4 - Quel avenir pour l'art contemporain en Afrique
après l'exposition Africa Remix ?
A. Africa Remix, et après ? La vision du commissaire
général
En juin 2008, une conférence intitulée «
Après Africa Remix ? » s'est déroulée au
Musée du quai Branly, au salon de lecture Jacques Kerchache, à
l'initiative de Bernard Müller101. Simon Njami était
invité à livrer ses réflexions sur l'après
Africa Remix. Nous allons ici résumer son intervention, ce qui
va permettre d'opérer une synthése de sa pensée face
à l'art contemporain africain et offrir une perspective à
Africa Remix.
Lors de son allocution, Simon Njami porte une critique assez
farouche aux Magiciens de la terre, en partant du postulat d'Hegel
selon lequel « L'Afrique n'a pas accédé à son
histoire » et qui correspondrait à la vision « Magiciens
». Cette exposition « assez globalisante »
selon lui, (dont Jean-Hubert Martin disait ne pas avoir trouvé de
commissaires hors-Europe qui partageaient ses goûts et qui auraient pu la
coorganiser avec lui) aurait conduit à une attitude
hégémonique, à un « universalisme européen des
lumières qui porterait la civilisation aux autres peuples ». Il est
intéressant de voir comme tous les points de repéres quant
à la définition de l'art contemporain africain partent des
Magiciens de la terre, et comme cette exposition semble servir de
noeud critique d'oü émergeraient toutes les réflexions
depuis quelques années. Simon Njami se sert ensuite d'anecdotes
personnelles pour évoquer la difficulté d'être africain
(« Je ne danse pas très bien, je ne parle pas trop mal donc pour le
plus grand nombre, je ne peux pas être africain »). Il évoque
le cinéma « calebasse », la dichotomie entre ce que vous
êtes et ce que vous montrez, et critique la vision d'André Magnin
pour lequel « si un artiste africain a fait les Beaux-Arts, il n'est pas
africain. » Il développe ensuite sa pensée en expliquant que
les « spécialistes de la spécialité » excluent
de l'Afrique tout de go le Maghreb, certains médiums comme la
vidéo, et certains artistes qui comme Marlène Dumas ou Kendell
Geers sont des africains blancs. C'est aprés avoir critiqué un
certain nombre de points de vue qu'il
101 Bernard Müller est chercheur indépendant,
docteur en anthropologie, et rattaché au Centre « Genèse et
transformation des mondes sociaux », à l'École des hautes
études en sciences sociales, où il est chargé de
conférences. Il conçoit par ailleurs des évènements
artistiques internationaux accompagnés de programmes de recherche. Il a
été également chargé de l'organisation de la
rencontre avec Wole Solinka lors du débat «Postcolonial
Studies» du colloque Africa Remix avec lequel il a
collaboré pendant de nombreuses années.
défend Africa Remix, exposition qui essayait
de définir l'Afrique, comme une « illusion lyrique au-delà
de l'histoire et de la géographie » et dont « l'unité
objective provenait de la colonisation et non pas d'une unité
endogéne ». Dans ce contexte, l'artiste africain est un être
hybride, dans l'obligation de se réinventer en permanence, et c'est
« dans cette hybridité que se niche l'acte créateur ».
Les meilleurs artistes africains, selon lui, se plongent dans leur
identité, dans « la somme des particularismes » comme le
disait Aimé Cézaire. Africa Remix a donc oeuvré
pour que l'Occident reconnaisse ces individualités, ces artistes
capables de rassembler leurs identités pour en forger une expression
universelle et tout à la fois singulière. Elle constitue une
étape dans une longue marche débutée avec la Revue
Noire, et qui consiste selon lui, à développer la critique
et non pas l'exotisme. Il expose ensuite sa vision de ce qui pourra lui
succéder : « l'art contemporain africain est mal perçu en
Afrique, et il faut que les africains en donnent une définition
endogène » (nous verrons par la suite l'importance de ce terme dans
son discours), « qu'ils saisissent leur parole et lui donne du pouvoir
pour combattre la tendance européenne qui est de faire exister seulement
ce dont on a conscience ». Les artistes africains ne doivent pas non plus
tomber dans l'écueil du mimétisme, du « vin de palme light
», qui priverait leur expression des qualités majeures de leurs
oeuvres. L'art contemporain est, selon Simon Njami, très ennuyeux en
Occident car il est uniquement lié au marché, alors que les
artistes africains, à cause des contextes politiques, économique,
religieux difficiles dans lesquels ils évoluent sont plus graves. C'est
cette lourdeur de l'acte de créer qui donne de l'épaisseur
à tout ce qui se passe dans les pays africains. En Occident, (il cite
Pierre Restany) « L'art s'est coupé de sa force tellurique, il
s'est coupé de la vie ». L'inquiétude se porte maintenant
sur les politiques africains en matière d'art et de culture, et c'est ce
que nous verrons dans la dernière partie de ce mémoire.
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