III - 2 Comment créer un système visuel
efficace?
L'analyse des modèles existants en terme de
visualisation des données nous prouve qu'un autre mode de visualisation
que le texte unique est possible. Mais l'utilisation de l'image dans ce type
d'usage n'est pas aussi simple qu'elle semble l'être : il est facile le
tomber dans l'illustration. Même
72 Le visualisation lab est en fait une adaptation d'un
outil préalablement créé par IBM, le Manyeyes.
si l'image a plus de valeur ludique que le texte seul, son
utilisation à des fins ornementales n'a aucune pertinence, elle aurait
même plutôt tendance à polluer l'information. L'image doit
véhiculer en elle-même l'information, autrement dit être
discursive. Elle doit nous permettre de remédier aux problèmes
engendrés par la surinformation et non l'augmenter.
Les objectifs à atteindre pour une visualisation de
l'information efficace et pertinente sont :
· Soustraire
· Synthétiser
· Optimiser
Pour atteindre ces objectifs et ne pas tomber dans un usage
inadéquat de l'image, je vous propose dans la partie suivante un
ensemble de préconisations à suivre dans l'élaboration
d'un design d'information efficace.
Comment construire de l'image discursive?
Commençons par voir quelle forme doit prendre
l'information en ellemême. Pour commencer, bien que le but de la
visualisation soit de rendre l'information plus pertinente par l'utilisation de
l'image, la question n'est pas de remplacer le texte par l'image. L'usage du
texte reste nécessaire et primordial. Comme le dit David McCandless,
« Le minimum de mots possible certes, mais pas l'élimination des
mots. C'est ça le design! Le design n'est rien d'autre que la
capacité de pouvoir soustraire pour optimiser. Quand je dis «le
minimum de mots» j'entends «appliquer le design aux mots et à
l'information« »73. Un système de visualisation
efficace a donc pour but de réduire le texte à son minimum. Dans
certains cas, la transmission de l'information pourra se faire en l'absence de
mots, mais la plupart du temps ils restent nécessaires à une
bonne compréhension : ils doivent simplement être utilisés
de la même manière que les images, c'est à dire de
manière plus visuelle et donc plus efficace.
Il faut en premier lieu déterminer le type de signe
à utiliser selon la fonction qu'elle doit prendre. Pour
représenter des données abstraites, des chiffres par exemple,
l'usage du signe signe plastique est recommandé. Ce signe peut
véhiculer des informations par sa taille, sa forme, sa couleur et sa
texture. Comme nous l'avons vu, le signe plastique est surtout symbolique, et
par conséquent dépendant d'une culture. Pour utiliser le signe
plastique il faut donc préalablement maîtriser la symbolique des
couleurs et des formes dans une culture donnée. Mais le signe plastique
en tant que modèle peut aussi renvoyer à des objets connus. En
terme de représentation, il faut donc penser à ces
paramètres pour utiliser les propriétés du signe de
manière adéquate pour qu'il ne souffre pas d'une mauvaise
interprétation. Par exemple, il serait peu adapté de
représenter des éléments végétaux, des
chiffres concernant l'écologie ou bien des forêts en utilisant la
couleur rouge.
Il est également possible d'utiliser des signes
iconiques pour renvoyer
73 Extrait de l'entretient avec David McCandless,
op.cité.
directement à des signes ou des objets. Ce choix doit
cependant être fait consciencieusement car un tel usage peut amener
à un usage de l'image plus illustratif que discursif. Il n'est par
exemple pas nécessaire d'augmenter une information déjà
pertinente avec signes qui ne seraient que des aperçus. Le signe
iconique doit donc de préférence avoir une fonction conative ou
référentielle74. Dans le premier cas, rappelons le, la
fonction conative ou impérative a pour but d'avoir une influence sur le
destinataire en modifiant ses actions ou ses connaissances. Tout signe
augmentant les connaissances du destinataire peut donc être
considéré de ce type. Dans le deuxième cas, la fonction
référentielle est orientée vers le sujet, elle a pour but
de transmettre des informations objectives renseignant sur un état, une
situation ou une action.
Dans le cas d'une utilisation du signe iconique, c'est encore
une fois l'usage qui déterminera le type de transformation75
à appliquer à l'objet pour le représenter. Même si
toutes les transformations sont permises, il est à noter que
l'icône doit rester à la fois simple, c'est à dire ne pas
renfermer trop de signifiants; abordable : les signifiants doivent être
faciles à repérer et à interpréter; et lisible : la
transformation appliquée au référent ne doit pas
être un obstacle à sa compréhension. L'observateur doit
pouvoir reconnaître le type de référent auquel il est
confronté. Pour Jean-Marie Klinkenberg76, « les
critères de la reconnaissance sont de nature quantitative et
qualitative. Autrement dit, le nombre de traits reconnus et conformes joue un
rôle certain, mais la nature de ces traits également :certains
traits sont en effet prototypiques et d'autres pas. Le type « chat »
sera aisément reconnu si des traits très prégnants comme
« moustache » et « oreilles triangulaires » sont
présents. Mais les deux traites ne doivent pas nécessairement
être présents ». Autrement dit, pour qu'un type soit
identifié, le signe doit contenir un minimum d'éléments
associés à ce type. « Ce taux d'identification correspond
à un certain niveau de redondance. Le niveau minimum de redondance doit
donc être conservé au travers des transformations. »
Autrement dit, la transformation ne doit pas nuire à
l'interprétation des éléments qui composent le signe.
Il est notamment déconseillé d'utiliser des
signes iconiques où les signifiants ne sont pas claires ou peuvent
être sujets à différentes interprétations.
L'utilisation d'une photo dans un usage conatif par exemple n'est pas
pertinent. Elle demanderait non seulement au destinataire un effort de
décryptage, mais elle contiendrait aussi des signifiants pas
forcément perçus comme tels par un utilisateur. Le signe iconique
utilisé dans un but discursif doit à la fois être
accessible et évident.
Pour représenter une information, il vivement
conseillé d'utiliser la redondance à l'intérieur du
message transmis, d'abord pour palier à quelque bruit ou
dysfonctionnement dans le canal de transmission ou dans l'appareil
récepteur, mais aussi parce qu'un minimum de redondance est parfois
74 Les différentes fonctions d'un message sont
exposées p.24.
75 La liste des différentes transformations possibles est
disponible p.35.
76 Précis de sémiotique
générale, p.390, op.cité.
nécessaire à une bonne compréhension.
L'exemple de la pièce de monnaie, déjà
énuméré, nous prouve bien que pour qu'un message soit
reconnu il doit faire appel à plusieurs codes en même temps,
parfois sur des canaux différents. De la même manière, un
feu de signalisation n'est reconnu comme tel que par sa position, sa forme
(trois ronds superposés) et la couleur de l'éclairage à
l'intérieur de chaque rond. Mais même si, la redondance apporte un
confort de lecture, en abuser peu rapidement devenir nuisible : un
enchevêtrement trop important de codes et de signes dans un message
reviendrait à augmenter sa complexité. Il faut donc appliquer au
message un taux de redondance minimum nécessaire à sa bonne
compréhension. Dans l'exemple suivant (illustration 18), le
message dispose d'une triple redondance.
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Par le signe iconique:la silhouette de vache, le signe
plastique : les gouttes d'eau (qui peuvent aussi être reconnues comme un
signe iconique), et enfin le texte qui est à la fois une
répétition de la représentation des gouttes, mais aussi de
celle du boeuf.
Notons que bien que les différents signes visuels
soient ici clairement discernés, dans la pratique, il
n'en est pas toujours de même. Certains signes ont des
propriétés à la fois iconiques et plastiques (comme c'est
justement le cas des gouttes d'eau utilisées dans l'illustration
18).
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Illustration 18: Extrait de l'application Virtual Water,
une visualisation destinée à montrer la quantité d'eau
utilisée pour la culture et la production des aliments que nous
consommons le plus souvent.
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L'organisation du signe
Ensuite, la notion d'échelle dans la production de
signes visuels est primordiale. Comme nous l'avons vu dans le chapitre sur le
langage, les échelles nous servent à représenter le monde
qui nous entoure, la notion de haut n'existe que parce qu'il y a le bas. La
signification d'un signe ne peut se faire qu'au travers du processus de
reconnaissance et donc de différentiation. Ce principe, appelé en
sémiotique principe d'opposition, explique qu'une unité
ne peut avoir de valeur significative que si elle est opposée à
une autre unité. Autrement dit, la notion de grand ne peut
être réellement appréhendée que si elle est
confrontée à un élément plus petit en guise de
comparaison. De la même manière, cette notion de grand
est subjective et non définitive, car si on confronte une unité
ayant l'attribut grand avec une unité plus
grande encore, alors la première unité deviendra
petite face à la deuxième. Une unité n'obtient la valeur
de grand que face à une unité plus petite quelle.
Prenons maintenant l'exemple de la couleur. Cette propriété du
signe nous semble au premier abord définitive et inaltérable,
pourtant, si on oppose deux nuances de rouges, par opposition, on distinguera
un rouge-orangé d'un rouge-pourpre. Par contre, ce principe d'opposition
nous permet aussi d'associer mentalement des unités aux mêmes
propriétés. Deux unités ayant un rouge identique seront
perçues comme similaires en ce point, et donc, ayant la même
valeur. Autrement dit, la valeur d'un élément dépend des
relations entretenues avec les autres éléments. De plus, ces
éléments sont à la fois opposables et
complémentaires (puisque nécessaires les-uns les-autres).
Dans l'exemple précédent (illustration
18), nous avons volontairement rogné l'image pour que seule une
information apparaisse. Les gouttes d'eau représentent la
quantité d'eau consommée. Mais sans modèle de comparaison,
il est difficile d'appréhender la valeur de ces gouttes, autrement dit
si la quantité d'eau consommée est importante ou pas. Dans
l'exemple suivant (illustration 19), le même type de visuel est
représenté mais cette fois, en confrontant plusieurs
éléments entre eux. On comprend alors que la production de la
noix de coco requiert une quantité d'eau assez massive comparativement
à ce que n'en requiert la production d'oranges.
Illustration 19: Virtual Water
Le principe d'opposition s'effectue autant au niveau
du signe que du référent qu'il substitue. Autrement dit, nous
effectuons sur les unités représentées une double
opération de comparaison : dans un premier temps une comparaison au
niveau du stimuli, c'est à dire au niveau de l'expression visuelle du
signe, mais dans un second temps, au niveau du référents, c'est
à dire de l'objet ou de la chose qui est représentée par
le signe. Remarquons
aussi que plusieurs oppositions simultanées et
imbriquées peuvent être effectuées. C'est par exemple le
cas dans l'opposition de la notion de bas et haut. Ces
notions s'opposent entre elles sont également conjointes dans le sens
où elles représentent toutes la verticalité, notion qui
est elle-même en opposition avec l'horizontalité.
Il est à noter que même si les opérations
d'oppositions et de comparaison peuvent être effectuées
mentalement (c'est par exemple le cas lorsqu'au sein d'un type d'objet on
cherche à trouver le référent correspondant aux
signifiants), elles seront plus efficace avec deux éléments
visuellement proches et relativement comparables.
Grâce au principe d'opposition, il devient possible de
représenter une quantité sans avoir besoin d'échelle
à qui se référer. La simple relation entre deux
éléments suffit à donner une notion de quantité,
une impression, un ratio. Une telle représentation est plus parlante et
accessible qu'une colonne de chiffre, mais elle permet surtout de percevoir
l'information qui en découle de manière plus rapide, presque
instantanée.
Ce qui nous amène à une autre notion importante,
celle de l'organisation. Dans une bonne visualisation de l'information, les
élément en eux-mêmes ont une signification. Mais pour
élaborer un message entier, les éléments doivent avoir une
organisation précise. Car si les divers éléments d'une
visualisation sont comparés entre eux par leurs contenus et leurs
propriétés, ils le sont aussi par leurs position. En
définitive, ce sont les relations entre les éléments qui
permettent la construction de l'information, elles donnent à un message
à la fois son sens et son contexte .C'est la grammaire du message qui
préside à son organisation, autrement dit à sa syntaxe. Si
nous comparons la grammaire d'un système visuel avec celle d'un code
linguistique, son importance est plus flagrante encore : sans ordre, une phrase
n'a pas de sens. La phrase « livre je un lis » n'a ainsi aucune
valeur informationnelle, alors que si nous lui appliquons une syntaxe
précise, elle prend un sens : « je lis un livre ». Ce n'est
qu'alors que la phrase est porteuse de message et donc d'une information. La
grammaire d'un système visuel fonctionne globalement de la même
manière, il suffit de considérer les éléments qui
le constitue comme des mots.
Notons au passage que puisque les éléments d'un
systèmes visuels sont comparés spatialement et
sémiotiquement, cela signifie que le vide, autrement dit l'absence de
signe, est aussi important que les autres éléments. En
définitive, l'absence de signe est encore un signe . Dans le code du
morse, par exemple, l'absence de son a une signification bien
particulière. Dans un système visuel, cette absence symbolise non
seulement le zéro, mais dans une relation particulière avec les
autres éléments visibles, elle peut aussi prendre d'autres
significations. Imaginons par exemple un visuel où seul une petite tache
serait représentée au milieu d'une grande zone de vide :
l'impression qui ressortirait d'une telle composition serait la notion de
solitude. La représentation du vide dans une visualisation n'est donc
pas à négliger, elle est aussi importante que les
élément visibles. Elle mérite donc d'être
mesurée et maîtrisée. L'utilisation du vide est aussi
essentielle pour
lutter contre le phénomène de
complexité. Internet a tendance à être entropique, c'est
à dire à remplir les vides justement : la plupart des pages
internet sont remplies d'éléments, et le vide est souvent
considéré comme une perte d'espace, donc coûteux. Hors,
l'abondance et la complexité des informations est nuisible à
l'information puisqu'elle disperse l'attention de l'utilisateur et crée
du bruit. Faire le choix de laisser du vide permet de capter cette attention
sur un élément en particulier, elle rend par conséquent
l'information plus forte et plus lisible.
Une utilisation pertinente et adaptée du vide permet
aussi de structurer la forme du système visuel dans sa globalité.
Car la forme global du système est aussi importante que les
éléments qui la composent. La psychologie de la
Gestalt77 explique qu'en observant un système
complexe, nous ne faisons pas que percevoir une foule de détails, nous
percevons aussi la forme dans son ensemble. Selon ce courant de pensée,
la forme globale d'une structure aurait une influence directe sur la
manière dont on appréhende cette dernière. Par exemple,
une table recouverte de livre aura tendance à être perçue
comme un bureau, alors que cette même table sur laquelle des couverts
sont disposés sera plutôt perçue comme une table à
manger. La première chose que faisons face à un visuel, c'est de
l'appréhender dans son ensemble avant de regarder des
éléments en particulier. De même, en regardant ces
éléments dans leur globalité nous créons
mentalement des connexion entre eux bien que ceux-ci n'existent pas
forcément. Les constellations par exemple sont des liens imaginaires
entre plusieurs étoiles qui ne sont, dans les faites, absolument pas
liées ni même proches les unes des autres. En définitive,
la structure même des systèmes ne les définissent pas
autant que la manière dont on les perçoit. La perception globale
passe aussi par une distinction de la forme sur le fond. Une forme n'est donc
perceptible que par distinction avec ce qui l'entoure. Le vide permet donc de
mieux distinguer les formes. Les lois de la Gestalt propose un
ensemble de principes à respecter pour une bonne structure visuelle :
· la loi de la bonne forme, dont toutes les autres lois
découlent, explique que même un ensemble instable tend à
être perçu comme une forme globale. Pour qu'elle soit facilement
assimilable, cette forme doit être simple et stable.
· La loi de la bonne continuité explique que nous
percevons d'abord les éléments d'un ensemble comme des
éléments continus, liés les uns aux autres.
· La loi de la proximité explique que nous relions
d'abord les éléments à proximité les uns des
autres
· La loi de similitude explique que dans le cas où
les éléments sont équidistants, nous les relions on
fonction de leurs similitude.
77 Le mot allemand gestalt est difficile à
traduire, sa signification la plus proche est mettre en forme, donner une
structure signifiante c'est pourquoi le mot gestalt est gardé
dans la plupart des langues pour désigner la théorie qu'elle
soutient . Le gestalt est une école de pensée qui
étudie l'influence de la psychologie sur la perception humaine.
Wolfgang
Köhler, Psychologie de la forme, 1929.
· La loi de destin commun explique que nous relions
également des éléments qui suivraient la même
trajectoire.
· La loi de clôture explique que la
représentation de formes fermées facilitent leur
compréhension.
Nous établissons également des liens entre les
élément qui se sont pas forcément visibles en même
temps par habitude ou par mémorisation. Dans le premier cas, c'est notre
encyclopédie qui nous dicte ces liens. Ce sont, comme nous l'avons vu
précédemment, des signes liés par indice. Par exemple, un
bateau renvoie à l'image de la mer. Dans le second cas, c'est la
temporalité qui détermine les liens. Si en observant un
diaporama, on clique sur une image qui apparaît en gros plan, cachant
alors le reste de la page, cette image reste malgré tout liée au
diaporama par mémorisation. Le processus effectué pour aller dans
l'image nous rappelle son appartenance.
Si nous visualisons l'ensemble de la structure dans un
premier temps, rappelons que dans un second temps l'oeil se dirige au sein de
cette structure vers le point le plus attrayant. Il est donc essentiel de
déterminer d'emblée quel sera cet élément si l'on
veut que l'utilisateur suive un ordre de lecture bien particulier ou se
focalise sur un point plus important.
Répondre aux nouveaux enjeux
Voyons maintenant de quelle manière utiliser l'image
pour répondre aux difficultés liées aux nouvelles
modalités du flux de l'information. Rappelons que ces difficultés
sont :
· un problème de confiance
· l'accroissement de la complexité
· la surabondance
· la perte de l'attention (liée à la
complexité)
· le changement du mode de lecture
Le problème de confiance en premier lieu a donné
lieu à des phénomènes comme le crowdsourcing. Les
utilisateurs sont rassurés par une information qui puisse être
à la fois contestée mais aussi par le fait de pouvoir y
participer. Sur certains sites traitant le journalisme de donnée (comme
le New York Times par exemple), des outils sont mis à la disposition des
utilisateurs pour permettre à tout un chacun de créer sa propre
visualisation et la partager avec d'autres utilisateurs. Cependant, même
si l'aspect collaboratif de ce système est intéressant, on peut
se questionner sur sa pertinence. Car l'utilisateur qui n'est pas un
spécialiste n'a pas forcément toutes les connaissances pour
pouvoir s'approprier un sujet et le traiter avec justesse.
L'interprétation des données requiert un travail journalistique
important et complexe, qui, si elle est mal conduite, peut conclure sur des
informations erronées. Le journaliste David McCandless exprime
lui-même des difficultés à interpréter les
données brutes : « La difficulté avec les données,
c'est que l'on ne sait pas immédiatement l'histoire que l'on va
raconter. Il faut fournir un travail colossal de
déchiffrement et de défrichement dans la jungle
des données pour hypothétiquement voir un motif émerger
»78. L'accès libre à la production de
l'information génère des problèmes de diversité et
de contradiction. Car si des informations erronées circulent au milieu
des informations justes, comment les discerner les unes des autres? De la
même manière, il est difficile de savoir à quel point
l'utilisateur va loin dans sa recherche de l'information et si son
interprétation est erronée. Sur ce point, David McCandless
exprime la même réticence : «Le crowdsourcing et les
processus démocratisés ne donnent pas toujours de bons
résultats. Le processus est formidable en lui-même mais il ne
produit pas forcément de bonnes histoires ni de travaux journalistiques
pertinents.» L'interprétation reste donc un travail de
spécialiste, un travail journalistique (ou scientifique d'ailleurs dans
le cas de la recherche par exemple) . L'expertise est nécessaire dans la
production de l'information. Cependant, ne renions pas les avantages du
principe participatif, ni les compétences potentielles de l'utilisateur
dit « lambda ». Car le journaliste aussi peut faire des erreurs et
manquer d'éléments. L'idéal est donc de faire participer
les utilisateurs par le biais d'une zone de commentaires, un lieu où ils
puissent exprimer leurs désaccord, relever les erreurs, ou proposer des
améliorations dans le système. « C'est vraiment difficile
d'être transparent afin de donner aux gens la capacité de jouer
avec les donnés, de les partager et de les corriger. J'aime beaucoup que
les gens commentent même si c'est pour me dire que je me trompe. Cela est
inhérent au média, c'est une forme de la pensée
participative issue d'internet »79. Cet aspect participatif
renforce l'information. Premièrement parce qu'il vaut mieux que
plusieurs utilisateurs participent à un seul contenu (indirectement, en
passant par un spécialiste), plutôt que chaque utilisateur
crée son propre contenu : cela évite en effet les effets de
redondance inutile, la mésinformation, et la contradiction de
l'information. Et deuxièmement parce que cette technique rend
l'utilisateur plus attentif à la visualisation qui lui est
proposée.
La complexité peut être gérée comme
nous l'avons vu dans la partie précédente par l'utilisation de
visuels pertinents qui suivent ce grand principe : soustraire pour optimiser.
La complexité est devenue un problème majeur dans la diffusion
des informations à l'ère numérique, mais pas uniquement :
les appareils que nous utilisons ont de plus en plus de fonctions. La
simplicité est d'ailleurs devenue un atout majeur pour les grandes
entreprises. Que ce soit Ikéa avec sa conception de meubles aux
lignes simplifiées au maximum, ou Apple avec notamment son
i-pod shuffle, ce baladeur tellement simplifié qu'il n'a
même plus besoin d'écran pour être utilisé. La
simplicité apparente est devenu un critère de choix, une valeur
marchande. Pour résoudre les problèmes de complexité, John
Maeda, qui est à l'origine du MIT symplicité consorsium,
a défini un ensemble de lois à suivre pour arriver à
simplifier un système80 :
78 Extrait de l'entretient avec David McCandless paru sur le
site OWNI, op.cité.
79 ibid
80 John Maeda expose ces lois dans un livre consacré :
De la simplicité, 2006.
1. la réduction. « La façon la plus simple
d'atteindre la simplicité est la réduction méthodique
».
Pour simplifier un système, il faut donc
réduire ses fonctionnalités au strict minimum. Pour aller plus
loin, une méthode efficace serait de ne faire apparaître ces
fonctionnalités qu'au moment où elles sont utiles, autrement dit
au moment où on en a besoin. La complexité devient alors un
interrupteur que l'utilisateur peut décider d'activer selon ses besoins
et plus selon les besoins du système.
2. L'organisation. « Avec de l'organisation, un ensemble
composé de nombreux éléments semble réduit ».
Il faut pour cela procéder avec la méthode CLAP : choisir,
labelliser, agréer, définir des priorités.
Nous avons vu précédemment que l'organisation
était nécessaire à l'élaboration d'un
système visuel significatif, mais elle est donc aussi primordiale pour
simplifier ce système. La méthode CLAP est un préalable
nécessaire pour définir une organisation. Il faut donc commencer
par modéliser les informations avant des les transformer en visuels
intelligibles.
3. Le temps. « En économisant son temps, on a
l'impression que tout est plus simple ».
Nous reviendrons plus tard sur la question du temps lorsque
nous
aborderons les problèmes liés aux nouvelles
modalités de lecture.
Illustration 20: La visualisation Virtual Water
présentée sou forme de poster
4. L'apprentissage. « La connaissance simplifie tout
».
Pour qu'un utilisateur puisse utiliser un système, il
doit d'abord comprendre comment celui-ci fonctionne. Mettre en place de
nouveaux systèmes de visualisation de l'information
c'est mettre en place des systèmes auquel il n'est pas habitué.
L'utilisateur ne pourra donc à priori pas faire appel à ses
habitudes et ses connaissances pour utiliser le système. Une phase
d'apprentissage est elle alors nécessaire? Certains dispositifs mettent
ainsi en place ce passage obligé et préalable à leur
utilisation. C'est notamment souvent le cas dans le domaine du jeu vidéo
où cette phase est appelée le didacticiel. Certains
didacticiels sont longs et parfois complexes, mais pour autant, ils ne
découragent pas les utilisateurs qui vont jusqu'au bout de leur
apprentissage. En fait, on constatera bien souvent que la tolérance
à la phase d'apprentissage est proportionnel à la motivation
d'utilisation du dispositif. Cela s'applique apparemment à la
connaissance même, selon John Maeda : « On apprend mieux si on a le
désir d'atteindre une connaissance spécifique
»81. Mais tout dispositif ne bénéficie pas de la
même attention que le jeu vidéo. La plupart des appareils,
notamment les appareils ménager, comme le four ou le
téléphone, sont fournies avec des notices. Pourtant,
malgré la motivation effective de leur utilisation, ces notices sont
rarement consultées. La plupart du temps, cette réticence vient
à la fois de la complexité de la notice, mais aussi du fait
qu'elle rend, par sa forme, l'expérimentation simultanée à
l'apprentissage relativement difficile ( contrairement aux didacticiels des
jeux vidéo).
L'apprentissage par l'expérimentation est une bonne
idée en soi, mais elle ne peut pas fonctionner à tous les coups.
L'utilisateur qui n'est pas intéressé de prime abord par un
système sera toujours découragé par cette phase
d'apprentissage, qu'il considèrera comme une perte de temps. Mais il
sera aussi découragé par le système si sa prise en main
s'avère trop complexe.
La solution idéale est donc de construire un
système où l'apprentissage ne serait pas nécessaire.
Autrement dit, un système intuitif. On dit d'un procédé
qu'il est intuitif lorsqu'il transmet une impression de familiarité
à l'utilisateur, c'est à dire lorsque le procédé
fait appel à des signes renvoyant à des objets faisant
déjà partie de l'encyclopédie de l'utilisateur (de son
système de connaissances). Cette analogie amènera une action sur
le procédé similaire à celle effectuée sur l'objet
auquel il renvoie. Les actions à effectuer semblent alors naturelles
puisque déjà encrées dans les habitudes de l'utilisateur.
Prenons l'exemple de l'interface Kinect : les mouvement à
reproduire sur l'interface sont similaires à ceux que nous effectuons
dans la vie réelle. Le menu par exemple se présente comme un
carrousel qu'il faut faire tourner avec ses mains pour le faire bouger.
La compréhension d'un système est donc bien en
relation avec les connaissances de celui qui l'utilise. Et pour qu'aucune
phase
81 De la simplicité, p.73,
op.cité.
d'apprentissage ne soit nécessaire à son
utilisation, alors il faut faire appel aux connaissance qu'il a
déjà acquises en amont, autrement dit à ses
pré-acquis.
5. Les différences. « La simplicité et la
complexité ont besoin l'une de l'autre »82.
6. Le contexte. « Ce qui se trouve à la
périphérie de la simplicité n'est pas du tout
périphérique »83.
7. L'émotion. « Il vaut mieux davantage que moins
d'émotions ».
8. La confiance. « Dans la simplicité, nous avons
confiance »84.
9. L'échec. « Certaines choses ne peuvent jamais
être rendues plus simples ». C'est par exemple le cas de la
donnée brute.
10. La loi cardinale : « la simplicité consiste
à soustraire ce qui est évident et à ajouter ce qui a du
sens ».
La surabondance peut, quant à elle, être
gérée en appliquant le principe de réduction, mais aussi
par la gestion et l'emploi du vide.
En suivant les préconisations émises jusqu'ici,
la question de l'attention est déjà résolue : le but d'une
transmission d'informations par un système visuel réside
principalement à capter l'attention et à augmenter la
concentration de l'utilisateur. Il est quand même à noter que les
principes de signe visuel, de vide et de forme globale sont les principaux
éléments à mettre en place pour favoriser la
concentration.
Le changement de mode de lecture, enfin, implique entre autres
que l'utilisateur désire accéder à l'information
rapidement pour gagner du temps. L'image est instantanée : elle fait
appel à moins de systèmes cognitifs et est donc plus accessible
plus rapidement. En utilisant des images discursives appropriées,
l'utilisateur pourra se repérer rapidement et se diriger rapidement vers
l'information qui l'intéresse.
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