B. "Homme public, femme privee"
Peu d'études portant sur les femmes et le genre font
l'impasse sur la différenciation entre sphere privée et sphere
publique. La participation des femmes aux mouvements sociaux qui
émergent en Amérique latine durant les années 60-70 a
souvent été analysée sous cet angle. Selon l'expression de
Cubitt et Greenslade les femmes quittaient leurs vies naturellement
diterminies pour le monde socialement determine ou elles peuvent 'etre sujets
et non plus seulement objets de l'action politique.39 Cette
dichotomie public/privé est largement utilisée dans les
études sur les femmes mais beaucoup moins dans les études
féministes. Toutefois, certaines féministes, comme les
féministes libérales que dénonce Whitworth40,
acceptent sans les critiquer les divisions "privé/public",
"politique/non-politique". Le féminisme libéral suppose en effet
que l'intégration des femmes dans la vie publique apporte
l'émancipation, l'état servant à assurer qu'il y ait
équité pour tous. En réalité, elle sert souvent
à justifier le statut de la femme "hors la politique", "hors la
cité", leur exclusion.
Or, comme tout concept dichotomique, la conception du
privé et du public est socialement et culturellement construite. Elle
n'est donc pas immuable ni universelle. La plupart des auteurs actuels
(Kathleen Jones41, Linda Nicholson42) critiquent
aujourd'hui cette conception qui devient problématique des lors qu'elle
fonde toute la conception de la modernité, cantonnant les femmes dans la
sphère privée alors que la sphere publique serait le domaine
réservé des hommes. Si la sphere publique est le lieu des
revendications politiques, du débat démocratique, du
déploiement de la raison et du droit, la sphere privée est par
contre le lieu de la vie intime dans laquelle on ne peut s'immiscer. Les
critiques féministes de cette dichotomie public/privé et de son
utilisation à des fins de "planification", avancent que d'un
cTMté cette conception ne correspond plus à la
réalité et que de l'autre elle est un pur produit du patriarcat
libéral. Il n'est donc pas certain que cette séparation entre les
deux spheres contribue à l'empouvoirement réel des femmes. Au
contraire on constate que puisque les femmes sont confinées à la
sphere domestique, la vie publique s'est faite non seulement sans les femmes,
mais contre les femmes.43
Comment peut-on en effet confiner la politique à la
sphere publique alors que les relations interpersonnelles peuvent etre
oppressives et exploiteuses et donc etre politiques? Cette dichotomisation
renvoie les relations interpersonnelles à la sphere privée, comme
si les relations de travail, les relations communautaires ou toute autre
relation socialement construite ne pouvaient etre inégalitaires ou
discriminantes envers les femmes. Une des conséquences (ou des
objectifs?) de cette séparation entre privé féminin et
public masculin
38 LAGARDE Marcela, Género
y feminismo: desarollo humano y democracia, Cuadernos Inacabados, horas y
HORAS la Editorial, Madrid, 1997, p.13.
39 CUBITT Tessa et GREENSLADE
Helen, Public and private spheres: the end of dichotomy in
DORE Elizabeth, Gender politics in Latin America. Debates in theory
and practice, Monthly Review Press, New York, 1997, p. 52.
40 citée par HOFFMAN John: Gender and
Sovereignty, Feminism, the State and International Relations, Palgrave, New
York, 2001.
41 JONES Kathleen, Towards a
revision of Politcs,in JONES K. et JONASDOTTRIN A., The
political interest in gender. Developping theory and research with a feminist
face, SAGE Publications, London, 1988, pp.11-32, p12- 1 3)
42 NICHOLSON Linda, The play of
reason. From the modern to the postmodern, Open University Press,
Buckingham, 1999, pp. 43-51
43 JONES, opcit., p13
est l'individualisation du construit de l'expérience
des femmes. En la confinant dans le privé, intime, familial (que ce soit
volontairement ou non ) on ignore le caractère social de la femme et les
relations qu'elle tisse hors-privé. C'est à partir de ces
relations qu'elle peut partager ses expériences pour ensuite
développer d'autres pratiques, d'autres besoins (stratégiques) et
avoir d'autres revendications. Cette séparation contribue à
confiner la femme dans son rTMle d'épouse et de mère.
On verra plus loin que l'analyse en terme de rTMles, telle
celle de Moser renvoie également à cette opposition bien qu'elle
soit agrémentée de l'analyse des besoins pratiques et
stratégiques des femmes faisant un lien entre privé et public.
Elle comporte donc les mêmes biais. A propos du rTMle de gestion
communautaire des femmes, Moser explique que la division spatiale entre le
monde public de l'homme et le monde pri vé de la femme signifie que,
pour la femme, le voisinage est une Çextension du terrain
domestiqueÈ alors que pour l'homme c'est le monde public de la
politique. 44 Que signifie cette séparation? La femme ne peut-elle donc
s'investir à l'extérieur de son foyer qu'en tant que
mère ou épouse, bonne gardienne du bien-être de sa famille?
Moser fait également l'impasse sur le caractère collectif de ce
rTMle de gestion communautaire. En ce sens, l'action des femmes étant
collective, on ne peut la considérer comme une pure et simple "extension
du terrain domestique."
Toutefois, si "le privé est politique" comme le
soutiennent les féministes, il ne devient réellement politique
qu'à partir du moment où certains aspects de la vie privée
ou de l'intime sont transférés à l'extérieur de la
sphère privée et oü les revendications privées sont
exprimées en des termes politiques, via des revendications, des
propositions et des projets qui dépassent le simple cadre de la vie
individuelle et se collectivisent. 45
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