II. Acceptation de la norme
« De véritables entreprises de guerre, souvent
d'origine anglo-saxonne, ont, sur ce terreau, pu apparaître et
fructifier. [...] Il est à noter, d'ailleurs, qu'il ne s'agit plus du
mercenariat traditionnel, individuel, mais de véritables entreprises
commerciales, d'autan plus redoutables qu'elles disposent de moyens
importants ».
Michèle Alliot-Marie, Ministre de la Défense
Nationale, 2003
Finnemore et Sikkink le soulignent, « il ne suffit pas de
diffuser une norme pour signifier son acceptation ». Au contraire,
l'acceptation ou « cascade de la norme » est réalisée
lorsque le nombre d'acteurs étatiques qui adoptent la norme atteint un
point de bascule suffisant. Ce seuil n'est jamais défini à
priori.
Wolf-Dieter Eberwein et Yves Schemeil vont plus loin dans
l'analyse des normes et posent deux critères qui conditionnent
l'acceptation de la norme :
- ne pas appliquer la norme devient vite paralysant pour les
Etats ;
- ne pas y adhérer par calcul
d'intérêt78.
La première condition énoncée est
semblable à celle du cycle des normes. Elle concerne en effet le
processus de légitimation de la norme par l'édification de
standards de législation et/ou de ratification. Afin de légaliser
la norme ou de la sanctionner, les Etats mettent en place des processus
formels.
Dans le cas de la privatisation de la défense, ce point se
vérifie lorsque nous observons l'apparition de législations
internes aux Etats. Que ce soit aux Etats-Unis afin de mobiliser les SMP au
service de l'Etat ou en Afrique du Sud afin de limiter leur pouvoir de
nuisance. Comme le détail Jean-Jacques Roche, une législation
trop restrictive traduirait la volonté d'un Etat de se prémunir
contre les effets pervers de la norme.
Cas particulier de la France.
Le 14 avril 2003, la France promulgue une loi
particulièrement restrictive afin de se prémunir d'un possible
appel du mercenariat. Largement inspirée du protocole additionnel
77 SCHEMEIL Y, EBERWEIN WD, « Le
mystère de l'énonciation : normes et normalités en
relations internationales ».
78 SCHEMEIL Y, EBERWEIN WD, Ibid. pp. 20-35.
de 1977, cette loi définit le mercenariat par six
critères cumulatifs. La France tente ainsi officiellement de se
protéger des mercenaires sans toutefois interdire la création de
SMP française. Elle n'interdit pas non plus de souscrire un contrat de
défense avec une SMP d'origine étrangère,
américaine par exemple.
En ce qui concerne la seconde condition d'acceptation de la
norme de la privatisation de la sécurité, les travaux de Eberwein
et Schemeil apportent un éclairage précis sur la notion de
dessaisissement des fonctions régaliennes de l'Etat. En effet, une
évolution de la politique des Etats vers l'acceptation de la norme peut
être motivée par des considérations tactiques
(récupération d'un bénéfice immédiat) ou
d'ordres stratégiques (nécessité de se conformer aux
pratiques du modèle dominant -les Etats-Unis). Les deux chercheurs
avancent également l'adhésion de la norme comme moyen
d'éviter des sanctions internationales. Nous avons choisi de
caractériser ce dernier point comme la contrainte extérieure. Ne
pas céder à la pression internationale (ou celle du
marché), aboutirait à s'exclure radicalement du système.
Ce serait le moyen de se priver de sa liberté d'action et de perdre sa
capacité à proposer de nouvelles initiatives ainsi qu'à
orienter l'évolution de la norme. Car les normes ne sont pas
figées, elles demeurent en constante évolution.
La France, à défaut de se positionner sur le
marché de la guerre privée, se place en situation de
contestation. La loi anti-mercenaire de 2003 atteste de la volonté de la
France de demeurer en marge du système. L'outsourcing en France
représente encore un secteur embryonnaire mais l'idée de la
privatisation progresse lentement dans les milieux décisionnels. Le
ministère de la Défense aborde le thème de la
privatisation de la manière suivante : il s'agit « d'un mode de
gestion ancien qui consiste, pour l'administration, à confier à
un ou des partenaires externes spécialisés, une fonction, une
activité ou un service assurés jusqu'alors en
régie79 ».
Le thème du recours aux SMP par la France commence
à être envisagé dans les cercles de décisions
parisiens. Toutefois, « la France ne semble pas encore
décidée à entrer dans le marché80.
»
79 Directive ministérielle n°007496 du 26
mai 2003 sur la politique d'externalisation au sein du ministère de la
Défense.
80 Cahier de la recherche doctrinale, « L'emploi
des SMP en Afghanistan et en Irak », CDEF, juillet 2010, p. 79.
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