Chapitre premier :
LA CONCEPTION DU POUVOIR CHEZ JOHN LOCKE
1.1. Introduction
Parler du pouvoir tel que le conçoit et le comprend
John Locke est une entreprise qui nous pousse inévitablement dans un
premier temps, à faire mention de ce qui a conduit à la formation
de la société civile et, dans un deuxième temps, à
considérer les structures mises en place pour consolider ce corps et
assurer sa prospérité. A ce niveau, il sera question de montrer
en quoi l'exercice du pouvoir se fait en fonction des lois qui, lorsqu'elles
sont respectées, garantissent l'ordre public. Finalement, nous
montrerons comment le pouvoir, pris comme fonction (comme service ) et comme
obligation, peut contribuer considérablement à la bonne marche de
la société politique.
1.2. De l'origine du pouvoir politique
1.2.1. Pourquoi la société politique ?
On peut bien se poser la question : pourquoi les hommes se
sont-ils organisés en communauté politique en quittant
l'état de nature ? La même question, John Locke la pose autrement
quand il dit :
<< Si l'homme, dans l'état de nature, est aussi
libre que j'ai dit, s'il est le Seigneur absolu de sa personne et de ses
possessions, égal au plus grand et sujet à personne ; pourquoi se
dépouille-t-il de sa liberté et de cet empire, pourquoi se
soumet-il à la domination et à l'inspection de quelque autre
pouvoir5 ? »
Sa réponse est que dans l'état de nature,
l'homme a un droit, tel que cela a été posé et
présenté ; cependant, la jouissance de ce droit est fort
incertaine et est exposée sans cesse à l'invasion d'autrui. Car,
<< tous les hommes étant rois, tous étant égaux et
la plupart peu exacts observateurs de l'équité et de la justice,
la jouissance d'un bien propre, dans cet état, est mal assurée,
et ne peut guère être tranquille6 ». Dans cet
état, chacun fait de son mieux pour se protéger et
protéger son bien contre les velléités de ceux qui
enfreignent la loi de la nature.
L'état de nature a la loi de nature, qui doit le
régler, et à laquelle chacun est obligé de se soumettre et
d'obéir. La raison est le principe régulateur. Elle enseigne
à tous les hommes,
5 Second Traité, § 236, pp. 320-321.
qu'ils sont tous égaux et indépendants ; et nul
ne doit nuire à un autre, par rapport à sa vie, à sa
santé, à sa liberté, à son bien7. Et
comme la punition en cas de violation de la loi est accordée à
tous, chacun a le droit de punir et de faire exécuter les lois. Cette
situation peut conduire à l'anarchie et au désordre par manque
d'arbitre. C'est ce qui, selon Locke, a obligé les hommes à
quitter cette condition, qui quelque libre qu'elle soit, incite à la
crainte ; les hommes y sont exposés à des perpétuels
dangers. Ce n'est donc pas sans raison qu'ils recherchent d'entrer dans la
société politique et qu'ils souhaitent se joindre à
d'autres hommes qui sont déjà unis ou qui ont dessein de s'unir
et de composer un corps, pour la conservation mutuelle de leur vie, de leur
liberté et de leurs biens ; bref, leurs
propriétés8, pour employer une expression
chère à John Locke à cet effet.
Ainsi, la plus grande et principale fin que se proposent les
hommes, lorsqu'ils s'unissent en communauté politique, est de se
soumettre à un gouvernement qui a pour mission de conserver leurs
propriétés. Ceci n'est pas tout à fait garanti dans
l'état de nature. Et pour Locke, « problématiser la
politique c'est faire de la propriété réelle un objet de
pensée. De sorte que, pour ainsi dire, la propriété est
à elle-même sa propre preuve, elle est ce qui permet de penser le
régime de l'Etat, de la société. Elle est donc pour Locke,
le concept éminent de la pensée politique et, dans le même
temps, elle devient une institution réelle, légitimée et
moralisée. Elle est le centre organisateur de la société
civile, l'origine et la fin de la vie politique : les volontés y tendent
et en procèdent9 ».
Il convient de souligner comme le dit Gérard Mairet,
commentant John Locke : « L'état de nature est un état de
manque, il y manque une loi établie, fixée et promulguée
pour tous, qui sert de norme commune, à laquelle tous les
différends qui peuvent surgir sont rapportés et
évalués10 ». De plus, un pouvoir judiciaire
reconnu fait défaut, de sorte que les passions et l'intérêt
risquent de l'emporter dans les délibérations ; comme chacun
s'institue juge et partie, au lieu de la justice, c'est la vengeance qui
règne.
Bien qu'il soit certain pour Locke que dans l'état de
nature les hommes ont tous les pouvoirs grâce à la liberté
dont ils jouissent, il demeure qu'ils ne peuvent pas en jouir effectivement.
Chacun pouvant faire ce qu'il veut, les droits et les libertés des
autres se trouvent continuellement en danger. On est par ce fait même
exposé à l'arbitraire de tous.
6 Idem.
7 Second Traité, § 6, p.145, pp. 251-252.
8 Ibid., § 237, pp. 321-322.
9 Gérard MAIRET, Les grandes oeuvres politiques,
Paris, Le livre de poche, 1993, p. 144.
10 Idem
L'organisation en communauté politique et la soumission
à un gouvernement n'ont d'autre but que de palier aux limites et
difficultés rencontrées dans la condition naturelle de
l'homme.
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