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La privatisation de la sécurité: un dessaisissement des fonctions régaliennes de l'Etat

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par Michaël VISEUX
Université Jean Moulin Lyon 3 CLESID - Master 2 Recherche en science politique relations internationales sécurité et défense 2010
  

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Partie 1 :

Taxonomie des sociétés militaires et de

sécurité privées (SMSP)

Préambule : définition de la notion de mercenaire

La notion de mercenaire a été largement décriée dans l'histoire. Encore aujourd'hui, elle est empreinte de controverse en France car elle renvoie à une vision négative du métier. Toutefois, il n'en a pas toujours été ainsi. Il n'y a qu'à constater la tendance sous l'Ancien Régime à employer massivement des régiments étrangers Suisses, Ecossais et Irlandais. Si la France a utilisé très largement les services de ces mercenaires, il convient de souligner que le pays s'est détourné de cette pratique, à l'inverse des sociétés anglo-saxonnes qui ont plongées massivement dans le recours aux sociétés de mercenaires, dites militaires privées.

Dans notre étude, les enjeux attachés à la définition du terme mercenaire sont primordiaux dans la mesure où ils conditionnent largement le point de vue du chercheur et l'opinion qu'il attache au phénomène de privatisation de la sécurité.

Le dictionnaire Larousse définit le mercenaire sous un prisme financier. Du latin mercenarius, tiré du mot merces (salaire), l'adjectif mercenaire qualifie littéralement une personne qui ne travaille que pour un salaire, qui est inspirée par le profit. Le mercenaire est un soldat qui sert pour de l'argent un gouvernement étranger4.

L'article 47 du protocole I du 8 juin 1977 aux Conventions de Genève du 12 août 1949, relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux donne du mercenaire la définition suivante :

1. Un mercenaire n'a pas droit au statut de combattant ou de prisonnier de guerre.

2. Le terme "mercenaire" s'entend de toute personne :

a) qui est spécialement recrutée dans le pays ou à l'étranger pour combattre dans un conflit armé;

b) qui en fait prend une part directe aux hostilités;

c) qui prend part aux hostilités essentiellement en vue d'obtenir un avantage personnel et à laquelle est effectivement promise, par une Partie au conflit ou en son nom, une rémunération matérielle nettement supérieure à celle qui est promise ou payée à des combattants ayant un rang et une fonction analogues dans les forces armées de cette Partie;

4 Le petit Larousse illustré, édition 2008, page 638.

d) qui n'est ni ressortissant d'une Partie au conflit, ni résident du territoire contrôlé par une Partie au conflit;

e) qui n'est pas membre des forces armées d'une Partie au conflit;

f) qui n'a pas été envoyée par un Etat autre qu'une Partie au conflit en mission officielle en tant que membre des forces armées dudit Etat.

L'article n°1 est primordial dans la mesure où il témoigne de la volonté marquée des Etats rédacteurs de dissuader de l'usage des mercenaires dans un conflit armé. Le mercenaire est considéré comme un civil qui peut être poursuivi pour ses actions violentes, là où un combattant régulier ne peut l'être. Comme le souligne le sénateur Michel Pelchat, viceprésident de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur le projet de loi relatif à la répression de l'activité de mercenaire, le statut de prisonnier de guerre ne trouve à s'appliquer que dans le cadre de conflits armés internationaux. Dans le cas de conflits armés internes dans lesquels la majorité des mercenaires interviennent, aucun régime protecteur semblable à celui du prisonnier de guerre n'existe. Rien n'empêche le législateur du pays en conflit de prévoir des sanctions pénales aggravées s'il s'agit d'un combattant étranger motivé par l'appât du gain.

Toutefois, il est à noter que cette définition fournie par la convention est cumulative. En effet, il est impératif de répondre à la totalité des critères pour être taxé de « mercenaire ». Le protocole de 1977 permet « indirectement de lutter contre le mercenariat, en créant un régime juridique dissuasif, il n'a pas pour objet de servir de base à des incriminations en droit international pénal. Le mercenariat ne figure d'ailleurs pas parmi les infractions ou les infractions graves énumérées par l'article 855. »

Certes le protocole additionnel comporte des lacunes mais comme le souligne la commission, il s'agit de l'instrument international le plus aboutit sur la question du mercenariat. En outre, il recueille l'assentiment le plus vaste, puisque 161 Etats, dont la France, sont parties à ce texte.

5 Rapport n°142, session 2002-2003, fait au nom de la commission des Affaires Etrangères, de la Défense et des forces armées sur le projet de loi relatif à la répression de l'activité de mercenaires, 37 pages, disponible le 11 juillet 2011 sur le site http://www.legifrance.gouv.fr.

En sus du protocole I du 8 juin 1977 additionnel aux conventions de Genève du 12 août 1949, la convention de l'Organisation de l'Unité Africaine (OUA) sur l'élimination du mercenariat en Afrique signée à Libreville le 3 juillet 1977 pose une définition de l'activité mercenaire. Cette convention africaine est l'aboutissement d'une concertation lancée en 1971 par les dirigeants de l'Organisation de l'Unité Africaine réunis à Addis Abeba6 qui dénonçaient « l'agression des mercenaires en Afrique » et lancèrent un appel « aux pays du monde entier pour qu'ils appliquent des lois décrétant que le recrutement et l'entraînement sur leurs territoires sont des crimes punissables et pour qu'ils dissuadent leurs citoyens de s'enrôler comme mercenaires7. »

Largement inspiré du protocole additionnel des conventions de Genève, la définition du mercenaire qu'en fixe la convention exige la participation directe aux hostilités, mais à la différence du protocole, elle procède à une incrimination du mercenariat en le qualifiant de crime. En ce sens, la convention africaine va plus loin que la charte internationale.

Toutefois, cette convention est conçue pour interdire l'emploi de mercenaires pour lutter contre les mouvements de libération nationale. Elle n'empêche pas les gouvernements africains de « recourir eux-mêmes aux mercenaires pour se défendre8 ». La convention de l'OUA ajoute une dimension politique à la définition du mercenariat. En effet, elle perçoit le mercenaire comme un acteur pesant dans les décisions politiques de l'OUA et donc comme un facteur d'instabilité du continent africain.

Ainsi, la définition du mercenariat dépend très largement de la perception de la personne qui le désigne. Que l'on soit partisan ou détracteur, le mercenaire ne bénéficie pas de la même délimitation. Le projet de cette étude n'est pas de dresser une liste exhaustive de toutes les définitions du mercenariat. Il existe autant de versions que de chercheurs sur le sujet. Toutefois, ces deux premiers exemples témoignent de la difficulté de définir clairement et de manière unanime le mercenariat.

Ne pouvant nier l'existence des sociétés militaires privées, le Livre Blanc sur la défense et la
sécurité nationale de 2008 définit les SMP comme étant « un organisme civil, privé, impliquédans le cadre d'opérations militaires dans la fourniture d'aide, de conseil et d'appui

6 Capitale de l'Ethiopie.

7 Propos rapportés dans le rapport 142 du Sénat, p.9.

8 Rapport 142 du Sénat, p.9.

militaire, et offrant des prestations traditionnellement assurées par les forces armées nationales9. »

Cette définition française place d'emblée le recours au privé en concurrence avec les forces régulières. Cette notion de concurrence sera développée dans la suite de l'étude.

Comme nous le verrons dans la typologie qui va suivre, les employés d'une firme militaire privée ne sont pas recrutés pour participer à un conflit déterminé. Ils font partie d'un vivier de salariés de l'entreprise et à ce titre, ne remplissent pas d'emblée le premier critère du protocole additionnel aux conventions de Genève. Ainsi, ces salariés ne peuvent être considérés comme des mercenaires. Cette subtilité est bien pratique pour les Etats. En effet, le flou qui entoure la définition du mercenaire permet aux gouvernements qui le souhaitent d'avoir recours à ce type de services sans être accusés. Ils se dédouanent ainsi des abus en tous genres que pourraient commettre ces sociétés de sécurité privées. Comprendre l'histoire du phénomène « mercenaire » est aussi important que tenter de définir le mercenariat. Si elles ne portent plus le nom de sociétés de mercenariat, les firmes proposant des services de sécurité privées répondent à d'autres appellations.

Chapitre 1 : Le mercenariat : des auxiliaires de guerre au mercenariat entrepreneurial

Le terme « mercenariat » est associé à l'image négative des pages de l'histoire africaine qu'ont écrites un Bob Denard10 ou un Eben Barlow11. Trop souvent, le mercenaire est perçu comme un être corruptible, assoiffé d'argent, dénué d'éthique, se vendant au plus offrant. Il n'en est rien. Le mercenariat ne découle pas de la décolonisation africaine mais constitue une pratique vieille de plusieurs siècles, parfaitement ancrée dans les moeurs de l'humanité. Dans cette partie, il s'agira de montrer que le mercenariat a revêtu plusieurs formes commerciales et idéologiques, s'adaptant sans cesse aux époques traversées. D'une simple marchandise à l'antiquité, le mercenaire est devenu une matière précieuse à l'heure de la décolonisation. Enfin, avec le besoin de sécurité mondial crée par l'effondrement du bloc soviétique, le mercenariat s'est réinventé, grâce notamment à l'argent des complexes militaro-industriels, pour devenir enfin de véritables entreprises commerciales.

9 Livre Blanc sur la défense et la sécurité nationale, Odile Jacob, 2008, p. 329.

10 (1927-2007), célèbre mercenaire français, ayant agi pour le compte du SDECE français, il participe à des coups d'état au Katanga puis propose ses services aux Comores.

11 Fondateur de la société sud-africaine Executive Outcomes, le lieutenant-colonel Barlow est un ancien du 32 Bataillon « Buffalo » sud-africain. Spécialiste du renseignement et ancien des forces spéciales, après la fermeture de sa société, il devient consultant et expert des questions de défense. Il enseigne à présent dans des universités.

I. Histoire du mercenariat

A. Période antique

Déjà sous le règne des Pharaons de l'Ancien Empire, on retrouve des traces de mercenariat. En effet, comme le souligne Philippe Chapleau, avec l'intensification du commerce et l'expansion de l'empire égyptien, la convoitise des proches voisins pousse les Pharaons à se doter d'une force de protection plus conséquente qu'alors12. L'ancienne Egypte se tourne alors vers des supplétifs étrangers pour augmenter massivement leurs effectifs militaires nationaux. L'ancienne Egypte se tourne alors vers des supplétifs étrangers pour augmenter massivement leurs effectifs militaires nationaux. C'est sous la Basse Epoque égyptienne (environ 1000 à 330 avant JC) que le recours à des soldats « étrangers » fut le plus important. Plus tard, vers 700 avant JC, les Cités-Etats grecques eurent également recours aux mercenaires pour défendre leurs portes. En raison de leur faible démographie, les Cités-Etats ne pouvaient constituer une armée citoyenne respectable13. L'utilisation de mercenaires fut une pratique très développée dans le bassin hellénique. Cette pratique posait déjà des problèmes de conscience et d'emploi à la classe dirigeante. Ainsi, le philosophe Xénophon écrivait vers 400 avant JC que l'armée athénienne se discréditait aux yeux du monde en recrutant des étrangers en son sein14.

Rome n'échappa pas non plus au recours à la force mercenaire. Avec l'expansion de l'empire romain, il devint difficile de lever une armée de nationaux. Aussi, les empereurs eurent-ils systématiquement recours à des supplétifs pour garder les frontières du royaume. Ces « barbares » étaient attirés par l'argent mais aussi par la promesse d'acquérir la citoyenneté romaine pour service rendu. Ainsi, selon Tite-Live15, près de six cents mercenaires crétois sont employés à la bataille de Trasimène en 217 avant JC. Toutefois, les empereurs romains se limitèrent à maintenir au plus bas niveau l'emploi d'auxiliaires de combat.

La légendaire Carthage, ville ennemie de la cité romaine, ne pu se soustraire à l'emploi de mercenaires aguerris. Ainsi, lors de la Première Guerre Punique, Carthage alignait près de 150 000 hommes. Tous ces soldats n'étaient pas carthaginois. A l'issue du conflit, 20 000 d'entre eux, oubliés par leurs chefs, ne furent pas payés par la cité ruinée. Ces mercenaires se

12 CHAPLEAU Philippe, « Les mercenaires : De l'antiquité à nos jours », Editions Ouest-France, 2006 p.9.

13 HANSON V.D., « Les guerres grecques, 1400 - 146 av. J.C. », Paris, Editions Autrement, collection Atlas des Guerres, 1999 p.20.

14 HANSON V.D, Ibid, p.136.

15 TITE-LIVE, XXIV, 30, 13

soulevèrent alors. Ce fut la « Révolte des Mercenaires16 », dont il est notamment fait mention par Flaubert dans son roman « Salammbô ».

Si la période antique a vu se fonder le principe du mercenaire, c'est bien à l'époque féodale qu'un changement majeur s'est opéré.

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand