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Féminisme, genre et développement en Amérique latine: le cas de Novib (ONG néerlandaise )

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par Zoé Maus
Université libre de Bruxelles - DEA pluridisciplinaire 2002
  

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U NIVERSITE L IBRE DE B RUXELLES
F ACULTE DE P HILOSOPHIE ET L ETTRES

F EMINISME, GENRE ET

D EVELOPPEMENT EN A MERIQUE

LATINE

LE TRAVAIL DE NOVIB

Mémoire présenté par Zoé Maus dans le cadre du DEA Pluridisciplinaire

Sous la direction de Madame Bérengere Marques-Pereira

Chercher à rendre visible ce qui est là devant nos yeux, mais que, pour des raisons multiples certains ont désappris à voir, certains ne veulent pas voir ou s'évertuent à cacher. Rendre visibles les fragments de possible saisis dans l'entre-deux luttes. Rendre visible c'est traquer les violences des rives, créer des points de rupture, des bifurcations, c'est poser la question du devenir, poser la question: vers quoi on va? et ne pas laisser les choses se perdre. Rendre visible ce qui est imperceptible hors du trajet.

Tessa Polak

Remerciements

Je remercie:

Madame Marques-Pereira pour son soutien, sa confiance et ses précieux conseils durant l'élaboration de ce mémoire.

Irma Van Dueren et Liesbeth van der Hoogte de NOVIB à La Haye

ainsi que Channah Bentheim et Brigitte Gloire de Oxfam-Solidarité à Bruxelles d'avoir consacré de leur temps à répondre à mes questions.

le Monde Selon les Femmes (en particulier Hélène Ryckmans), qui m'a chaleureusement accueilli et fait profiter de son centre de documentation.

J'adresse mes plus sincères remerciements à Catherine, sans qui je n'aurais jamais surmonté les difficultés, les craintes et les angoisses. Merci pour ses encouragements, critiques, commentaires, corrections et surtout, merci pour son inaltérable et précieuse amitié.

Je remercie également Samira et Annabelle, pour leur écoute amicale et leurs encouragements. Je remercie également ma famille et mes amis (ils se reconna»tront), qui m'ont apporté leur soutien.

Merci aussi à Patrick, malgré tout.

Enfin, j'ai une pensée reconnaissance pour toutes les personnes qui ont contribué, par leurs actions, leurs réflexions, leurs luttes, volontairement ou involontairement, de loin ou de près, ici ou là-bas, à la réflexion personnelle entamée il y a cinq ans et qui est à la base de ce mémoire.

Je pense en particulier aux femmes rencontrées lors de mes différents voyages en Amérique centrale et au Mexique et qui m'ont gentiment fait part de leurs réflexions et expériences.

INTRODUCTION

Introduction

Le sujet de cette recherche est le fruit de plusieurs experiences, professionnelles et privees en rapport avec les relations nord-sud. Etant personnellement proche d'un courant pour "un autre developpement", familière avec le domaine de l'education au developpement mais aussi de quelques collectifs actifs dans la recherche-action, j'ai plus ou moins naturellement dirige mes recherches vers la question du genre dans ces domaines. En effet, les femmes sont, à beaucoup d'egards, les invisibles de l'humanite, comme peuvent l'etre, dans d'autres domaines, les zapatistes, les sans -papiers ou les sans-tickets. Mais elles semblent egalement etre absentes du discours de ceux -là meme qui pretendent parler des "sans visages". Notamment, il est surprenant de voir que dans les mouvements alter-mondialiste, cette question n'est abordee que par les groupes feministes.

Le sujet me semblait donc etre à l'intersection de plusieurs de mes preoccupations et je savais que si je parvenais à defaire le nÏud de l'integration du genre, tant dans la cooperation au developpement stricto sensu que dans les autres formes de nouvelles solidarites, je pourrais aussi etre plus claire quant aux strategies à adopter dans mes actions.

1. PLAN DE TRAVAIL

Pour etudier cette question, il me fallait un fil conducteur, quelque chose qui me permette de dépasser la simple description de ce qui se fait et se dit. Mon experience professionnelle à VOICE (reseau europeen d'ONG d'aide humanitaire) mÕa donne l'occasion de travailler sur la question du genre dans le développement en general et l'aide humanitaire en particulier. CÕest lors de cette experience que j'ai trouve ce fil conducteur, ou plutTMt, que j'en ai eu l'intuition. Alors que j'essayais de mettre sur pied un groupe de travail qui se pencherait sur l'integration du genre dans l'aide d'urgence, j'ai pu constater que la chose n'etait pas facile. JÕai tente de reunir les gens pour discuter du probleme mais la plupart des personnes concernees etaient là par intérêt personnel et ne disposaient ni d'un reel pouvoir, ni d'un mandat clair de leur organisation. En outre, les fonds necessaires au bon fonctionnement du groupe de travail etaient inexistants. Il y avait donc des reticences à se pencher sur une question pour laquelle, me disait-on, des sommes enormes avaient déjà ete depensees en vain. Pourquoi toutes ces difficultés alors que le genre figure pourtant à l'ordre du jour de toutes les ONG et institutions internationales depuis quelques annees déjà?

Je me rendais alors compte qu'il y avait deux problemes: l'un etait lie à la question du savoir, l'autre à la question du pouvoir. Ces deux questions intrinsequement likes constituent un fondement de la question de genre et de son evolution. Le personnel des ONG avait une idee genérale et assez vague de ce que pouvait recouvrir le concept de genre. Il ne disposait cependant pas de connaissances suffisantes de ce que pourrait etre une pratique du "genre et developpement" et savait enco re moins comment la differencier de la pratique "femme et developpement".

Premier probleme, il assimilait encore largement "femmes" et "genre". Dans une certaine mesure, cette confusion est caractéristique du monde ONG. Il n'est pas rare en effet que les "professionnels du développement", emportes dans leur pratique quotidienne, omettent de se pencher sur la signification de leurs actions. En effet, beaucoup d'ONG souffrent dÕun manque de systematisation des experiences; et le probleme s'avere particulierement criant

dans le domaine de l'urgence oü l'incapacité à faire du "lessons learning"1 est plus marquée que dans le développement à long terme.

A. Première partie: Savoir, genre et pouvoir

Savoir

Le point crucial de l'intégration du genre dans le développement s'apparenterait donc à un problème de "savoir". Le savoir (ou connaissances) étant constitutif des formes sociales, il participe de la constitution et de la reconstitution chronique de ces structures.2 Si l'on suit Alain Eraly dans sa définition des connaissances, celles-ci sont

"des capacités apprises au travers des rapports sociaux et qui contribuent à les réaliser, des ensembles de catégories, de références, de notions et de concepts, incorporés au langage, par lesquels notamment on définit la réal ité et notre relation à cette réalité. Les connaissances sont enfin des pratiques sociales dans la mesure oü l'utilisation, la transmission, la diffusion, l'élaboration des connaissances comprennent nécessairement des activités non seulement cognitives, définissables dans l'abstrait, mais encore des activités très concrètes de relation, de transmission d'information, d'organisation et de gestion."3

Cette définition permet de dégager deux caractéristiques que nous développerons par la suite: le savoir ne peut être séparé d'une pratique et découle de l'expérience, il systématise dans un corpus théorisé lui permettant de reproduire une expérience particulière.

Genre

C'est donc à la lumière de cette définition du savoir que j'aborderai l'élaboration du savoir féministe ainsi que la question du genre proprement dite. Le genre est un concept qui décrit une réalité socialement construite. Il importe donc de cerner la construction de cette notion et de voir quelles en sont la portée et les limites. Dans le cas qui nous occupe, il est important de montrer que le passage de la notion "Femmes et développement" à la notion "Genre et développement" nécessite un véritable processus de déconstruction/ reconstruction de la manière de penser le développement en général, le rTMle des femmes dans ce développement en particulier. Dans ce domaine, j'ai pu faire certains constats et dégager des pistes d'analyse et de solutions.

Les premiers constats que j'ai pu faire sont d'ordre conceptuel: le genre est un concept, une notion, qui a été en quelque sorte ÇinventéeÈ et qui contient intrinsèquement les germes nécessaires à sa critique. Si j'en avais déjà eu l'intuition, la notion de "momentum concept" de John Hoffmann4 m'a aidée à clarifier ce caractère dynamique du genre. Car si le sexe est objectivement définissable (du moins en tant que caractéristique biologique), le genre lui ne l'est pas. En tant que construction sociale, le genre est le fruit d'un certain point de vue. Lorsqu'on parle des rTMles, des comportements ou attitudes typiquement liés à un sexe, qu'il soit masculin ou féminin, il s'agit déjà de données construites qu'il nous faut déconstruire afin de pouvoir repartir sur des bases nouvelles. Ce processus a pour objectif final, dans le

1 Terme de jargon du milieu du développement, littéralement "apprentissage de leçon", utilisé pour désigner le fait d'utiliser les expériences pour améliorer les pratiques, via un processus de "recherche-développement". Durant mon expérience au sein de VOICE, j'ai pu constater que le "lessons

learning" était une des pierres d'achoppement majeures da ns le travail des ONG et des Institutions du développement. Emportées dans l'urgence et la nécessité de réussir leurs projets, elles en perdent souvent de vue qu'il "faut s'arrêter et se retourner" de temps en temps.

2 ERALY Alain, Sociologie de la connaissance, syllabus, ULB, Bruxelles, 1992-93

3 idem, p. 5

4 HOFFMAN John: Gender and Sovereignty, Feminisme, the State and International Relations, Palgrave, New York, 2001.

chef de nombre de féministes, de mettre fin à une organisation patriarcale du monde. Nous tenterons également de définir ce qu'est un monde patriarcal et démontrer en quoi cette organisation rend difficile l'intégration du genre dans la coopération au développement. Dans le travail de déconstruction/ reconstruction, certains concepts doivent impérativement être déconstruits pour faire place à une nouvelle forme de pensée.

Le second constat, d'ordre plus pratique et général, tient en quelques mots: depuis que le genre a commencé, à petits pas, à être intégré dans la coopération au développement, le chemin parcouru n'est pas négligeable mais le chemin à parcourir est encore long. On peut se demander en effet si, après des années d'efforts pour féminiser le développement, les femmes du Sud en ont réellement bénéficié et si les institutions du patriarcat ont réellement été affaiblies. Malheureusement, on doit se rendre à l'évidence: les politiques et pratiques des agences de développement, nationales et internationales, qui ont intégré le FED/GED5 doivent encore être critiquées. Il ne suffisait pas de "add women and stir"6 comme l'ont cru certain(e)s, pour que les politiques de développement aient de réels impacts positifs sur la population féminine et sur les relations entre hommes et femmes.

Cette question de la constitution du savoir, et ensuite de son utilisation, nous ramène également au deuxième problème que nous avons pu relever, à savoir la question du pouvoir.

Pouvoir

Le pouvoir est quelque chose de complexe, c'est une toile aux multiples fils. Dans son Histoire du Savoir, Michel Foucault donne une définition relationnelle du pouvoir. Celui-ci est constitué de la multiplicité des rapports de force mouvants. De plus,

le pouvoir ne se possède pas, il n'est pas quelque chose qui s'acquiert, s'arrache ou se partage, quelque chose qu'on garde ou qu'on laisse échapper; le pouvoir s'exerce à partir

de

points innombrables, et dans le jeu de relations inégalitaires et mobiles." 7

Comme le savoir se transmettrait par le biais des relations sociales, le pouvoir s'exerce donc à partir de points innombrables, et c'est le socle mouvant des rapports de force qui induisent sans cesse, par leur inégalité, des états de pouvoir, locaux et instables. C'est-à-dire qu'il n'y a pas un "état-major" du pouvoir, mais que celui -ci traverse l'ensemble du corps social. Cependant poursuit Foucault, il n'y a pas de pouvoir sans intentionnalité. C'est l'ensemble de ces intentions et objectifs qui, en s'encha»nant les unes aux autres, s'appelant et se propageant, trouvant ainsi ailleurs leur appui et leur condition, forment finalement des dispositifs d'ensemble, sortes de grandes stratégies anonymes.8 Si comme nous le verrons dans le chapitre II, le savoir du développement a permis la mise en Ïuvre d'un "dispositif de développement", cela ne serait

5 J'utiliserai au cours de ce travail les traductions francaises, peu usitées, de FED (femmes et développement) et GED (genre et développement) plutôt que les abréviations anglaises de Women in Development (WID), Women and Development (WAD) et Gender and Development (GAD). A propos du FED (Femmes et développement) une nuance peut être apportée entre "femmes dans le développement" (FDD) et "femmes et développement" (FED), nuance qui est soulignée dans certains ouvrages théoriques en anglais et qui montre le passage évolutif de "l'intégration" des femmes au développement vers l'étude des relations entre femmes et développement. Ce choix du francais se fait néanmoins un peu à contre-courant puisque dans le monde des ONG, oil l'anglais est la langue véhiculaire, les abréviations WID et GAD sont largement entrée dans la vocabulaire courant alors que leurs traductions françaises le sont moins.

6 "Ajouter des femmes et secouer": beaucoup de féministes ont critiqué le fait que dans de nombreux cas, les agences de développement ne faisaient qu'ajouter le terme "femmes" (ou "genre") dans leurs programmes pour se donner bonne conscience mais qu'en réalité, peu de modifications étaient apportées et que les programmes avaient les mêmes effets désastreux sur les femmes.

7 FOUCAULT Michel, Histoire de la sexualité, la volonté de savoir, Gallimard, Coll. Tel, Paris, 1976, p. 123.

8 FOUCAULT Michel, Histoire de la sexualité. La volonté de savoir, Gallimard, Coll. Tel, Paris, 1976, pp. 121-127.

donc pas le résultat d'une grande manipulation, mais plutôt celui de la convergence de plusieurs facteurs et notamment d'une volonté et d'une nécessité de contrôler les populations pour les gérer. Mais cette volonté se cache, anonymement, derrière une nécessité absolue, justifiée par un savoir.

Ce "dispositif" qui se met en place, instrumentalisation du savoir, rappelle ainsi ce qu'Eraly appelle idéologie. Pour lui l'idéologie est une construction signifiante socialement transmi ssible assurant une fonction de legitimation. La légitimation prend pour lui deux sens. Dans le premier, le pouvoir est justifié, dans le deuxième il est dissimulé. La légitimation désigne dans ce deuxième cas le fait d'un pouvoir qui engendre ou entretient les conditions de sa méconnaissance. C'est donc un processus qui a pour effet d'attribuer la contrainte sociale à une construction abstraite ou de la subsumer sous des lois biologiques.9

Mais, souligne Foucault, il n'y a pas de pouvoir sans résistance et, tout comme il existe une multiplicité de points de pouvoir, existent une multiplicité de points de résistance. Ceux -ci sont "l'irréductible vis-à-vis" des relations de pouvoir et forment également un "épais tissu qui traverse les appareils et les institutions, sans se localiser exactement en eux, traversant les stratifications et les unités individuelles". Ce binôme "pouvoir -résistance" est utile afin de comprendre la situation des ONG qui sont à la fois partie de ce dispositif et résistance à celui-ci. Leurs discours, actions et relations (notamment avec leurs "partenaires du Sud") sont inscrits dans cette "double contrainte" qui font des ONG des partenaires du pouvoir mais également des agents de changement. C'est donc à partir de cette double perspective que nous analyserons d'une part le développement en général, l'intégration du genre dans le développement en particulier. Ce clivage nous sera également très utile lors de l'analyse de cas.

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille