Chapitre 2 : Le recours aux SMP : les dangers pour
l'Etat, le public au service du
privé.
Deborah Avant, professeur de sciences politiques à
l'université Irvine de Californie, a publié en 2005 un ouvrage
sur la privatisation de la sécurité et l'impact
généré par ce phénomène sur la
capacité des Etats à résoudre un conflit ou une crise.
Dans ses recherches, elle met en garde sur les dangers du recours aux SMP pour
l'indépendance stratégique du pays client. Ces
sociétés étant mues par une dynamique de profits et de
résultats, leurs intérêts divergent presque
systématiquement avec les intérêts des Etats. De
manière générale, elle écrit que « le fait
que les Etats-Unis, la Grande Bretagne, l'Australie, les Nations-Unies louent
des services privés de sécurité, peut réduire le
contrôle de l'Etat sur son propre territoire national et par la suite
compliquer la résolution du conflit62. »
Dans sa conclusion, elle met en garde les Etats sur les
dangers de la mondialisation et de la privatisation à outrance. Elle se
montre favorable à la conservation d'une séparation
marquée entre public et privé et prône la sauvegarde de la
souveraineté de l'Etat, dans la sphère de la
sécurité.
Dans cette partie, seront abordés les nombreux
problèmes de l'utilisation des SMP par le public.
I. Antagonisme entre logiques économiques et
objectifs politiques
La grande majorité des sociétés
militaires privées qui passent actuellement des contrats d'envergure
avec les grandes puissances occidentales sont des filiales de grands groupes
industriels. Liées étroitement avec les complexes
militaro-industriels, leur situation financière est confortable.
Toutefois, ces sociétés sont soumises à une logique
d'actionnariat divers, comme les fonds de pension et les holdings
financières internationales. Financées par des capitaux
privés, ces sociétés sont soumises à
résultats.
Le premier danger que nous pouvons citer réside dans une
éventuelle faillite de ces sociétés.
62 AVANT Deborah, D, The market for force : the
consequences of privatizing security, Cambridge University Press, 2005, 302
pages.
Avec la crise des marchés financiers qui sévit
depuis 2007, il est possible, bien que peu probable, que les investisseurs
privés cherchent à retirer leurs capitaux de ces
sociétés. Il résulterait de ce phénomène une
faillite des SMP. Le danger est réel sur le terrain.
En effet, une société engagée aux
côtés de troupes régulières qui se verrait en
faillite mettrait en péril la mission militaire. Le danger de la
faillite est réel puisqu'il conditionne le succès des armes.
Le deuxième paramètre à prendre en compte
repose sur la question de la fiabilité à long terme des SMP. Les
sociétés militaires privées s'inscrivent dans un
marché concurrentiel. Des fusions acquisitions régulières
rythment la vie de ces sociétés.
Ainsi la société américaine MPRI
s'est vue rachetée par le géant de l'électronique L3, qui
a également fusionné avec la société Titan
Corp. Le risque est faible lorsque les sociétés
rachetées sont de la même nationalité que la
société dominante. En revanche, lorsque les nationalités
diffèrent, les Etats clients peuvent être confrontés
à un changement de politique. A titre d'exemple, nous pouvons citer la
société britannique, Armor Group, rachetée par la
firme danoise G4S.
Le troisième point d'importance concerne l'objectif
principal des SMP. En effet, ces sociétés, bien que parfois mues
par des idéaux démocratiques, recherchent avant tout le profit.
Les sociétés militaires privées sont des entités
commerciales en quête de bénéfices. Les
sociétés privées se nourrissent de l'instabilité
mondiale. Les SMP ont en effet connu un essor financier sans
précédent grâce aux deux conflits en Irak et en
Afghanistan. La question de la légitimité de leurs intentions
peut se poser au chercheur.
En outre, l'annonce en 2010 du président Karzaï de
voir les SMP quitter l'Afghanistan a provoqué un séisme de grande
ampleur dans les milieux de la sécurité, mais également
dans les pays de la coalition. En effet, pour les gouvernements
étrangers représentés à Kaboul, les SMP sont les
garants de la sécurité de leurs emprises diplomatiques et des
bâtiments officiels. Officiellement pour le gouvernement afghan, les SMP
sont une insulte permanente à la souveraineté du pays. En effet,
les conventions internationales stipulent que la sécurité
extérieure des ambassades et des représentations diplomatiques
doit être du ressort du pays hôte. Actuellement, les
bâtiments dans la capitale afghane sont gardés par des gardes
privés. Il n'y a qu'à traverser la zone verte dans la capitale
afghane pour s'en convaincre. Officieusement, Hamed Wali Karzaï, le
demi-frère du Président afghan, était l'actionnaire
majoritaire de la société afghane Asia
Security Group (ASG)63. Le départ des SMP occidentales
d'Afghanistan signifierait la récupération d'un nombre non
négligeable de contrats.
L'appel afghan a été lancé, mais le
départ de ces sociétés n'a pas été encore
programmé par les pays de la coalition qui redoutent de voir les forces
de sécurité afghanes dépassées par la recrudescence
de la violence.
Ainsi, les motivations économiques des SMP peuvent
représenter une première difficulté dans la mesure
où elles suivent un objectif de maximisation du profit. Cette logique
semble s'opposer à la poursuite des objectifs politiques des Etats
clients.
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