PARAGRAPHE II : LES LIMITES AUX ACTIONS DES
ORGANISMES DU DROIT DE LA PROPRIETE LITTERAIRE ET ARTISTIQUE
Il est avéré que les organismes ci-dessus
présentés dans leur statut et leurs missions contribuent de
façon importante à une protection effective des droits de
propriété littéraire et artistique. Mais des
investigations approfondies et une approche des personnels de ces organismes
nous a permis de constater que dans l'exercice de leurs missions, ceux-ci
rencontrent beaucoup de difficultés, ce qui ne contribue pas assez
à une expansion de la protection des droits. Il nous a paru essentiel de
ressortir les difficultés que rencontrent d'un côté le BSDA
(A), et d'un autre côté la BNLPC (B).
A- LES DIFFICULTES DU BSDA DANS SA MISSION
DE PROTECTION DES DROITS DE PROPRIETE LITTERAIRE ET ARTISTIQUE
Les problèmes que rencontre le BSDA sont
articulés autour de l'information et la sensibilisation des populations
en général et des auteurs et des titulaires des droits voisins en
particulier.
Le BSDA, étant un bureau tourné vers la
population, rencontre des difficultés dans le cadre de l'information et
la sensibilisation de la population. D'abord dans le reflet de cette structure,
mais aussi, celui-ci doit traduire tous ses prospectus ainsi que la loi de 2008
dans les différentes langues du Sénégal afin que cette
population soit assez ancrée sur les questions du droit d'auteur.
Cette traduction est importante, mais très
coûteuse pour le BSDA. Et l'on peut aller plus loin pour affirmer que les
droits d'auteur au Sénégal ne s'arrêtent pas seulement
à Dakar mais cherchent à aller plus loin, dans le but d'atteindre
les extrémités du Sénégal. Ainsi, le personnel doit
être renforcé afin d'être plus performant.
Ensuite, on peut citer la piraterie qui prend une importante
ampleur. Le BSDA, malgré ses sensibilisations et ses modes d'information
de la population, perçoit toujours une forte indifférence de la
population et cela se constate par le fait que la majorité des oeuvres
littéraires et artistiques au Sénégal sont
piratées. Et le dernier constat est que même les artistes
eux-mêmes participent à la piraterie. C'est ce qui a poussé
un agent du BSDA à dire que « les véritables pirates
sont les artistes ». Car, avec le fait des hologrammes
préfinancés par le BSDA, qui sont assez coûteux selon les
usagers du BSDA, certains artistes paient les hologrammes et donnent une
autre
partie à des pirates pour contrefaire leurs oeuvres.
Toutefois, dans l'optique de ralentir la piraterie tout en sensibilisant la
population, le BSDA fait des descentes aussi bien à Dakar que dans les
environs du Sénégal afin de dissuader la population face à
la contrefaçon.
Ainsi, le BSDA travaille avec la Brigade Nationale de Lutte
contre la Piraterie et la Contrefaçon et le matériel saisit est
soit confisqué, soit détruit.
Dans le même ordre d'idées, il y'a
également le phénomène dit de « la
perméabilité des frontières ». Beaucoup de produits
pirates nous viennent de pays voisins, comme le Nigéria « qui n'a
pas de législation sur le droit d'auteur et qui abrite des industries
fortement équipées qui fabriquent n'importe quel support
[cassettes, DVD, etc.] injectés sur le territoire
sénégalais ».
Au plan local, il y a naturellement la piraterie
numérique avec son lot de spécialistes impénitents de la
gravure de CD qui font l'objet d'une lutte sans merci du BSDA. Et si on ajoute
à cela le manque de formation, parfois, de ceux qui doivent lutter
contre la piraterie sur les réseaux, on comprend que les services du
BSDA se sentent « dépassés, débordés,
submergés et impuissants ».
Il y'a par ailleurs le fait que les artistes eux-mêmes
ne font pas les diligences nécessaires auprès du BSDA, afin de se
faire enregistrer et faire valoir leurs droits en cas de contestations
éventuelles et ne pas se faire débouter en justice comme l'a
été l'artiste musicien Didier AWADI dans le litige qui l'opposait
à la SONATEL Mobiles SA, à la SONATEL SA et à la SARL
CARACTERE et qui a été jugé le 28 juillet 2006 par le
Tribunal Régional de Dakar20.
En effet, le sieur Didier AWADI a exposé avoir
crée et produit lors de la CAN 2004, une chanson titrée «
Rosa » et a ensuite procédé à son enregistrement au
BSDA. Mais il indique avoir constaté que cette chanson a
été utilisée à plusieurs reprises par la SONATEL
Mobiles pour faire passer des annonces publicitaires. Mais la SONATEL
s'appuyant sur l'Annexe VII de l'accord de Bangui sur la
propriété littéraire et artistique estime que doit
être sanctionnée la personne ayant reproduit une oeuvre sans
autorisation. Elle estime donc qu'ayant confié cette tache à la
SARL CARACTERE, il appartenait à cette dernière de faire les
diligences nécessaires y afférentes et elle estime donc n'avoir
pas engagé sa responsabilité engagée.
Le juge a argué en se fondant sur l'article 4 de
l'annexe VII de l'accord de Bangui que l'auteur d'une oeuvre originale de
l'esprit, littéraire et artistique jouit sur celle-ci, du seul fait de
sa création, d'un droit de propriété incorporel, exclusif
et opposable à tous. Mais il ajoute qu'une telle oeuvre n'est
légalement protégée que si elle est enregistrée. En
l'espèce, le sieur Didier AWADI n'a produit aucun élément
prouvant que la chanson « Rosa » a été
enregistrée au BSDA à son nom. Qu'en l'absence de cet
élément, le Tribunal ne pouvait valablement vérifier
l'auteur de la chanson et ainsi
20 N° 1614 TRHC Dakar, 28 juillet 2006, Didier
AWADI c/la SONATEL Mobiles ; inédit
apprécier la violation de ses droits et de ce fait, a
conclu au débouté de Didier AWADI.
Relevons à ce niveau que cette décision des
juges du Tribunal Régional de Dakar ne cadre pas du tout avec la
réalité juridique en droit de la propriété
littéraire et artistique. En effet, dans cette matière, il n'est
point besoin pour un auteur de faire enregistrer son oeuvre pour
bénéficier d'une quelconque protection, tel que cela se fait en
droit de la propriété industrielle. La protection existe du seul
fait de la création de l'oeuvre de l'esprit. L'enregistrement n'a de
sens qu'en cas de souci concernant la preuve de l'effectivité de la
création, car il lui apporterait une date certaine en cas de
contestation éventuelle. Il ne serait donc pas exagéré de
dire que les juges se sont trompés par rapport à ce jugement.
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