4.3. La résistance aujourd'hui
4.3.1. La légalisation du droit de
résistance
De John Locke à nos jours, le droit de
résistance a beaucoup évolué. Si pour lui la
résistance au pouvoir trouve son bien-fondé non pas dans le
mécontentement des individus, fussent-ils nombreux, mais dans les
menaces qui pèsent sur l'ordre public, cela vaut aussi pour nous
aujourd'hui. Même si ce droit n'a pas changé en substance, il est
mieux compris aujourd'hui, il est de plus en plus légalisé. La
proclamation des droits universels de l'homme a entre autre consacré le
droit à la liberté au service de quoi se met l'opposition. La
légalisation des mouvements d'opposition distingue les
sociétés d'antan de celles d'aujourd'hui. Des textes
reconnaissent ce droit d'opposition puisque ; c'est un droit de citoyen. C'est
ainsi que la liberté de la presse, la liberté de réunion
et de manifestation, la critique des médias, la grève,
l'objection de conscience... sont devenues peu à peu des expressions
légales du droit d'opposition.
Ce droit de résister à des lois qui
relèvent de l'arbitraire a été appelé par certains
auteurs « la désobéissance civile ». On doit cette
expression à Henri-David Thoreau qui, au milieu du XIXième
Siècle, refusa de payer ses impôts, pour protester contre la
guerre que son pays menait au Mexique99. Il y a une
désintégration des systèmes politiques dont
l'érosion progressive de l'autorité gouvernementale constitue le
symptôme le plus frappant et la cause de cette érosion est
l'inaptitude des rouages gouvernementaux à s'acquitter de leur fonction,
c'est ce qui conduit d'ailleurs les citoyens à douter de leur
légitimité.
Dans les démocraties modernes, la
désobéissance civile a sans doute un rôle de plus en plus
important. L'opposition peut-être considérée comme un
moteur du fonctionnement des
institutions. Les dirigeants sont remis à l'ordre.
C'est un véritable garde-fou à l'arbitraire du pouvoir. C'est une
résistance qui s'adresse à l'illégalité.
La désobéissance civile peut être
violente. Outre la violence, la non-violence est en général
considérée comme une autre caractéristique
nécessaire de la désobéissance civile. Il résulte
en que la désobéissance civile n'est pas la révolution.
« Celui qui fait acte de désobéissance civile accepte les
cadres de l'autorité établie et la légitimité
d'ensemble du système juridique existant, alors que le
révolutionnaire le rejette.100 » Pour notre part, nous
privilégions l'option non-violente de la désobéissance
civile parce qu'elle assure l'institution de la liberté et qu'elle se
déploie sans la prétention d'ouvrir la voie à la guerre
civile. C'est ainsi que la désobéissance civile est plus
rattachée aux méthodes de l'action non violente. Comme les autres
formes de luttes non-violentes, la désobéissance civile repose
sur le principe que l'obéissance à la loi engage la
responsabilité du citoyen, et qu'il porte donc une part de l'injustice
dès lors qu'il obéit à une loi injuste101. En
effet, si l'injustice s'installe dans une société donnée,
le peuple est totalement dans ses droits quand il désobéit
à une loi injuste.
« En somme, la désobéissance civile
naît, elle aussi, de ce constat : je ne suis pas seulement responsable de
ce que je fais mais aussi de ce que je laisse faire. En ce sens, le fondement
de la désobéissance civile est la contestation de la «
légalité », dés lors que celles-ci cautionne une loi
injuste.102 »
N'étant pas qu'une contestation pure, la
désobéissance civile invite et appelle les autorités
à modifier la loi injuste. Cette désobéissance civile
n'est pas de l'anarchie : elle ne vient pas miner la démocratie de
l'intérieur. Mais au contraire, elle implique le respect de la loi.
C'est ainsi qu'à ce propos, Martin Luther King n'hésitait pas
à déclarer : « Je prétends qu'un individu qui
enfreint une loi parce que sa conscience lui dit qu'elle est injuste, et qui
accepte de bon gré la pénalité en restant en prison pour
réveiller la conscience de la communauté sur cette injustice,
exprime de fait le plus grand respect pour la loi103 ».
De John Locke, nous avons appris que l'Etat incarne
l'aspiration des hommes à se donner une instance commune
représentant leur volonté collective et structurant leur
communauté. Cet Etat est l'expression d'un droit à une existence
libre et autonome. Et la désobéissance civile quant à
elle, rappelle juste ces aspirations des hommes quand elles ne
99 Jacques SEMELIN, Pour sortir de la violence, Paris, Les
Editions ouvrières, 1983, p. 91.
100 Hannah ARENDT, Du mensonge à la violence,
Paris, Pocket, 1994, p. 78.
101 Jacques SEMELIN, Pour sortir de la violence, Paris,
Les Editions ouvrières, 1983, p. 92.
102 Idem.
103 Martin Luther King, cité par Jacques SEMELIN, Pour
sortir de la violence, Paris, Les Editions ouvrières, 1983, p.
92.
sont pas prises en compte. Les peuples résistent contre
l'exploitation et l'annihilation de toute humanité en eux. Jacques
Sémelin nous l'apprend fort bien quand il déclare :
« Face à la violence, l'homme sans arme n'est pas
forcément désarmé. Mais l'arme qu'il possède ne se
voit pas. Ce que les yeux voient trahit la réalité du rapport des
forces. Sous le poids de la violence, l'homme peut plier mais pas
nécessairement céder. Il ne cédera pas si la conscience
qu'il a de lui-même est suffisamment forte pour résister au
chantage à la mort qui s'exerce sur lui. La conviction profonde de
l'individu, son attachement à un idéal moral, politique ou
religieux déterminent sa capacité de résistance à
la violence.104 »
« Résister à la violence, c'est conserver
à l'intérieur de soi une parcelle d'autonomie, une zone de
liberté intérieure où l'on est seul à
décider de ce qu'on fait et de ce qu'on ne fait pas, de ce qu'on pense
et de ce qu'on ne pense pas. 105»
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