4. LE DISPOSITIF DE DEVELOPPEMENT
Ce concept de 'dispositif' foucaldien peut etre egalement
adapté au developpement, comme le fait Colette St-Hilaire64
qui definit ce "dispositif de développement" comme etant un
'ensemble de discours, d'institutions, de pratiques et de
procedures à partir desquels les individus et les collectivites sont
constitues, d'une part, en objets sur lesquels il est possible
d'intervenir et, d'autre part, en sujets pouvant
eventuellement se gerer selon les termes du developpement.'65.
Le developpement en tant que systeme ou dispositif permet,
gr%oce aux savoirs sur les populations du Sud et aux appareils de gouvernement
mis en place, de penetrer, d'integrer, de gerer et de contrTMler les pays
et populations de maniere incroyablement detaillee et englobante.
Les connaissances sur les pays du Sud se sont faites de plus
en plus precises et detaillees. Statistiques à l'appui, les populations
sont cataloguees, rangées par categories, triees, afin de pouvoir, selon
les "specialistes" agir de la facon la plus efficace possible. La plus petite
parcelle de specificite est maintenant connue et utilisee pour justifier telle
ou telle mesure ainsi que pour creer tel ou tel besoin: "Les populations du Sud
n'ont pas acces à l'eau, creusons des puits, leur economie est
informelle, formalisons-la, leurs entreprises nationales ne sont pas rentables,
privatisons!", et ainsi de suite.
Il faut toutefois se rendre à l'év idence. Si le
savoir du developpement a echoue dans la resolution des problemes de sous
-developpement souligne Escobar,
'on peut aussi dire, peut-etre avec encore plus de pertinence,
qu'il a reussi à creer un type de sous-developpement qui, jusqu'à
present a ete en majeure partie, politiquement et economiquement
administrable.'66
63 FOUCAULT Michel,
L'éthique du souci de soi comme pratique de la liberté,
in Dits et Ecrits, tome IV, Gallimard, Paris, 1994, pp. 708-729, cite
par PIRON Florence et COUILLARD Marie -Andrée (sous la direction
de), Savoirs et Gouvernementalité, in Anthropologie
et Sociétés, vol.20, n1, Université de Laval, 1996, p.
13.
64 L'utilisation du concept de dispositif est faite par
plusieurs auteurs. Le premier à l'avoir utilise est Arturo Escobar. Par
la suite Saint Hilaire, Vezina, Couillard, et d'autres auteurs, notamment les
auteurs québécois, ont repris ce concept pou r parler du
"dispositif de développement".
65 SAINT-HILAIRE Colette, La
production d'un sujet-femme adapté au développement. Le cas de la
recherche féministe aux Philippines, in Savoirs et
gouvernementalite, n thematique de Anthropologie et
Sociétés, vol.2 0, n1, Université de Laval, 1996, pp.
81 -101, p. 82.
66 ESCOBAR Arturo, Power and
Visibility: the invention and management of Development in the Third
World, these de doctorat, Berkeley, University of California, 1997, cite par
VEZINA Annie: La micro-entreprise: une
Depuis tant d'années consacrées à la
résolution des problèmes du Sud en effet, peu d'avancées
sont visibles et pourtant, les acteurs du développement (gouvernements,
institutions internationales, ONG) continuent dans cette voie. Les programmes,
les recherches, les formations sont toutes concues à partir de cette
vision subjective qui est à la base du dispositif. Les financements sont
eux aussi soumis à cette vision. Plus de subsides aujourd'hui pour les
projets qui n'intégreraient pas le développement durable, la
participation populaire, l'environnement, les droits de l'homme,É Comme
l'explique Adela Bonilla,
"les acteurs du développement suggèrent aux
bénéficiaires de former des réseaux afin d'être plus
efficaces, définissent des thèmes importants pour
améliorer leur démocratie, promeuvent des dialogues Nord-Sud,
incorporent le genre au développement qui doit aujourd'hui être
durable. Peu à peu ils ont dicté les politiques qui
reflètent plus la vision du Premier Monde que la
recherche conjointe d'une proposition de monde
différente."67
Ce cadre imposé aux "bénéficiaires"
potentiels est de plus en plus strict. Si l'on veut bénéficier
des largesses du système, si l'on veut être pris en compte, il
faut désormais "présenter des projets bien
élaborés, mesurables et quantifiables". Il faut "(non seulement)
apprendre le langage, les manières et les chemins du
développement (mais également) être bien vu ou avoir le
soutien de quelqu'un de reconnu par le monde de la coopération, il ne
faut pas se tromper et demander des subsides pour un projet de formation pour
femmes à ceux qui s'occupent de santé, ni présenter un
projet de droits de l'homme à ceux qui financent des projets
productifs."68
Un autre aspect de ce dispositif est celui de l'utilisation
des ONG afin de garantir le bon déroulement des actions de
développement, telles qu'elles sont désirées par les
institutions internationales. Dans son article sur les micro-entreprises, Annie
Vezina suggère que les institutions de développement
international et les grandes agences de développement ont, depuis les
années 1950, "discipliné les ONG pour qu'elles effectuent des
interventions sur le terrain dans le cadre de paramètres de surveillance
spécifiques".69 Les gouvernements et les institutions ont en
effet tendance à financer des ONG pour effectuer des actions de terrain
à la place des états nationaux, reproduisant ainsi la domination
économique occidentale. En effet, et nous le verrons dans le chapitre
consacré aux différentes approches FED70, il y a une
volonté, de la part des Etats et des institutions, de privatiser et
individualiser toute une série d'activités qui normalement
incombent aux pouvoirs publics. L'utilisation des femmes non plus uniquement
comme bénéficiaires mais également comme "fonctionnaires
bénévoles" des services publiques, renforce le système
actuel qui tend vers le désengagement de l'Etat dans le domaine social
d'une part, l'individualisation et la destruction du lien de solidarité
d'autre part.
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