La représentation des données et des
informations par la visualisation n'est pas une expérience
inédite. Depuis la cartographie à l'histoire de l'informatique,
la transmission par les signes visuels est répandue.
Aujourd'hui, alors que l'image n'a jamais été
aussi présente (par les affiches publicitaires, internet, la
télévision, etc...), le texte reste le moyen le plus
utilisé pour transmettre des informations complexes.
Une histoire brève de la visualisation des
informations
Pourtant, en informatique, la représentation visuelle
des informations est déjà utilisée depuis quelques
années. Rappelons qu'à la base, un système informatique
n'est composé que de données. Pour naviguer dans un
système informatique, la connaissance du langage était un
pré-requis. Sur les anciens modèles d'ordinateur, les
systèmes d'exploitation étaient pour ainsi dire inaccessibles :
il fallait nécessairement entrer des commandes dans le programme initial
pour démarrer une quelconque opération, même la plus simple
(comme le traitement de texte). Puis l'arrivée de l'interface graphique
a rendu l'usage de l'informatique accessible à tous. Le système
Windows de Micosoft66 a été
précurseur en la matière, en proposant une interface sous une
forme visuelle. Le principe de windows est d'utiliser des signes iconiques
66 La première version de Windows,
développée dés le début 1980, fut mise à
disposition dés 1983, mais cette version n'était pas vraiment une
interface visuelle , il s'agissait alors d'un environnement d'exploitation et
non d'un système. Mais les principes mis en place dans cette versions,
comme l'exécution automatique des programmes, fut quand-même une
grande avancée dans la représentation des sonnées
informatiques.
pour représenter les données : les signes
iconiques renvoient par mimétisme à des objets de la vie
réelle, et permettent par conséquent à l'utilisateur de
mieux se repérer. Le bureau, la fenêtre, les dossiers à
l'intérieur desquels nous rangeons les informations sont autant d'objets
représentés par mimétisme avec des objets qui font parti
de notre monde physique. Le déplacement même de la souris est un
signe, puisqu'il imite le déplacement spatial : nous ne naviguons pas
réellement dans l'interface, ce que nous voyons sur l'écran est
toujours le résultat de calculs transcodés et retranscris par le
canal de l'image. C'est pour cette raison que l'on qualifie souvent le
média numérique de canal virtuel.
Mais les techniciens ne sont pas les seuls à penser
à un système informatique représenté visuellement.
Au début des années 1980, l'auteur de science fiction William
Gibson invente le concept du Cyberspace, dans une nouvelle
intitulée Gravé sur Chrome67. Il expliquera
cette notion par la suite dans son premier roman de science-fiction,
Neuromancien68 en le définissant comme « une
hallucination consensuelle vécue quotidiennement en toute
légalité par des dizaines de millions d'opérateurs, dans
tous les pays, par des enfants à qui des concepts mathématiques
sont ainsi enseignés... Une représentation graphique de
données extraites des mémoires de tous les ordinateurs du
système humain ». Dans le roman, le héros, pirate
informatique, se connecte à son système informatique, et
pénètre alors dans un monde virtuel en trois dimensions où
il navigue, libéré de l'apesanteur, pour aller vers les
informations, les bases de données, ou même les sites
communautaires. Les données y sont représentée avec des
signes plastiques, autrement dit, des formes abstraites qui définissent
leurs nature. Le concept, au début théorique du
cyberespace a été une vraie révolution
technologique : le cyberspace, traduit en français par le
terme cyberespace a été reporté à
l'informatique pour définir les lieux où se transitent
l'information. C'est en quelque sorte un synonyme du World Wide Web.
Il est défini à la fois par une représentation
spatiale, temporelle, mais aussi par la notion de dialogue avec
l'utilisateur.
Mais les exemples de tentatives ratées de
représentation visuelle de systèmes complexes ne manquent pas.
Il y a quelques années par exemple, les techniciens
Yahoo! Ont voulu reprendre les principes du cyberespace de Gibson en
concevant un moteur de recherche dont la visualisation se ferait sous la forme
d'un univers en trois dimensions. Mais le projet fut de courte durée.
Non seulement la visualisation en 3D demandait un temps de calcul
considérable, ralentissant la recherche, mais en plus les utilisateurs
ne virent dans cette représentation ni intérêt, ni
plus-value.
67 Gavé sur chrome (Burning Chrome),
William Gibson, 1982.
68 Neuromancien (Neuromancer), William Gibson, 1985.
L'exemple du journalisme de donnée.
Dans le monde du journalisme, la représentation par le
visuel commence à se démocratiser, notamment dans les pays
anglo-saxons par le bais du journalisme de donnée.
Le journalisme de donnée (ou data journalism) est
apparu en même temps que le phénomène d'ouverture des
données. Certains journalistes sont partis d'on constat : les
données brutes sont rendues accessibles dans le principe, certes, mais
elles ne le sont pas dans leur forme. Trop complexes, trop
spécialisées, elles sont souvent incompréhensibles pour le
grand public. Il a donc fallu trouver un moyen pour les rendre abordables,
augmenter leur lisibilité, et ce moyen est passé par le signe
visuel.
Simon Rogers, journaliste au Guadian69
explique que le 11 septembre 2001, juste après l'attaque du Wold Trade
Center, le nombre d'informations à communiquer était si important
que les modalités « classiques » de traitement et de diffusion
de l'information s'est avéré tout à coup inadéquat
: « j'ai vu le monde devenir complètement fou. Il se passait
tellement de choses en même temps qu'on a eu besoin de produire des
infographies pour les expliquer. Il y avait trop d'infos, de données,
à gérer pour confier cela uniquement à des graphistes. Je
me suis donc retrouvé à bosser sur des graphiques avec des
designers pour expliquer l'information avec des visuels ». Le choix du
signe visuel s'est alors imposé face à la complexité des
informations.
69 Extrait de l'interview paru dans l'Atelier des
Médias, entretien avec Simon Rogers, le data-bloggeur,
publié par Ziad Maalouf le 12 novembre 2010.
Illustration 14: Visualisation publiée sans le
Guardian montrant les émissons de CO2 de chaque pays depuis la
création du protocole de Kyoto
Le journalisme de donnée est un nouvel angle pur
traiter de l'information. Le journaliste doit analyser des données
brutes, les analyser, puis les retranscrire en signe visuel, ce qui implique
une nouvelle façon de penser et de traduire l'information. Il ne s'agit
pas d'une transformation simple d'un code sémiotique à un autre,
le changement de visualisation implique de reconsidérer la structure
même de l'information.
Pour Caroline Goulard70, qui vient de lancer le
site ActuVisu, un site dédié au journalisme de données en
France, « la définition commence avec le terme de data. Pour le
journaliste traditionnel, la brique de base est l'article. Le journaliste
travail avec la narration. Avec les données, on n'est plus dans la
narration verbale, mais dans une narration construite autour
d'éléments grammaticaux qui appartiennent au lexique visuel. Le
journaliste de donnée s'adresse à l'intelligence visuelle
».
Le défi du journalisme de données a
été de rendre visibles des phénomènes visibles
à travers une représentation claire. Pour David
McCandless71, journaliste, le passage du journalisme dit «
traditionnel » au
70 Extrait de l'interview de Caroline Goulard parue dans dans
l'article : journaliste de donnée : data as storytelling sur le
site Internet actu le 9 août 2010.
71 Journaliste et une des figures les plus importantes dans le
journalisme de données, David McCandless est l'auteur de deux livres sur
le sujet, information is beautiful et The Visual Miscellaneum.
Il tient également un blog,
informationisbeautiful.net,
où il affiche ses nouveaux travaux et permet notamment aux
utilisateur d'émettre des opinions et de suggérer des
modification.
journalisme de donnée s'impose comme une
évidence lorsque l'on veut traduire toute l'information sans pour autant
la rendre illisible. Pour lui, tout a commencé par l'étude des
théories évolutionnistes et créationnistes. Lassé
de voir la presse condenser le sujet à deux grandes théories, il
souhaite faire son propre papier sur le sujet. A la suite de ses recherches, il
trouve en effet une multitude d'autres théories mais a du mal à
condenser ses recherches à l'écrit au vue de la complexité
de ses résultats. «C'est alors que j'ai commencé
à dessiner un schéma (illustration 15), pour faire le
point et m'y retrouver. Je me souviens m'être dit : «Je n'ai plus
à écrire l'article, il est déjà sous mes yeux! Je
viens déjà de faire mon job de journaliste en expliquant
clairement la situation que je veux dépeindre.» Tout était
figurativement décrit. J'ai su que c'était le début de
quelque chose et que je pourrais continuer dans cette voie... Je n'ai pas de
diplômes en art ou en design mais une approche pratique des formes. En
quelque sorte, je ne sais pas vraiment ce que je fais. Je suis simplement mon
instinct...»
Illustration 15: Le spectre des théories
créationnistes et évolutionnistes, par David McCandless
« Je débute toute visualisation en partant non
pas des nombres auxquels je suis confronté mais de ma propre confusion
à leur égard. J'avoue ne pas comprendre ces nombres à
l'état brut. Présentés de manière absolue, comme
c'est souvent le cas dans les médias, il est difficile de cerner leur
portée. Ces présentations ne permettent pas d'établir des
liens entre divers éléments. Or, je crois que ce sont ces liens
qui sont les plus importants. »
Le journalisme de données ne se contente pas
d'afficher des visuels à l'intérieur desquels l'information est
emprisonnée, elle met à portée de tout à
chacun les données brutes et par définition
complexe en les interprétant de manière intelligente. Les
échelles et les liens entre les éléments sont aussi
importants que les éléments eux-mêmes.
Illustration 16: Schéma proposant des
modalités à suivre pour rendre le design de l'information
efficace, David McCandless
Aujourd'hui, les journaux faisant appelle à cette
nouvelle forme de journalisme sont de plus en plus nombreux. Le
nytimes.com, le
washingtonpost.com et
le
guardian.co.uk, pionniers
en la matière, sont les sites trois journaux en lignes qui se servent
aujourd'hui le plus du data journalisme. Le New York Times propose
même aux utilisateurs un outil
dédié, le visualisation lab,
développé par IBM72, permettant à tout le monde
de créer ses propres visualisations, de charger des données et de
les classer. Le Guardian, quant à lui, met via son datablog
à disposition à la fois les visualisations faites par ses
journalistes et les données ayant servi à les réaliser.
D'autres blogs et sites internet enfin, présentent et mettent en avant
les exemple de data journalisme et de visualisations, comme
flowingdata.com ou encore
infosthetics.com.
Le succès du data journalisme est flagrant (surtout dans
les pays anglossaxons), la formule a visiblement de l'avenir devant elle.
Illustration 17: Visualisation du New York Times en date du
14 février 2011 montrant la proposition de budget de dépense
annuel par Obama
Le journalisme de donnée est un pas en avant crucial
dans le mode de représentation de l'information. Il apporte
déjà des propositions de lecture qui répondent aux
problèmes posés par les nouveaux enjeux du numérique. Il
est par conséquent important de prendre cet exemple en
considération pour toute autre forme de visualisation des
informations.