2. QUI DEVELOPPE LE SAVO IR DU DEVELOPPEMENT?
Au départ, il semble évident que ce savoir est
constitué par les hommes, puisqu'il en est ainsi de toutes les
connaissances. Ce savoir est non seulement masculin mais également
occidental. A l'instar du l'opposition entre savoir féministe/savoir de
femmes et savoir sur les femmes, il existerait un savoir du
développement et un savoir sur le développement. Nous appelons
savoir du développement celui qui est issu d'une pratique, ancrée
dans les situations vécues par les populations du Sud, mais
également par ceux qui travaillent avec eux, ce savoir pouvant donner
lieu à des théorisations, et etre issues de centre
d'études. Le savoir sur le développement serait à
l'opposé, dégagé de toute implication concrete dans ces
situations. La différenciation entre les différents acteurs ne se
ferait donc pas tellement à un niveau Nord-Sud mais plutTMt au niveau du
rapport à l'objet d'une part, à celui de son utilisation d'autre
part. Les acteurs de l'élaboration du savoir du développement
sont multiples: les instituts de recherche académiques du Nord et du Sud
(indépendants ou non), les institutions internationales actives dans la
coopération et leurs instituts de recherche propres, les ONG du Nord et
du Sud, pour n'en citer que quelques uns.
Pour la plupart de ces acteurs, on observe, au cours des deux
dernieres décennies, une nette évolution dans leur facon
d'appréhender les questions qui leur sont posées dans le cadre de
leur travail. On constate notamment que les centres de recherche, les
colloques, les séminaires et les études sur l'objet
et les
sujets de la coopération, à savoir les
sociétés du Sud, ont proliféré pour donner
naissance à une véritable science du développement. En
effet, parallelement aux actions concretes sur le "terrain", s'est
déployée une pléthore de recherches, séminaires,
conférences etc. sur la question du développement, et entre
autres,
54 Si tant est qu'une réalité
objectivement unique existe dans le domaine des relations humaines et donc du
développement.
55 SAINT-HILAIRE Colette, opcit, p. 82.
56 idem, p.83.
dans le domaine femmes et développement. Ce
décha»nement de littérature, de manuels et de grilles
d'analyse diverses, n'est pas sans effrayer certains a qui, comme Garcia
Castro,
l'élaboration de manuels concernant le genre, pratique
commune aux agences internationales et a certaines ONG, (me) fait peur. On
risque de s'embarquer sur un concept de type statique, impliquant des positions
et des rapports sociaux pré codifiés.57
3. L'UTILISATION POLITIQUE DU SAVOIR FEMINISTE ET DU
SAVOIR DU DEVELOPPEMENT
Nous pouvons, en reprenant ce que Foucault disait de la
sexualité comme "domaine a conna»tre", dire que "(le
développement, ainsi que le genre et les femmes), s'est constitué
comme domaine à conna»tre à partir de relations de pouvoir
qui l'ont institué en objet possible; et en retour, si le pouvoir a pu
le prendre pour cible, c'est parce que des techniques de savoir, des
procédures de discours ont été capables de
l'investir."58 C'est donc un processus d'aller-retour entre
le savoir et le pouvoir qui est effectué. Si le développement, et
ensuite le genre et les femmes ont fait l'objet de l'attention des
organisations et institutions, c'est parce que celles -ci ont vu qu'elles
pouvaient tirer une certain "bénéfice" de ces savoirs. Mais une
fois ce savoir existant, il est "absorbé" par le pouvoir qui, gr%oce a
un certain discours, réussit, d'une part a en faire une
"réalité", d'autre part a faire en sorte qu'il serve a confiner
les individus dans cette réalité.
Le développement de ce savoir sur les femmes sert-il a
augmenter leur pouvoir ou leur puissance59, ou alors sert-il a le/la
diminuer ? L'objectivation de la femme, sa constitution en objet
d'étude, a-t-elle permis a celle-ci de se libérer ou l'a-t-elle
asservie davantage? Et en particulier dans le développement, quelles
sont les conséquences de ce savoir sur son objet? Quels sont en
définitive, les objectifs et les buts poursuivis par le
développement du savoir?
A. La gestion et l'instrumentalisation du savoir
A propos de l'utilisation du savoir scientifique par les
institutions et gouvernements, citons un extrait de la politique du Centre de
recherches pour le développement international canadien en la
matière:
Les programmes du CRDI ont pour objectif le
développement durable et équitable par la production et
de l'utilisation du savoir. Ils se fondent sur l'hypothèse que
toutes les améliorations apportées au bien-être des
êtres humains sont attribuables au savoir -- a sa production, a sa
diffusion, a sa propriété et a son application
éclairée. Et la recherche, aussi bien en sciences
naturelles qu'en sciences sociales, est le moyen employé pour
acquérir le savoir. Au CRDI, cela se traduit par le financement de la
recherche dans les pays en développement, la recherche qui permet
d'élaborer des politiques et de mettre au point des technologies visant
a atténuer la pauvreté et a améliorer les conditions de
vie des personnes. Ainsi, chaque pays se dote des ressources le rendant apte a
identifier ses problèmes et de les résoudre. Le CRDI concentre
son action dans les domaines suivants: protection de la
57 GARCIA CASTRO Mary, Le pouvoir des
genres à l'époque du néo-libéralisme. Line
réflexion de gauche sur les féminismes en Amérique
latine, in Rapports de Genre et mondialisation des marchés, in
Alternatives Sud, Vol. V n° 4, 1998, pp. 45 -64, p. 51.
58 FOUCAULT Michel, Histoire de la
sexualité. La volonté de savoir, Gallimard, Coll. Tel,
Paris, 1976 , p. 130.
59 Je reviendrai sur cette distinction dans le chapitre
suivant.
biodiversité, exploitation équitable des ressources
naturelles, sécurité alimentaire, emploi durable, politiques pour
une société en santé, et information et communication."
60
L'objectif avoué des activités de ces centres de
recherches sur le développement serait donc d'améliorer les
conditions de vie des plus pauvres, à savoir les populations du Sud et
ce tant dans le développement des savoirs dans le Nord que par la
promotion et le financement de centres de recherches dans le Sud. Si
l'intention est louable nous mettons toutefois en doute le caractère
purement altruiste du financement de la recherche dans le Sud. Ce financement
ne constitue-t-il pas un moyen de contrôler et de gérer ce savoir?
Qui décidera en effet de ce qu'est une "application
éclairée" de ce savoir?
Comme le souligne justement Jane Parpart,
l'habilité de contrôler la connaissance et la
signification, non seulement au travers de l'écriture mais aussi par le
biais des institutions disciplinaires et sociales, est la clé pour
comprendre les relations de pouvoir dans la
société.61
Ce savoir en grande partie développé par le
Nord, implique qu'il repose sur des concepts occidentaux et qu'il est
élaboré dans des "laboratoires" de recherche situés au
nord mais aussi par les ONG ou institutions internationales. Au delà du
caractère occidental du savoir qui est développé, il faut
également souligner la dépendance intellectuelle,
financière et matérielle dans laquelle se trouvent certains
chercheurs et chercheuses du Sud.
Pour reprendre la citation du CRDI, on peut se demander qui a
choisi, et pourquoi, les domaines d'action que la recherche se propose de
couvrir. Si ces domaines sont certes intéressants, ils correspondent
à ce qui est considéré comme étant indispensable
pour arriver à un résultat voulu. Le fait d'insister sur
l'aptitude des pays à identifier leurs besoins correspond à ce
que nous soulignions auparavant à propos de l'investissement de certains
savoirs par le pouvoir.
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