3. L'inédit de la création
L'inter-culturalité est une des caractéristiques
fondamentales de la modernité. Or, comme le montre Clanet C. (1993,
p.33), "les situations inter-culturelles sont extrêmement complexes,
contradictoires et paradoxales". C'est pourquoi, Balandier G. (1988, p.68)
pense que "les sociologies de l'équilibre ne suffisent
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plus à rendre compte de la complexité du
social", et prône l'avènement d'une sociologie dynamique, plus
à même d'appréhender les processus mis en branle par les
interactions culturelles.
Le centre s'inscrit dans la logique, de refondation de la
médecine traditionnelle, à travers une mise en dialogue des
éléments de la tradition et de la modernité.
3.1. Des innovations techniques et organisationnelles
A partir des résultats de nos investigations
empiriques, nous pouvons dire que des innovations importantes sont jà
l'oeuvre au niveau de la médecine traditionnelle exercée dans le
centre. Ces innovations sont aussi bien d'ordre technique qu'organisationnel et
témoignent de l'imagination créatrice déployée dans
cet hôpital pour adapter les remèdes utilisés aux exigences
d'une « clientèle » de plus en plus
occidentalisée.
Nous considérons comme innovation, tout ce qui dans
l'organisation de la tradithérapie, dans les pratiques relatives
à la médecine traditionnelle à `'la maison de la
feuille'', est considérée comme inédit par les
guérisseurs eux- mêmes ou les malades de cette structure. Des
innovations techniques peuvent être décelées dans ce
centre, dans les modes de présentation des produits
médicinaux.
Les médicaments en poudre sont emballés dans des
bouteilles qui au préalable ont été lavées au savon
et ensuite stérilisées dans de l'eau chaude. Il en est de
même pour les médicaments liquides qui doivent rester en
bouteilles. Une étiquette, avec le logo de la structure qui l'a
fabriqué est apposée sur chaque flacon, indiquant le mode
d'emploi. La date de péremption n'y est pas souvent marquer. Ces
éléments techniques relatifs à la présentation des
médicaments traditionnels, constituent des innovations, des
nouveautés pour les tradipraticiens exerçant dans le centre. En
effet, avant leur intégration à cette structure, les
guérisseurs utilisaient du papier journal ou des bouteilles qu'ils
lavaient parfois
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seulement au savon, pour conserver les remèdes qu'ils
remettaient à leurs patients. En plus, les tradipraticiens
interrogés reconnaissent que les modes d'emploi des médicaments
qu'ils donnaient aux malades n'étaient jamais écrits comme dans
le centre, mais étaient plutôt expliqués oralement aux
patients. Pour pallier les difficultés de conservation de certains
remèdes traditionnels, les tradipraticiens expliquent qu'ils ne
préparaient les médicaments que sur demande expresse d'un malade.
Dans le centre, tous les médicaments sont disponibles à la
pharmacie où le patient peut les acheter après prescription du
tradithérapeute. C'est certainement à cause de ces innovations
que nous venons d'énumérer que les malades interrogés
trouvent qu'il existe une différence entre la médecine
traditionnelle dans le centre et la tradithérapie qu'ils ont connu en
dehors du centre.
Un premier niveau d'analyse montre que les innovations
introduites dans la médecine traditionnelle exercée dans le
centre sont liées à la valorisation. En effet, si ces innovations
ont lieu dans ce centre, c'est que les tradipraticiens travaillent en
coopération avec des agents administratifs qui ont un niveau
d'instruction plus ou moins élevé.
Un autre niveau d'analyse révèle que les
innovations techniques dans le centre, reflètent une nette
volonté d'optimisation des ressources financières. L'importance
accordée à l'hygiène dans la préparation, le
conditionnement, la conservation des produits médicaux, témoigne
du besoin des promoteurs de la structure de gagner la confiance des malades
dont la majorité provient des milieux urbains occidentalisés.
Les innovations dans le centre sont non seulement techniques
mais aussi organisationnelles. En effet, alors qu'ils exerçaient
isolément avant d'intégrer l'établissement, les
tradipraticiens travaillent en équipe dans le centre, avec des horaires
bien définies, des modalités de paiement des honoraires
fixés d'avance par l'administration. De surcroît, dans le centre,
les guérisseurs se concertent
régulièrement avec les membres de la direction
pour décider des orientations à donner à leur travail.
Tout guérisseur qui doit descendre de garde est tenu de présenter
le tableau clinique de ses patients à son remplaçant pour lui
permettre de suivre le traitement. Il est également important pour nous
de dire que, comme jà l'image des hôpitaux, les
tradithérapeutes de `'la maison de la feuille'' ont une
blouse de couleur verte qu'ils sont tenus de porter.
L'organisation de la médecine traditionnelle est
essentiellement assurée par des membres de la direction qui travaillent
avec des moyens modernes comme l'usage de l'ordinateur, alors que les
tradipraticiens se limitent à l'administration des soins. En plus, dans
le centre, le rapport entre le malade et le guérisseur n'est pas direct.
Il est d'abord reçu par le service d'accueil qui le dirige vers la salle
de consultation. L'organisation administrative de la tradithérapie dans
le centre s'explique par la nécessité de gérer un grand
nombre de patients dans cette structure. Il fallait donc créer, en
s'inspirant du modèle des hôpitaux modernes, une organisation qui
puisse permettre une prise en charge efficiente des patients.
Les innovations techniques et organisationnelles dans le
centre, corroborent les écrits de Dozon (1987, p.18), pour qui de plus
en plus, la "dialectique subtile entre tradition et modernité que G.
Balandier a exprimé sous la formule d'Afrique ambiguë est, en
l'occurrence, ce qui anime les médecines traditionnelles et
préside à leur évolution".
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