2.3.2. La prérogative et ses dangers
Pour Locke, dans la société politique, le
pouvoir législatif << n'est pas toujours sur pieds » parce
que << l'assemblée de ce pouvoir est d'ordinaire trop nombreuse et
trop lente à dépêcher les affaires qui demandent une
prompte exécution53. Aussi faut-il noter que ce pouvoir ne
prévoit, ni ne pourvoit à tous les accidents et
nécessités qui peuvent survenir ou qui peuvent aller à
l'encontre des lois. C'est la raison pour laquelle le peuple, pour son bien
le
52 Second traité, § 172, pp. 272-273.
53 Ibid., § 160, 263-264.
plus grand, accorde au pouvoir exécutif un autre
pouvoir supplémentaire appelé la prérogative. Celle-ci est
à exercer dans la confiance du peuple avec prudence et
discrétion.
Pour Locke, la prérogative est un pouvoir
discrétionnaire que le peuple accorde au prince -en tant qu'il
détient le pouvoir exécutif - d'agir en cas de
nécessité sans prescrire les lois ou d'agir même contre les
lois lorsque le bien de la nation tout entière l'exige. Autrement dit,
c'est un pouvoir qui permet au prince d'agir au nom du salut public dans des
circonstances imprévisibles et nées du hasard,
c'est-à-dire des circonstances non prévues par des lois
positives. Si la prérogative est accordée au prince, c'est parce
que ses intérêts ne diffèrent pas de ceux du
peuple54.
Les abus de pouvoir peuvent résulter de la
prérogative, car celle-ci comporte beaucoup de danger. En
exerçant la prérogative un pouvoir peut d'un moment à
l'autre verser dans l'arbitraire. Et pourtant quand John Locke parle de la
prérogative, son souci majeur est de bâtir une
société qui repose fondamentalement sur la justice, la raison,
les lois établies pour sauvegarder l'humanité de l'anarchie et de
l'arbitraire. Toutefois, ceci ne se réalise qu'avec la présence
d'un gouvernement considéré comme lieu où chaque individu
en renonçant à sa force brute, peut se réaliser
pleinement. Le gouvernement se charge donc d'établir des lois justes
afin d'éviter toute dégénérescence de la
communauté.
C'est pourquoi la prérogative telle que Locke la
conçoit, ne peut être confiée à n'importe qui. C'est
parce qu'elle peut facilement être changée en un instrument
d'oppression et d'asservissement pour le peuple. Elle peut devenir un pouvoir
arbitraire et un droit de faire de choses préjudiciables au peuple.
C'est ce qui explique d'ailleurs selon Locke, qu'en Angleterre, « la
prérogative a toujours crû entre les mains des plus sages et des
meilleurs princes, parce que le peuple remarquait que toutes leurs actions ne
tendaient qu'au bien public55 ». En d'autres termes, la
prérogative est à confier aux hommes raisonnables et
sensés dont le seul souci est de servir l'intérêt de la
nation tout entière.
Si la prérogative est déviée ou
détournée de son objectif premier qui est le bien du peuple, il
s'ensuit une pure dictature ou une monarchie absolue qui est bien
évidemment source des désordres et des malheurs du peuple ; car
la liberté est opprimée et le bien public n'est plus la fin du
gouvernement. Dans de telles circonstances, il est bon de légitimer le
droit de résistance pour que le peuple se rende justice, parce que le
prince se rebelle et lui déclare la guerre.
54 Second Traité, § 163, pp. 265-266.
55 Ibid.,§ 166, pp. 267-268.
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