Introduction: Définitions et
méthodologie
En introduction à cette recherche, il importe de bien
définir ce que nous entendons à la fois par féminisme,
genre, développement et ONG. Ces termes ne font pas l'unanimité;
et c'est bien ce qui rend difficile leur utilisation tant au quotidien,
lorsqu'on veut exprimer la relation complexe entre les deux genres composant
l'humanité, que lorsqu'on désire les conceptualiser pour pouvoir
mobiliser la notion de genre, a fortiori lorsqu'on les associe à un
domaine également controversé tel le développement. Comme
ces deux notions procèdent d'un savoir, il n'est pas inutile de faire
quelques réflexions sur la constitution d'un savoir.
1. DE LA CONSTITUTION DU SAVOIR ET DU RAPPORT A
L'OBJET
Le savoir est le fruit d'un cheminement idéologique et
culturel qui a des répercussions sur la facon de construire son objet,
en l'occurrence: les femmes, le genre et le développement. Tout concept
est le résultat d'une pratique, quel qu'en soit le domaine.
Etant socialement construit, il doit être remis dans un
contexte plus global que le simple cadre et la réalité
particulière dans lesquels se sont développées les
recherches, observations, analyses, systématisations et
conceptualisations qui l'ont produit. Cette double contrainte entre le
particulier et l'universel prend tout son sens dans le cas des études
féministes et des études de développement.
Huguette Dagenais souligne ainsi que la recherche
féministe ne part pas de catégories du discours ou de
théories mais de problèmes concrets et de personnes, les femmes,
pour arriver à une conceptualisa tion. 13 Cette recherche
s'inscrit donc directement dans un vécu, dans une situation. Or si la
réalité de la recherche féministe est effectivement
ancrée dans le réel, les recherches sur les femmes, et par
extension sur le genre, ont créé des objets d'étude non
réductibles (les femmes) pour dégager des cadres conceptuels qui
ont vocation à être universels mais qui sont dans la
réalité souvent réducteurs.
2. QUELQUES DEFINITIONS DU GENRE
Jeanne Bisilliat et Christine Verschuur soulignent le fait que
le terme genre n'est pas apparu de facon soudaine. Il est selon elles une des
étapes fondamentales de la recherche féministe et est le produit
d'un cheminement intellectuel. 14
L'ONG Deutsche Welthungerhilfe donne cette définition de
genre:
Les gens naissent femmes ou hommes mais apprennent à
être des filles ou des garcons qui grandissent pour devenir des femmes ou
des hommes. Ils apprennent quelles sont les attitudes et comportements
appropriés, les rTMles et activités qui sont pour eux et comment
ils doivent se mettre en relation avec les autres. Ce comportement acquis est
ce qui fait l'identité de genre et détermine les rTMles de genre.
15
13 DAGENAIS Huguette, Conceptions et
pratiques du développement: contributions féministes et
perspectives d'avenir, in BISILLIAT Jeanne et VERSCHUUR Christine
(dirige par), Le Genre: un outil nécessaire. Introduction
à une problématique, Cahiers Genre et
développement, n°1, 2000, AFED-EFI, Paris-Genève, p.
32.
14 BISILLIAT Jeanne et VERSCHUUR Christine (dirige
par), Le Genre: un outil nécessaire. Introduction à
une problématique, Cahiers Genre et développement,
n°1, 2000, AFED-EFI, Paris-Genève, p. 14.
15 DEUTSCHE WELTHUNGERHILFE: Gender Training
for GAA Staff, Bonn, 1997, polycopié, p.2.
La notion de genre est donc utilisee pour differencier les
caracteristiques biologiques, qui sont donnees par la nature et ne peuvent etre
changées des caractéristiques sociales qui sont apprises par la
civilisation et peuvent etre changées. Le premier aspect important dans
le genre est donc la difference entre genre et sexe.
Cette definition a suscité de nombreuses critiques. La
critique principale decoule du caractere culturel du concept. Son peu
d'universalite en ferait un outil de travail peu recommande. Tout comportement
acquis culturellement fait en quelque sorte partie d'une sphere dans laquelle
on ne peut s'immiscer. D'autre part inserer le genre dans les politiques
reviendrait à s'introduire dans la sphère privee puisqu'on touche
aux relations interpersonnelles. Alors que les critiques fusent par rapport au
caractere culturel du genre, il y a moins de scrupules à utiliser des
concepts tels celui de la croissance, bonne gouvernance ou droits de l'Homme,
tous concepts typiquement occidentaux. Nous reviendrons sur la critique
relative à la sphere privee ulterieurement.
Selon Isabelle Jacquet,
le genre est une construction theorique dont l'objectif est de
faire en sorte que toute analyse, toute initiative, tout projet de
developpement prenne en consideration l'existence du decoupage des societes et
des activites humaines entre deux types d'individus: les hommes et les
femmes16.
Le terme de genre designe donc les relations sociales entre
les sexes. Cependant, on pourrait ajouter que ce sont toutes ces relations et
non pas seulement celles que les femmes pourraient avoir avec les hommes, qui
sont inclues dans ce concept.17 Restreindre l'etude du genre
à la seule etude des femmes ne sert à rien, sinon peut-etre
à para»tre plus neutre, plus serieux et moins effrayant que
lorsqu'on utilise le terme 'femmes' ou 'feminisme'. Tout comme les autres
relations sociales, celles qui se nouent entre hommes et femmes sont
construites; elles ne reposent donc pas sur des caracteristiques
naturelles/biologiques. Sexe et genre ne peuvent se confondre. Cette difference
fondamentale est soulignee par John Hoffman qui remarque que, s'il n'y
avait pas de différence entre sexe et genre, alors on devrait voir que
dans une société sexiste, la domination des hommes résulte
de leurs différences biologiques d'avec les femmes, et que
l'égalité de genre ne pourrait 'etre possible qu'en effacant ces
différences, chose qui n'est ni désirable ni vraiment
possible.18
Pour Marques-Pereira le genre serait, de maniere globale,
une categorie analytique qui fait reférence à:
la division sociale entre le masculin et le feminin,
le rapport de pouvoir entre hommes et femmes fondé sur
la division sexuelle du travail, le caractère
transversal du genre à l'ensemble des rapports sociaux, le
caractere dynamique du genre variable dans le temps et dans
l'espace, le caractère quotidien des rapports de genre
et la construction sociale des differences, non seulement
entre hommes et femmes, mais aussi entre femmes.19
De ces quelques definitions du genre nous tirerons le cadre
général de notre analyse, dans laquelle nous tenterons de voir
en quoi l'aspect dynamique, global et transversal du concept
16 JACQUET Isabelle:
Développement au Masculin/Féminin. Le genre, outil d'un nouveau
concept, L'Harmattan, Paris, 1995, p.9.
17 Les relations sociales sont la base d'un cadre
d'analyse du genre dans le développement, cadre que nous
développerons dans la deuxième partie de ce travail.
18 HOFFMAN John: Gender and
Sovereignty, Feminism, the State and International Relations, Palgrave,
New York, 2001, page 35. Traduction libre. NB: toutes les citations d'ouvrages
en anglais ou en espagnol sont l'objet de traductions libres.
19 MARQUES-PEREIRA
Bérengère, Femmes dans la cite dans le cTMne sud de
l'Amérique latine et au Portugal, in MARQUES-PEREIRA
Bérengère: Femmes dans la Cite: Amérique latine
et Portugal, Sextant, ULB, n8, 1998, Bruxelles, pp. 7-16, p.12-13.
de genre peut servir de base à une redéfinition des
rapports de pouvoir en agissant comme un "big bang conceptuel".
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