E. Les sociétés de consultance : le type
n°5
« Nous n'appuyons pas sur la gâchette. Nous
entraînons les gens à appuyer sur la gâchette
».33
Les sociétés pouvant être
regroupées dans ce type constituent, à notre sens, le cas
d'étude le plus intéressant. Désignées sous le
terme de sociétés de consultance, ces sociétés
proposent des services tels que la formation, de cadres ou de personnels, ou
encore le conseil aux gouvernements. La citation choisie pour illustrer cette
partie est lourde de sous-entendus et témoigne parfaitement de la
difficulté pour les clients, qu'ils soient gouvernementaux ou
d'intérêts privés, de recourir à ce type de
sociétés.
Les services dits de « conseil » recouvrent
principalement deux aspects militaires, la formation de personnels et le
guidage des dirigeants dans le choix du matériel et des doctrines
militaires.
Dans le domaine de la doctrine, la société peut
ainsi imposer ses propres choix stratégiques et son mode de
pensée au pays client. Parfois, le pays cible n'est pas le client. En
effet, l'armée américaine a notamment chargé une
société militaire privée, spécialisée dans
le conseil, de former les neuf premiers bataillons de la toute nouvelle
armée irakienne. Ainsi, Vinnell s'est vu confié par le Pentagone
en juin 2003 cette lourde mission de formation. Pour les généraux
américains, utiliser cette société possède le
double avantage (1) d'épargner les soldats américains et de les
recentrer sur des actions de combat et (2) de s'assurer que les nouveaux
soldats irakiens seront formés à l' « américaine
». Les dirigeants des Etats-Unis s'assurent de fait une double
tranquillité d'esprit. En effet, en cas de soulèvement, il sera
plus facile de combattre une armée dont on connaît parfaitement
les procédures et les modes d'actions et qui plus est, utilise les
matériels qu'on lui a vendus tout récemment. Car les instructeurs
de la société Vinnell sont majoritairement américains,
rompus aux tactiques américaines. En outre, ils vantent sans
relâche aux officiers irakiens moulés à leur image, les
mérites et la supériorité du matériel issu de
l'industrie américaine de l'armement. Une autre société
américaine s'est vue confiée un juteux contrat par le Pentagone :
MPRI. La Military Professionnal Rand Inc, rachetée en 2000 par la
société L3 Communications (spécialisée dans
l'électronique et le renseignement économique) est en charge de
la rédaction de la doctrine de l'Armée Nationale Afghane (ANA).
Les cadres de MPRI sont en outre chargés de la formation et du conseil
des
33 Citation d'un cadre de la société
Vinnell, rapportée par K.Willenston, L.Norman dans « Saudi Arabia ;
This Gun for Hire », Newsweek, 24 février 1975
chefs de corps des Kandak afghans. MPRI a été
fondée en 1988 par huit généraux américains
à la retraite. Comptant parmi ces cadres l'ancien directeur de la
formation du FBI, M. Wolfinger et un ancien chef d'état-major de
l'armée de terre américaine, le général Carl Vuono
ainsi que Harry Soyster, ancien directeur de la Defense Intelligence Agency
(les renseignements militaires américains)34, la
société se définit comme « la plus grande
entreprise d'expertise militaire du monde35 ». La
société disposerait d'une base de données de près
de 14000 experts, disponibles sur ordres. MPRI a bâti sa
notoriété sur son expertise et son refus formel de prendre part
aux combats. Son site Internet est éloquent.
Utiliser ce type de sociétés procure des avantages
certains pour qui sait les utiliser à bon escient.
Toutefois, la frontière est floue entre le conseil
militaire et la mise en pratique sur le terrain. Le déploiement de
membres d'une société de ce type aux côtés de
soldats en formation évoluant sur le terrain est proscrit. Se
déployer sur le terrain comme « mentor » ne rentre pas dans
leur champ de compétences. En raison de l'absence d'organes de
contrôle indépendant, il convient de s'en remettre à la
candeur supposée des portes paroles de ces sociétés.
Toutefois des faits tangibles viennent prouver que la
frontière est mince entre conseil et intervention. En effet, en 2004,
lors de la bataille de Najaf, des soldats américains et des membres de
la célèbre société Blackwater ont été
encerclés par les insurgés. Réfugiés sur un toit
pour échapper aux tirs des rebelles, ils ont été
héliportés par un hélicoptère de la
société Blackwater. Le problème lié à la
société Blackwater est que les contrats signés avec le
Pentagone le sont pour des services défensifs (sécurité de
sites ou protection d'autorités) ou de formation. Toutefois, on retrouve
ses membres régulièrement aux côtés des forces
spéciales américaines. Avec les méthodes peu
conventionnelles de ces employés, la société se fait de
nombreux ennemis. Après la fusillade déclenchée par des
employés de Blackwater au centre de Bagdad le 16 septembre 2007 qui
coûta la vie à 17 civils irakiens36 (ils ne portaient
pas d'armes), le gouvernement irakien décida de ne pas renouveler
l'autorisation de cette société à exercer dans le pays. En
effet, dès le lendemain de la fusillade, le porte-parole du
ministère irakien de l'Intérieur, Abdul-Karim Khalaf,
déclarait que « le fait d'être chargé de la
sécurité ne les [autorisait] pas à tirer sur les gens
n'importe comment »37 Cette décision irakienne est un
véritable coût de massue pour les dirigeants de Blackwater.
Ancrée dans le
34 ROSI J-D, Ibid. p99.
35 Slogan disponible sur le site internet de la
société.
36 LESNES Corinne, « La société
Blackwater impliquée dans une fusillade à Bagdad », Le
Monde, le 18 septembre 2007.
37 Même article qu'à la note 22.
paysage irakien depuis mars 200338, assumant de
nombreux contrats avec le Pentagone et les grands groupes pétroliers, la
société doit se résoudre à rebaptiser Xe en
février 2009. Elle bascule ses activités en Afghanistan, autre
théâtre majeur où elle était déjà bien
implantée mais ces pertes financières s'élèvent
à plusieurs millions de dollars.
Ces sociétés de type n°5 agissent le plus
souvent sur les théâtres majeurs. Leurs sièges sociaux
étant le plus souvent domiciliés aux Etats-Unis, nous pouvons
largement considérer que le territoire d'action est l'étranger.
Toutefois, à l'instar des sociétés de type n°4,
certaines sociétés peuvent ponctuellement intervenir sur le
territoire national, comme lors du cyclone Katrina (1). Les employeurs sont les
gouvernements ou de grands groupes industriels (2). La motivation de ce type de
société est sans conteste le développement
économique, par le biais de la multiplication des contrats, sur tous les
terrains (3). Le mode de recrutement est identique à celui des
sociétés de type n°3. Dans le cas de la
société Blackwater, le recrutement de cadres est effectué
exclusivement parmi un vivier composé d'américains (4). Comme
pour les sociétés de type n°3, l'esprit d'entreprise est
particulièrement marqué et les cadres tentent de promouvoir
l'entreprise (5). Le service proposé par ces sociétés de
type n°5 est la formation et le conseil militaire. Aucun organe de
contrôle ne supervise le respect des règles par ces entreprises
sur le terrain. Il est donc très aisé pour les membres de ces
sociétés de passer à des postures offensives. En ce sens,
les sociétés contrevenantes rejoignent l'attitude des
sociétés de type n°2 (6) et contribuent à ternir
l'image de marque des sociétés militaires privées. En ce
qui concerne la légalité de ces sociétés, il est
évident que ces nouvelles firmes agissent dans le respect des lois.
Leurs principaux clients étant des structures étatiques ou de
plus en plus des acteurs non gouvernementaux soucieux de leur image, les
sociétés de type n°4 recherchent l'appui des
décideurs. De fait, ces sociétés ne trichent pas avec la
réglementation internationale mais des dérapages demeurent
possibles (7).
Exemples de sociétés de type n°5 : - Xe
(sociétés américaines) ; - Vinnell ;
- DynCorp International ;
- MPRI (Military Professionnal Rand Inc).
38 Dans ses recherches, Georges-Henri Bricet des
Vallons estime entre 1200 et 1400 le nombre d'employés de Blackwater en
Irak à la fin de l'année 2008. Chiffres qu'il a obtenus par le
biais de sources ouvertes.
Toutes ces sociétés ont leur siège social
basé aux Etats-Unis. Ces quatre sociétés se partagent la
majorité des grands contrats en Irak et en Afghanistan. Elles peuvent
être largement considérées comme le « fer de lance
» de la politique étrangère des Etats-Unis. Ce sujet sera
développé dans la seconde partie de cette étude car il
nous semble central au problème lié à l'emploi des SMP par
les puissances européennes. En effet, les sociétés
américaines et anglosaxonnes dominent le marché mondial de la
sécurité privée. Cette hégémonie
américaine met en danger l'indépendance des pays européens
et de la France en particulier.
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