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La privatisation de la sécurité: un dessaisissement des fonctions régaliennes de l'Etat

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par Michaël VISEUX
Université Jean Moulin Lyon 3 CLESID - Master 2 Recherche en science politique relations internationales sécurité et défense 2010
  

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E. Les sociétés de consultance : le type n°5

« Nous n'appuyons pas sur la gâchette. Nous entraînons les gens à appuyer sur la gâchette ».33

Les sociétés pouvant être regroupées dans ce type constituent, à notre sens, le cas d'étude le plus intéressant. Désignées sous le terme de sociétés de consultance, ces sociétés proposent des services tels que la formation, de cadres ou de personnels, ou encore le conseil aux gouvernements. La citation choisie pour illustrer cette partie est lourde de sous-entendus et témoigne parfaitement de la difficulté pour les clients, qu'ils soient gouvernementaux ou d'intérêts privés, de recourir à ce type de sociétés.

Les services dits de « conseil » recouvrent principalement deux aspects militaires, la formation de personnels et le guidage des dirigeants dans le choix du matériel et des doctrines militaires.

Dans le domaine de la doctrine, la société peut ainsi imposer ses propres choix stratégiques et son mode de pensée au pays client. Parfois, le pays cible n'est pas le client. En effet, l'armée américaine a notamment chargé une société militaire privée, spécialisée dans le conseil, de former les neuf premiers bataillons de la toute nouvelle armée irakienne. Ainsi, Vinnell s'est vu confié par le Pentagone en juin 2003 cette lourde mission de formation. Pour les généraux américains, utiliser cette société possède le double avantage (1) d'épargner les soldats américains et de les recentrer sur des actions de combat et (2) de s'assurer que les nouveaux soldats irakiens seront formés à l' « américaine ». Les dirigeants des Etats-Unis s'assurent de fait une double tranquillité d'esprit. En effet, en cas de soulèvement, il sera plus facile de combattre une armée dont on connaît parfaitement les procédures et les modes d'actions et qui plus est, utilise les matériels qu'on lui a vendus tout récemment. Car les instructeurs de la société Vinnell sont majoritairement américains, rompus aux tactiques américaines. En outre, ils vantent sans relâche aux officiers irakiens moulés à leur image, les mérites et la supériorité du matériel issu de l'industrie américaine de l'armement. Une autre société américaine s'est vue confiée un juteux contrat par le Pentagone : MPRI. La Military Professionnal Rand Inc, rachetée en 2000 par la société L3 Communications (spécialisée dans l'électronique et le renseignement économique) est en charge de la rédaction de la doctrine de l'Armée Nationale Afghane (ANA). Les cadres de MPRI sont en outre chargés de la formation et du conseil des

33 Citation d'un cadre de la société Vinnell, rapportée par K.Willenston, L.Norman dans « Saudi Arabia ; This Gun for Hire », Newsweek, 24 février 1975

chefs de corps des Kandak afghans. MPRI a été fondée en 1988 par huit généraux américains à la retraite. Comptant parmi ces cadres l'ancien directeur de la formation du FBI, M. Wolfinger et un ancien chef d'état-major de l'armée de terre américaine, le général Carl Vuono ainsi que Harry Soyster, ancien directeur de la Defense Intelligence Agency (les renseignements militaires américains)34, la société se définit comme « la plus grande entreprise d'expertise militaire du monde35 ». La société disposerait d'une base de données de près de 14000 experts, disponibles sur ordres. MPRI a bâti sa notoriété sur son expertise et son refus formel de prendre part aux combats. Son site Internet est éloquent.

Utiliser ce type de sociétés procure des avantages certains pour qui sait les utiliser à bon escient.

Toutefois, la frontière est floue entre le conseil militaire et la mise en pratique sur le terrain. Le déploiement de membres d'une société de ce type aux côtés de soldats en formation évoluant sur le terrain est proscrit. Se déployer sur le terrain comme « mentor » ne rentre pas dans leur champ de compétences. En raison de l'absence d'organes de contrôle indépendant, il convient de s'en remettre à la candeur supposée des portes paroles de ces sociétés.

Toutefois des faits tangibles viennent prouver que la frontière est mince entre conseil et intervention. En effet, en 2004, lors de la bataille de Najaf, des soldats américains et des membres de la célèbre société Blackwater ont été encerclés par les insurgés. Réfugiés sur un toit pour échapper aux tirs des rebelles, ils ont été héliportés par un hélicoptère de la société Blackwater. Le problème lié à la société Blackwater est que les contrats signés avec le Pentagone le sont pour des services défensifs (sécurité de sites ou protection d'autorités) ou de formation. Toutefois, on retrouve ses membres régulièrement aux côtés des forces spéciales américaines. Avec les méthodes peu conventionnelles de ces employés, la société se fait de nombreux ennemis. Après la fusillade déclenchée par des employés de Blackwater au centre de Bagdad le 16 septembre 2007 qui coûta la vie à 17 civils irakiens36 (ils ne portaient pas d'armes), le gouvernement irakien décida de ne pas renouveler l'autorisation de cette société à exercer dans le pays. En effet, dès le lendemain de la fusillade, le porte-parole du ministère irakien de l'Intérieur, Abdul-Karim Khalaf, déclarait que « le fait d'être chargé de la sécurité ne les [autorisait] pas à tirer sur les gens n'importe comment »37 Cette décision irakienne est un véritable coût de massue pour les dirigeants de Blackwater. Ancrée dans le

34 ROSI J-D, Ibid. p99.

35 Slogan disponible sur le site internet de la société.

36 LESNES Corinne, « La société Blackwater impliquée dans une fusillade à Bagdad », Le Monde, le 18 septembre 2007.

37 Même article qu'à la note 22.

paysage irakien depuis mars 200338, assumant de nombreux contrats avec le Pentagone et les grands groupes pétroliers, la société doit se résoudre à rebaptiser Xe en février 2009. Elle bascule ses activités en Afghanistan, autre théâtre majeur où elle était déjà bien implantée mais ces pertes financières s'élèvent à plusieurs millions de dollars.

Ces sociétés de type n°5 agissent le plus souvent sur les théâtres majeurs. Leurs sièges sociaux étant le plus souvent domiciliés aux Etats-Unis, nous pouvons largement considérer que le territoire d'action est l'étranger. Toutefois, à l'instar des sociétés de type n°4, certaines sociétés peuvent ponctuellement intervenir sur le territoire national, comme lors du cyclone Katrina (1). Les employeurs sont les gouvernements ou de grands groupes industriels (2). La motivation de ce type de société est sans conteste le développement économique, par le biais de la multiplication des contrats, sur tous les terrains (3). Le mode de recrutement est identique à celui des sociétés de type n°3. Dans le cas de la société Blackwater, le recrutement de cadres est effectué exclusivement parmi un vivier composé d'américains (4). Comme pour les sociétés de type n°3, l'esprit d'entreprise est particulièrement marqué et les cadres tentent de promouvoir l'entreprise (5). Le service proposé par ces sociétés de type n°5 est la formation et le conseil militaire. Aucun organe de contrôle ne supervise le respect des règles par ces entreprises sur le terrain. Il est donc très aisé pour les membres de ces sociétés de passer à des postures offensives. En ce sens, les sociétés contrevenantes rejoignent l'attitude des sociétés de type n°2 (6) et contribuent à ternir l'image de marque des sociétés militaires privées. En ce qui concerne la légalité de ces sociétés, il est évident que ces nouvelles firmes agissent dans le respect des lois. Leurs principaux clients étant des structures étatiques ou de plus en plus des acteurs non gouvernementaux soucieux de leur image, les sociétés de type n°4 recherchent l'appui des décideurs. De fait, ces sociétés ne trichent pas avec la réglementation internationale mais des dérapages demeurent possibles (7).

Exemples de sociétés de type n°5 : - Xe (sociétés américaines) ; - Vinnell ;

- DynCorp International ;

- MPRI (Military Professionnal Rand Inc).

38 Dans ses recherches, Georges-Henri Bricet des Vallons estime entre 1200 et 1400 le nombre d'employés de Blackwater en Irak à la fin de l'année 2008. Chiffres qu'il a obtenus par le biais de sources ouvertes.

Toutes ces sociétés ont leur siège social basé aux Etats-Unis. Ces quatre sociétés se partagent la majorité des grands contrats en Irak et en Afghanistan. Elles peuvent être largement considérées comme le « fer de lance » de la politique étrangère des Etats-Unis. Ce sujet sera développé dans la seconde partie de cette étude car il nous semble central au problème lié à l'emploi des SMP par les puissances européennes. En effet, les sociétés américaines et anglosaxonnes dominent le marché mondial de la sécurité privée. Cette hégémonie américaine met en danger l'indépendance des pays européens et de la France en particulier.

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry