3.3. Le pouvoir du peuple de pourvoir à sa
sécurité
3.3.1. Le droit d'opposition dans l'histoire
Quand l'état de guerre s'installe dans une
société politique parce que les gouvernants ont abusé de
leur pouvoir, et de la confiance du peuple, le peuple pour sa part, a le
pouvoir de pourvoir à sa sécurité. En mettant en
évidence le caractère illégitime des
velléités du pouvoir, John Locke ruine les prétentions des
autorités, en rendant aux citoyens le droit de résister
désormais aux actions illégales dont elles se rendent
coupables.
La résistance signifie chez John Locke une condamnation
expresse de l'absolutisme et de l'arbitraire ; une possibilité est
donnée au peuple de reprendre ses droits primordiaux, quand le pouvoir
ou le prince n'assure plus le devoir qui lui avait été
confié par le peuple. En d'autres termes, il s'agit de faire un effort
contre l'usage de la force pour s'opposer à ce qui menace la
liberté. Dans ce sens, résistance peut être
assimilée à révolution et à
opposition. Pour ce qui est de la révolution, elle
consiste, dans le lexique politologue, dans le passage, d'ordinaire brusque et
violent, d'un régime à un autre, passage qui peut aller du coup
d'Etat à la guerre et qui a toujours le pouvoir étatique pour
enjeu central. C'est la fondation d'un temps nouveau. Non pas un retour au
point d'origine, pour la reprise éventuelle d'un cours connu, toujours
le même, mais rupture radicale avec le cours ancien et institution d'un
cours qualitativement autre.
En réalité, le droit d'opposition ne vient pas
de John Locke. C'est un héritage complexe des siècles. Il a une
histoire longue et trouble qui remonte bien au-delà. C'est en jalonnant
le cours des siècles de quelques repères qu'il est possible de
saisir le sens de l'évolution de la conscience politique des citoyens et
la conscience que les hommes ont prise, au fil des temps, du droit d'opposition
ou de résistance70.
Dans l'antiquité grecque déjà,
l'émergence des idées démocratiques va à l'encontre
des éléments conservateurs qui dominaient encore la cité.
Alors qu'Athènes apparaît en pleine expansion, un nombre croissant
d'Athéniens est en mesure de s'intéresser à la vie
publique et les démocrates se montrent de plus en plus actifs.
Cette expansion d'Athènes se retourne donc contre le
pouvoir, une maladroite opération punitive contre les Messéniens
à l'appel des Spartiates fournit l'occasion d'un règlement de
comptes. Cimon qui régnait sur Athènes, rendu responsable d'une
humiliation d'Athènes, est ostracisé en 461. Ses amis
aristocrates sont discrédités par divers scandales. Contre eux
s'élèvent le rigide Ephialte, adversaire décidé de
l'Aréopage, que l'on fera disparaître dans des conditions mal
éclaircies, et Périclès, passe comme lui au parti du
peuple : Athènes va se confier à lui pour les trente brillantes
années de son existence et c'est ce qui vaudra à la
période le nom de Siècle Périclès71.
C'est à l'aube des temps modernes, alors que se sont
formés les jeunes Etats d'Europe, que la conscience politique exprime
ses premières revendications. Les pamphlets vigoureux des monarchomaques
mettent le tyran en accusation. Ce n'est certes pas la première fois que
se développe la critique de la tyrannie. Mais c'est la première
fois que l'on conclut nettement de la critique de ce régime
dégénéré à la légitimité de
l'oppression des citoyens et la nécessité de l'organiser.
Même si, en ce temps là, Luther est réticent et
considère que l'opposition du peuple à son prince est une injure
à Dieu, même si la Boétie, critiquant le tyran, n'accepte
pas que << le branle » lui soit donné pour le renverser, les
monarchomaques huguenots rompent cette réserve, essentiellement parce
qu'ils assignent au pouvoir politique un fondement contractuel.
Tant que le pouvoir politique est fondé en Dieu,
l'idée d'une résistance à l'Etat est inconcevable : un
Etat théocratique ne peut tolérer d'opposition,
c'est-à-dire de limitation à sa puissance, laquelle serait une
offense à Dieu lui-même. En revanche, lorsque les théories
constractualistes sécularisent le pouvoir, les rois ne sont que la
contrepartie de leurs devoirs. En conséquence, tout manquement à
ces devoirs rompt le pacte qui les unit aux gouvernés. Ceux-ci sont donc
fondés à se révolter chaque fois que le prince n'assure
pas ses devoirs royaux. L'opposition est donc légitimée. Elle est
dans la logique même du contrat. Ainsi justifiée, elle peut
prendre des formes plus ou moins graves ou violentes ; elle peut être
aussi rébellion et insurrection ; elle peut aller jusqu'au meurtre du
roi-tyran. Mais, en tout état de cause, c'est une erreur de croire que
cette opposition est le paramètre d'une révolution
démocratique. Elle s'inscrit dans une perspective de logique politique
qui sous-tend une conception anthropocentrique du pouvoir.
Malgré le renversement spectaculaire qu'introduit dans
la doctrine politique la notion de contrat social, le << droit
d'opposition » devait se heurter, à l'attaque classique, à
de très
fortes réticences qui sont parfois des refus
catégoriques. Tandis que Hobbes admet un seul cas de
désobéissance aux ordres des souverains législateurs celui
où l'individu recevrait le commandement de se mutiler ou de se tuer,
Grotius admet bien, au nom du droit naturel, le refus d'obéissance
à un roi qui se déclare ouvertement ennemi de tout son peuple ;
mais il découvre à ce droit, une série d'exceptions si
nombreuses qu'il avoue par là ses hésitations et son embarras
devant ce problème.
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