II. La sur-dépendance des armées au
privé
« Nous devons nous prémunir contre l'influence
illégitime que le complexe militaro-industriel tente d'acquérir,
ouvertement ou de manière cachée64. »
Dwight Eisenhower, Président des Etats-Unis
d'Amériques
La politique d'externalisation amorcée aux Etats-Unis
dès la guerre de Corée et accélérée par les
conflits en Irak et en Afghanistan, a atteint un point de non-retour.
Le marché de la sécurité privée a
pris une telle ampleur aux Etats-Unis qu'il devient difficilement convenable
d'opérer un retour en arrière.
Les entreprises de sécurité privées ont
s'inscrivent à présent dans tous les secteurs de la
défense américaine.
Le DoD américain a progressivement fait de
l'outsourcing son bras armé. Ce phénomène
inquiétant a été qualifié par Bricet des Vallons
comme une « surdépendance des armées au secteur
militaire privé65 ». Le spécialiste de la
privatisation fournit de nombreux exemples de surdépendance au
privé, dont les plus pertinents sont exposés dans le
développement qui suit.
63 Société de sécurité
privée afghane spécialisée dans les escortes de convoi.
Elle emploie près de 10 000 salariés. La société
exerce la majorité dans le sud du pays (provinces de l'Helmand et de
Kandahar), zone fief du demi-frère du président afghan.
64 EISENHOWER, D, Discours de fin de mandat, 17
janvier 1961.
65 BRICET des VALLONS, G-H, Ibid. p.204.
A. Dépouillement matériel et
immatériel
Les SMP sont devenues un acteur incontournable du champ de
bataille. Présentes à de nombreux niveaux, elles participent
aujourd'hui activement à la reconstruction des pays
dévastés par la guerre. Le contingent de civils représente
une force importante.
Précisément, le nombre de contractors en
activité en Irak et en Afghanistan est impossible à obtenir. Les
sociétés privées ne communiquent pas sur le nombre exact
de salariés employés. En outre, les SMP sont nombreuses à
recourir à la main d'oeuvre locale, bon marché et
corvéable à souhait.
En 2005, le nombre de SMP présentes en Irak
était porté à 60, pour un effectif global de 20 000
hommes. En 2006, le nombre d'entreprises a triplé. Selon la cour des
comptes américaine (GAO), il est possible d'estimer le nombre de
salariés de sociétés privées à 120 000. Cet
effectif porterait ainsi le ratio civil/militaire à 1 contre 1. Selon
Bricet des Vallons, cette proportion a été atteinte aux
Etats-Unis uniquement lors de la guerre des Balkans, où les effectifs
civils, estimés à 20 000 civils sous contrat, rivalisaient avec
le chiffre des 20 000 militaires déployés66. Un
tableau récapitulatif, présenté à la figure
n°2 reprend l'évolution de la démographie des forces civiles
au sein de l'armée américaine depuis la guerre
d'Indépendance.
A Kaboul, le ministère de l'Intérieur Afghan
recense 52 SMP répertoriées. 25 000 contractors seraient
officiellement enregistrés auprès du ministère. Toutefois,
le Congré américain rapporte que beaucoup de
sociétés travaillent sans licence. De fait, les experts de la
question tablent sur un effectif de 100 000 contractors, locaux ou
étrangers, travaillant en Afghanistan.
Avec des volumes de force aussi élevés, les
civils sous contrats représentent un contingent non négligeable.
Les armées régulières doivent par conséquent les
intégrer pleinement dans les opérations, civiles et
militaires.
Devant le perfectionnement des systèmes d'armes
utilisés, les armées occidentales et les Etats-Unis en
particulier confient de plus en plus la préparation et la gestion de ces
matériels à des sociétés
spécialisées. De fait, les moyens capacitaires des armées
sont alors grandement affectés, en particulier dans le domaine de la
haute technologie : « certaines missions ont été si
massivement externalisées que le gouvernement ne possède plus le
savoir-faire et la capacité de les remplir sans les
contractors67. »
66 BRICET des VALLONS, G-H, Ibid. p. 26.
67 SCHATMANN Noël, « Blackwater and Friends
: America's Achilles's Heel ? », Danger Room, 2007.
Ce qui est vrai pour les matériels et les savoir-faire,
l'est tout particulièrement pour les personnels. Bricet des Vallons
développe la notion de « Soldier Drain » et dresse le bilan de
l'externalisation sur les armées régulières. Nous
préférons parler de la notion de problème de
fidélisation.
L'attrition est un phénomène qui tend à
prendre de l'ampleur dans les armées occidentales. Ce début du
XXIème siècle est caractérisé par
l'exode massif des militaires vers le privé. Ce phénomène
est particulièrement préoccupant outre-atlantique.
En effet, l'attractivité des salaires et du
matériel moderne mis à disposition des employés des SMP
représente un atout majeur de recrutement d'anciens soldats par les
firmes de sécurité. Ce phénomène de migration est
souligné par Deborah Avant. Dans son ouvrage, elle met en avant le
caractère attractif des salaires proposés par les firmes de
sécurité aux anciens militaires : « PERSONNEL MILITAIRE
recherché. A la recherche de candidats possédant une
expérience militaire et/ou judiciaire. Toute expérience dans les
forces spéciales particulièrement bienvenue. Les personnes
doivent être capables de travailler dans un environnement hostile durant
de longues périodes. Salaire : compétitif68
».
En outre, elle soulève le problème que pose le
départ anticipé de certains personnels militaires
spécialisés en terme de coût pour l'Etat. En effet, les
pilotes d'hélicoptères ou les membres des forces spéciales
ont une empreinte financière particulièrement lourde en terme de
formation.
Les militaires résistent de moins en moins à
l'appel des sirènes du privé et les institutions militaires
peinent à concurrencer les recruteurs.
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