La privatisation de la sécurité: un dessaisissement des fonctions régaliennes de l'Etat( Télécharger le fichier original )par Michaël VISEUX Université Jean Moulin Lyon 3 CLESID - Master 2 Recherche en science politique relations internationales sécurité et défense 2010 |
F. Cas de la société SecopexLa société française Secopex présente de nombreux points d'intérêts. En premier lieu, la société est définie par ses dirigeants comme une société militaire privée de type anglo-saxon. L'ancien président directeur général et fondateur de la société, Pierre Marziali39, expliquait au cours d'une interview menée en 2007 par Alexandre Suzler, que ses employés « assur[aient] des missions de formation et de conseil militaire, ainsi que des opérations en milieu hostile à l'étranger. » Dès sa création, la société a revendiqué avec vigueur son statut de société d'appui stratégique et opérationnel. Cette mention apparaît d'ailleurs sur la page d'accueil du site Internet de la société. Forte de près de 2000 employés, la société déclare proposer des services variés : analystes, universitaires, spécialistes du renseignement, pilotes, infirmiers, gardes du corps, linguistes, logisticiens, démineurs... De part cette multitude de services proposés, la société peut être classée dans la catégorie des sociétés de type 3, de type 4 et 5. Elle dispense aussi bien des services de conseils, de formation, que de sécurité. Considérant que la majorité des services proposés revêt un caractère d'appui stratégique, nous avons choisi de la classer dans le type n°3. En effet, la société française déclare elle-même être « attentive aux besoins de ses clients, SECOPEX revendique une expertise et une expérience opérationnelles sur l'ensemble des cinq continents et s'appuie sur un vaste réseau de correspondants et de sociétés partenaires à l'international40. » 39 Ancien sous-officier parachutiste français, mort en mai 2011 à Benghazi. 40 Mention disponible sur le site Internet de la société, www.secopex.com Frappée en mai 2011 par la mort de son PDG en Lybie41, la société ne cesse depuis sa création de retenir l'attention des détracteurs des SMP. En outre, la société est très mal perçue dans le monde militaire. Les employés, pour la plupart d'anciens militaires ou policiers français, véhiculent une mauvaise image, qui rejaillit souvent sur le travail des militaires aux côtés desquels la société est engagée à l'international. Régulièrement dénoncée par les médias pour fournir des services d'appuis stratégiques aux multiples parties d'un conflit, la société se défend de mener des actions proches du mercenariat. La société Secopex, par la mauvaise image qu'elle véhicule dans la presse spécialisée, contribue à augmenter les réticences de la France à se tourner résolument vers l'emploi des SMP. L'historique développé dans le premier paragraphe nous a permis de dégager deux grands types de mercenariat : le mercenariat classique et le néo mercenariat entrepreneurial. Le mercenariat a connu un développement accéléré au début des années 1990, favorisé par la résurgence d'une multitude de crises régionales. L'histoire du phénomène de privatisation nous permet de distinguer cinq formes de mercenariat. Nous l'aurons aisément compris, les types n°1 et n°2 ont officiellement disparu. Plus aucune mention de ce type de mercenariat ne figure dans aucun conflit. Le type n°4, concernant les sociétés logistiques apportent un intérêt moindre à notre étude. En effet, aucune ambiguïté ne peut être soulevée quant à leur emploi. Se bornant à des tâches « non militaires » de soutien logistique, ces sociétés n'entravent pas la bonne conduite des opérations militaires. Toutefois, il nous semblait important de les faire figurer dans notre typologie car elles sont le vecteur de la banalisation du phénomène de la privatisation de la guerre. Employée à l'origine par les Etats pour permettre aux forces armées de se recentrer sur leur « coeur de métier », elles ont tracé la voie à deux autres types de sociétés, caractérisée par des services plus belligènes. La typologie proposée sera un outil pratique tout au long de notre étude car elle nous permettra de distinguer de manière aisée les implications liées à l'emploi des SMP par les acteurs étatiques. Le choix actuel de la France de ne pas recourir à ce type de sociétés pourra notamment être débattu rapidement. 41 La version officielle stipule que Pierre Marziali a été tué lors d'un contrôle policier en Lybie. Il s'était rendu dans le pays en crise afin d'implanter une antenne de sa société.
Chapitre 3 : Cas particulier des entreprises du secteur du renseignement : l'implication des gouvernements Bien que les sociétés de type n°5 se dégagent clairement des autres sociétés par le caractère ambigu de leurs actions, les sociétés de type n°3, proposant leurs savoir-faire dans le domaine du renseignement, posent un sérieux problème de légitimité et d'indépendance à leurs employeurs. Parmi les plus hautes fonctions régaliennes de l'Etat, le renseignement figure en première place. Déléguer la fonction du renseignement étatique serait un exercice périlleux. Rapidement soumises à une logique de résultat, les entreprises dédiées au renseignement pourraient produire de faux documents qui justifieraient leurs salaires mais ne reflèteraient pas la réalité. Pire, les sociétés travaillant au profit d'un état A pourraient revendre les informations obtenues à un état B, dévoilant ainsi la stratégie de l'état A. En effet, la société Risk Advisory Group, société européenne d'investigation et de renseignement, spécialisée dans l'analyse stratégique et le support opérationnel, possède son siège social à Londres et à Moscou. Les nationalités de ses employés sont multiples : Britanniques, Allemand, Français, Russes, etc.42 La société recrute à la sortie des universités mais également parmi d'anciens membres des services de renseignement européens. Sans toutefois tomber dans une logique de conspiration, comment ne pas penser qu'un employé, bien que soumis à une clause de confidentialité, puisse devenir une source pour ses anciens collègues ? De fait, la nécessité se fait sentir pour les états occidentaux de promouvoir leurs propres firmes de renseignements, au risque de voir ses objectifs de renseignement à la merci du plus offrant. Car la privatisation de la violence poursuit sa marche inéluctable, générée par la fin de la Guerre Froide et accélérée par les attentats du 11 septembre et les deux guerres en Irak et en Afghanistan. Aux Etats-Unis, le recours aux firmes privées de renseignement s'est mu en une véritable addiction. Ce phénomène fait d'ailleurs l'objet d'un paragraphe du livre de Georges-Henri Bricet des Vallons43. Selon l'auteur, 50% des agents clandestins de la CIA sont des « contractors ». En outre les activités du National Reconnaissance Office sont privatisées à 100 % et la direction de la Direction of National Intelligence, organe de coordination des 42 Voir le site internet de la société, accessible le 1er juillet à l'adresse : http://www.riskadvisory.net 43 Bricet des Vallons, Ibid. pp 207-212. services américains de renseignement, a été confiée au président du lobby américain du renseignement privé, Mike McConnell. Ainsi, le renseignement américain est devenu une véritable « industrie dominée par les intérêts du privé »44. La privatisation du renseignement et plus largement celle de la violence sont devenues une norme. Cette norme structure et élabore la politique étrangère des Etats-Unis notamment. Cette « contagion » gagne l'Europe. La folie de la privatisation est en déjà à un stade très avancé aux Royaume-Uni et commence à imprimer sa marque dans la plupart des pays européens. Seule la France se montre encore réticente à l'emploi de ces sociétés. Profondément attaché aux valeurs de l'identité nationale française, le gouvernement français pense encore que l'Etat détient un pouvoir significatif. Il s'accroche avec fermeté à la sauvegarde de ses devoirs régaliens. La France n'externalise encore que très peu. Lorsque l'Etat français a recours à l'externalisation, c'est pour déléguer des tâches périphériques, comme l'alimentation ou la santé. Cette privatisation forcée s'effectue, semble-t-il, avec réticences. Quelles sont les raisons de cette norme internationale qu'est la privatisation des métiers de la sécurité ? Quels en sont les risques pour les Etats, la France en particulier ? Comment la France peut-elle se positionner sur le marché de la privatisation en favorisant l'essor de sociétés militaires privées françaises ? Sans réaction française à court terme, le pays risque de devoir sacrifier une partie de son indépendance, en recourant aux services de sociétés militaires privées américaines. Ces sociétés, devenues en quelques décennies le bras armés de la politique étrangère des Etats-Unis, sont gérées par des capitaux privés et répondent à une logique d'actionnariat intense. Face au phénomène de la privatisation, comment ne pas redouter une mise en péril de la souveraineté des Etats qui louent les services des SMP ? Ces questionnements seront l'objet de notre seconde partie. 44 SHORROCK T : « Spies for Hire », édition Simon & Schuster, New York, 2009. |
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