Chapitre 3 : La maîtrise de l'impact des SMP :
l'adaptation de l'Etat au processus de privatisation.
La privatisation de la sphère de la défense et
de la sécurité s'inscrit en dehors de la norme ancienne du
monopole de la violence légitime. Comme tout phénomène
nouveau, la privatisation de la guerre et l'apparition des SMP sont des
évènements inhabituels. De fait, ils suscitent des
appréhensions.
Dans cette partie, nous étudierons brièvement le
concept ancien énoncé par le sociologue allemand Max Weber. Nous
le confronterons ensuite aux théories du cycle des normes et de
Wolf-Dieter Eberwein et Yves Schemeil que nous aurons pris soin d'analyser.
Enfin, nous verrons que la privatisation de la sécurité est une
norme qui peut être régulée à deux niveaux, interne
et international.
I. Le monopole de la violence légitime
Le besoin de sécurité, comme l'a montré
le psychologue Maslow, est un des premiers besoins fondamentaux
nécessaires à la survie et au développement de la personne
humaine73. Dans la pyramide de Maslow74, ce
besoin se situe immédiatement au dessus des besoins physiologiques
(soif, faim, protection contre les intempéries, santé, etc.) et
avant les besoins psychologiques (appartenance, estime de soi, auto
réalisation) et de spiritualité.
Les Etats sont dépositaires des missions de
défense collective. Ils ont acquis le monopole de l'emploi de la force,
parfois au détriment des individus qui perdent le contrôle de leur
propre défense. Ce risque est évident si le monopole appartient
à un Etat totalitaire, mais il n'est pas absent dans le cas d'un Etat
démocratique. Confiée entre de mauvaises mains, cette puissance
peut avoir des conséquences néfastes pour les individus.
Ainsi, l'Etat est le dépositaire de la violence
légitime.
Qualifié par Jean-Jacques Roche75 de
modèle idéal-type sublimé, l'approche
wébérienne ne correspond en rien à la
réalité.
73 Abraham Maslow, Motivation et Personnalité,
Harper & Row, New York, 1954.
74 Reportée en figure n°4.
75 ROCHE, JJ, « La privatisation de la
sécurité porte-t-elle atteinte aux pouvoirs régaliens ?
»
Max Weber s'est probablement attaché à calquer
la construction des Etats sur un modèle défini par lui.
Cependant, l'Histoire regorge de cas particuliers. Dans la pensée
wébérienne, l'Etat moderne a toujours été le garant
de la violence. Nous apportons une réserve à cette
théorie. En dressant l'historique du mercenariat, nous avons pu
constater que l'Etat moderne a progressivement privé les seigneurs de
leurs prérogatives militaires, en bannissant notamment les duels et en
constituant une armée nationale. Peu à peu, l'autorité
suprême a pris le contrôle de la violence. De bandes armées,
l'armée est devenue nationale. Les guerres de conquêtes ont
rapidement modernisé le visage de la guerre.
De fait, il est préférable d'appréhender le
concept du monopole de la violence légitime comme un cheminement
intellectuel plutôt que comme une description de la
réalité.
L'Etat ne dispose pas d'emblée du monopole de la
violence.
Cas des guerres de décolonisation.
Si nous considérons la guerre de décolonisation
en Algérie, nous détenons un contre-exemple solide du principe
wébérien. En effet, le Front de Libération National (FLN)
a usé de violences afin d'une part d'éliminer la concurrence
d'autres mouvements de contestation. D'autre part, cette violence a servi
à alerter l'opinion publique française et à faire plier le
gouvernement français. Devant le niveau de violence atteint par le FLN,
le gouvernement a entamé les négociations et a rapidement
consenti à l'indépendance de l'Algérie.
Ce cheminement de la création d'un Etat indépendant
est l'exact opposé du schéma proposé par Max Weber.
Si le concept de monopole de la violence légitime
détenu par l'Etat ne résiste pas à certains faits
historiques, Jean-Jacques Roche souligne que cet idéal-type demeure la
référence des détracteurs de la privatisation de la
guerre76.
Le monopole de la violence légitime apparaît de
fait comme une norme internationale qui fut admise en raison de son
utilité pour les Etats en quête de légitimité. Cette
norme hégémonique est aujourd'hui confrontée à une
autre norme, plus libérale.
Comme le rappellent Wolf-Dieter Eberwein et Yves Schemeil, les
normes se fertilisent mutuellement et évoluent sous la pression de la
mondialisation notamment. Il n'est donc pas surprenant de constater que le
concept wébérien est à présent
dépassé77.
76 ROCHE JJ, Ibid.
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