Introduction
La rupture brutale de l'équilibre de la terreur entre
les deux grandes puissances de la guerre froide n'a pas rendu le monde plus
sûr ni plus équilibré. Bien au contraire, la chute du Bloc
soviétique a entraîné une multitude de conflits et de
crises régionales qui nécessitent le recours à la force
dans le cadre d'opérations de rétablissement ou de maintien de la
paix. La réduction continue des budgets de défense et des
effectifs militaires amorcée depuis 1990 a réduit de
manière significative la capacité d'intervention des Etats. En
outre, les attentats du 11 septembre ont brutalement
révélé l'existence d'une autre forme de violence
supra-étatique, à savoir le terrorisme mondial, islamique en
particulier que les Etats doivent impérativement contrer. Ainsi, devant
la multiplication des crises cette dernière décennie, les Etats
et les grandes organisations internationales ont de plus en plus recours
à l'emploi de sociétés militaires privées pour la
gestion des crises. Inscrit dans le panel des compétences de ces
entreprises, le renseignement est un domaine sensible qui ne doit pas souffrir
d'une privatisation dénuée d'une réflexion
préalable.
L'inflexion de type libéral constatée depuis
trois décennies et l'étatisation croissante inspirée par
la norme libérale, ont des conséquences directes sur les forces
armées et les activités de défense en
général.
La globalisation a fait évoluer les formes d'engagement
militaire. En effet la disparition des logiques régionales et la
nécessité d'engager des forces partout dans le monde constituent
ce premier facteur, encore imprévu il y a dix ans. Comme le souligne
Jean-Jacques Roche1, il existe un lien suprême entre la
mondialisation et la souveraineté des Etats. Dans son ouvrage, il aborde
les problèmes de sécurité sous l'angle des revendications
sociales. Il cite ainsi Pierre de Senarclens2 pour qui « la
dynamique de la mondialisation entraîne [...] des
phénomènes d'aliénation qui font le lit de projets
politiques d'inspiration totalitaire ». Selon l'auteur, ces
évolutions expliquent que les conflits de l'après-guerre froide
diffèrent des conflits interétatiques envisagés par les
rédacteurs de la Charte de San Francisco3.
1 ROCHE, Jean-Jacques, « Théories des
relations internationales », Clefs politique, 3° édition,
Montchrestien, 1999, 160 pages.
2 de SENARCLENS Pierre, Mondialisation,
Souveraineté et Théories des Relations Internationales, Paris,
Armand Colin, 1998, 218 pages.
3 Ibid., p. 180.
Le deuxième point réside dans le fait que
l'opinion, devenue globale, est largement attachée à la
légitimité des causes et nécessite que le recours à
la force contre une entité soit désormais international et
validé par des instances supranationales, telles que l'Organisation des
Nations Unies (ONU).
Troisième fait, l'ouverture des frontières et
l'augmentation de la criminalité internationale contribuent si ce n'est
à déstabiliser les relations internationales, du moins en changer
les caractéristiques en profondeur. Ainsi, la sécurité de
nos démocraties se joue actuellement dans des lieux diversifiés
et lointains, dans lesquelles nos forces de sécurité ont des
difficultés à garantir la tranquillité des citoyens. En
témoigne la résurgence des activités criminelles telles
que l'enlèvement de salariés d'entreprises. Pour les groupes
criminels et mafieux et dans une moindre mesure les groupes fondamentalistes
tels que Al Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) ou Al Qaïda dans la
Péninsule Arabique (AQPA), le rapt contre rançon est devenu le
moyen de nuire à l'Occident, à la France en particulier. Faute de
pouvoir frapper l'ennemi lointain au coeur, les groupuscules criminels et
terroristes se focalisent sur les expatriés, moins
protégés et plus exposés. Ce nouveau danger impose aux
Etats de se prémunir avec des moyens adaptés.
Ces nouvelles missions accaparent un volume croissant de
l'activité des forces. La réduction du format des armées
occidentales contraint les Etats à recourir de plus en plus à
l'emploi de sociétés militaires et de sécurité
privées, notamment pour la sécurisation de ses installations
sensibles à l'étranger (Areva, Total).
L'Etat, en tant qu'organisation sociale, est
généralement considéré comme le détenteur du
monopole de la violence légitime. Le néo-libéralisme,
emporté par la mondialisation a atteint la sphère de la
Défense. La disparition des menaces aux frontières a
entraîné un retour à la privatisation de la guerre. La
menace tangible semble s'estomper et avec elle le caractère
impérieux de la défense de la nation s'atténue. Ainsi,
l'Etat semble se dessaisir de l'un de ses pouvoirs régaliens essentiel :
l'organisation et la conduite des forces armées en vue de la
défense des citoyens
.
Cette étude vise à comprendre comment la
privatisation de la défense bouleverse les principes fondateurs de
l'Etat, français en particulier.
Dans un premier temps, il s'agira de démontrer que les
sociétés militaires et de sécurité privées
contemporaines se sont débarrassées de l'étiquette
douteuse du mercenariat et que toutes n'ont pas la même portée
éthique ni la même implication dans la transformation de la
souveraineté absolue de l'Etat. La deuxième partie s'attachera
à étudier par une approche
libérale en se basant sur les théories des
Relations Internationales, de quelle manière la privatisation de la
violence, à l'échelle internationale et en France en particulier,
peut entraîner un émiettement de la puissance étatique si
son recours inéluctable n'est pas entièrement encadré.
Nous nous pencherons ainsi dans cette partie sur les prérogatives de
l'Etat-Nation dans les années qui viennent. La France est
réticente à employer des sociétés qu'elle qualifie
encore de mercenaires et donc d'illégales.
L'utilisation massive des sociétés militaires et
de sécurité privées (SMSP) en Irak puis en Afghanistan
nous a brutalement fait prendre conscience d'un nouveau mode de gestion de la
guerre et des crises. Après l'intervention militaire et le succès
de la force, les théâtres imposent aux Etats de longs processus de
stabilisation et de reconstruction, que les armées
régulières ne peuvent plus assurer.
L'emploi des sociétés militaires et de
sécurité privées pose de nombreux problèmes
juridiques aux Etats qui les emploient. En témoignent les nombreuses
bavures commises par les salariés locaux ou étrangers, en
Afghanistan, sur la population notamment. Les sociétés usent la
patience des populations et des dirigeants afghans.
Outre le problème de légalité de leurs
actions, les SMSP soulèvent le problème de la souveraineté
des Etats.
En Afghanistan, les salariés de SMSP sont devenues le
premier contingent de la coalition, augmentant de fait le sentiment
d'impuissance de la toute jeune armée afghane. En outre les policiers
afghans peinent à faire appliquer l'ordre quand les salariés du
privé s'astreignent de discipline et tirent sur la population.
L'annonce en 2010 faite par le président Karzaï
d'interdire les SMSP étrangères en Afghanistan et le
décret du 18 août nous a amené à nous pencher sur la
question de la gestion de ces sociétés et leur impact sur la
souveraineté de l'Etat.
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