple confie à ceux
qui le représentent. Le pouvoir politique, fondé sur un trust
reste soumis à l'obligation de réaliser des fins qu'il ne
détermine pas lui-même, mais, dans la mesure où le peuple
le délègue aux gouvernants, ces derniers ne sont pas de simples
exécutants de la volonté populaire. Et les abus commence quand le
peuple n'a plus le contrôle du pouvoir et que le pouvoir abuse de la
confiance du
49 Second Traité, §. 200, pp.290-291.
50 Idem.
51 Idem.
peuple. C'est bien là le début de l'arbitraire,
quand la référence aux lois fait défaut du
côté de l'autorité.
Le mot arbitraire, pris souvent dans un sens
péjoratif, désigne toute décision ou volonté
apparaissant comme capricieuse et non fondée en raison. Il qualifie ce
qui dépend d'une décision purement individuelle et implique
l'intervention d'un << bon plaisir » et non d'une raison
universellement valable. Cet arbitraire peut se manifester quand il s'agit
d'une tyrannie ou d'un pouvoir despotique. A entendre par pouvoir despotique,
tout pouvoir absolu et arbitraire qu'un homme a sur un autre de lui ôter
la vie quand bon lui semble. Ce pouvoir n'est pas un don de la nature, car elle
n'a pas établi cette discrimination entre les hommes ; son attribution
n'est pas l'effet d'un contrat, car l'homme ne saurait donner à autrui
ce pouvoir arbitraire sur sa propre vie, ne l'ayant pas lui-même, il
résulte exclusivement de la déchéance du droit de vivre
qui frappe l'agresseur quand celui-ci entre en guerre contre quelqu'un
d'autre52.
Le pouvoir despotique est à distinguer de la tyrannie
chez Locke. Ce n'est pas un pouvoir naturel. Car, celui-ci prône
l'égalité entre les hommes. Les circonstances qui peuvent
normalement conduire à l'instauration d'un pouvoir despotique sont
celles de la guerre. En effet, pour Locke, si un homme se met en état de
guerre et s'il est vaincu, il n'a pas droit à la vie. Il doit être
considéré comme une bête parce qu'il agit contre la loi
naturelle. Ainsi sur cet homme, on doit exercer un pouvoir despotique qui est,
en réalité, un état de guerre continué. Un
pouvoir despotique n'est pas un pouvoir de convention, c'est-à-dire un
pouvoir qui fait l'unanimité du peuple par le fait du consentement
donné. Toutefois, il cesse d'être lorsqu'il y a accord
exprès entre le prisonnier de la guerre et le vainqueur. Car, l'accord
devient une sorte de consentement donné, ayant pour but la connaissance
d'une autorité dès lors choisie implicitement.
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