C. Réponse des commissaires
Simon Njami, Marie-Laure Bernadac et Jean-Hubert Martin ont
tout trois répondu aux critiques de Maureen Murphy dans
Gradhiva. On se demande d'ailleurs comment dans le même
numéro, le texte critique de l'historienne et la réponse des
commissaires aient pu être rassemblés aussi rapidement.
L'historienne leur a-t-elle adressé directement son texte pour qu'ils
puissent y répondre derechef ? Bref, Simon Njami répond en six
points précis. Il se déclare tout d'abord « perplexe de la
manière manichéenne dont elle a perçu le projet ». Il
revient ensuite sur la scénographie en s'excusant auprès des
artistes « dont les oeuvres n'ont eu droit qu'à un couloir »
et il ne lui conteste pas le fait que les oeuvres manquaient d'espace, ce qui
est également notre principale critique sur cette exposition.
Deuxièmement, concernant la sélection des oeuvres qui ne seraient
pas inédites, hormis celle de Cheikh Diallo, Njami rétorque que
plus de vingt oeuvres ont été spécialement
créées pour Africa Remix.
Troisièmement, il revient sur ce qu'elle nomme «
l'imaginaire développé à la fin du
XXème siècle autour de l'Afrique » en
expliquant que « cette exposition est une somme, des réflexions
que j'ai entamé il y a plus de quinze ans sur le sens de la
contemporanéité en
100 Maureen Murphy, « Africa Remix, l'art contemporain d'un
continent, Centre Georges Pompidou, Paris », in Parachute, para-para-020,
article en ligne :
http://www.parachute.ca/para_para/20/para20_Murphy.html?src=http://www.parachute.ca/public/+100/120.ht
Afrique » et de rajouter : « Je crois la
connaître de l'intérieur comme de l'extérieur et avoir
passé plus de temps avec les artistes africains qu'elle n'en aura jamais
l'occasion ». Quatrièmement, concernant le rapprochement qu'elle
fait entre Africa Remix et les Magiciens de la terre, et en
avançant qu'il est difficile d'exposer côte à côte
des artistes vivant en Afrique et d'autres nés en Occident, et
que cette juxtaposition réitère le clivage primitif / moderne, il
rétorque : « Qu'un africain qui soit né à Moscou
comme c'est le cas de l'Algérienne Zoulikha Bouabdellah semble un
problème. Or, si cela constitue un problème, c'est que
l'exposition aura au moins atteint l'un de ses objectifs. Le fait qu'une jeune
Algérienne née à Moscou côtoie un Ivoirien
âgé vivant en Côte-d'Ivoire dans une même exposition
ne postule pas de l'idée « d'une essence de l'art africain »,
bien au contraire ». Cinquièmement, concernant le soupçon
que Maureen Murphy fait peser sur Simon Njami et à son « engouement
Occidental pour un exotisme de la pauvreté » selon les mots de
Jean-Loup Amselle dans son essai L'Art de la friche, Simon Njami
conclue en disant qu'il pensait pouvoir échapper au moins à cette
critique et « Que l'on ne soit pas capable de comprendre un texte est une
chose admissible. Mais que l'on soit aveugle au point de prétendre que
l'exposition « traduit une fascination de la friche » est simplement
incompréhensible à mes yeux ».
Pour Marie-Laure Bernadac, « La manipulation des textes
est hélas un fait trop courant dans la presse pour être
relevée, mais lorsque cette pratique va de pair avec un contresens
majeur sur les enjeux d'un projet artistique, il est alors nécessaire
d'intervenir ». Elle répond à Maureen Murphy sur deux
postulats avancés par cette dernière :
- On ne peut plus faire à notre époque une
exposition collective à caractère national ou
géographique, car les artistes sont aujourd'hui nomades et l'art est
au-delà des frontières.
- On ne peut pas exposer l'art africain sans tenir compte des
théories postcoloniales.
Elle juge ces arguments « un peu courts et hypocrites
», et explique qu'ils ne sont pas employés à l'égard
des autres nations et des autres continents, et qu'une exposition collective
n'est pas la mise en application d'un concept ou d'une théorie. Pour
moi, ces contre-arguments sont difficilement recevables puisque les
études postcoloniales s'appliquent au contexte particulier des
ex-colonies dont font partie tous les pays d'Afrique (et on peut
considérer que la place accordée à Stuart Hall lors du
colloque témoignait de ce souhait de tenir compte justement des
études postcoloniales) ; et deuxièmement parce que
un des objectifs de l'exposition était de créer
un cadre théorique permettant justement au public d'appréhender
au plus juste les oeuvres proposées.
Après avoir repris à peu de chose près
les éléments défensifs de Simon Njami concernant la
scénographie de l'exposition, la sélection des artistes de la
diaspora et la production d'oeuvres inédites pour l'exposition,
Marie-Laure Bernadac rappelle le succès qu'a connu cette exposition et
que « malgré ses imperfections », elle a tout de même
permis à un large public de rencontrer ces artistes africains...
Pour terminer, la réponse de Jean-Hubert Martin s'est
avérée plus courte que celles de ses deux coorganisateurs.
Certainement fatigué d'enregistrer les mêmes critiques depuis des
années sur les Magiciens de la terre, sur Partage
d'exotismes et ici sur Africa Remix, il déclare simplement
au sujet des Magiciens « qu' il n'a jamais eu la naïveté
eurocentrique de croire qu'elle pourrait (cette exposition) inspirer
et insuffler une nouvelle dynamique en Occident », que « si ce genre
d'idées a eu cours dans les années 1930, du temps de
Georges-Henri Rivière, elles me semblent bien révolues ».
Concernant notre sujet d'étude et plus précisément le
champ lexical employé par l'historienne, il répond que «
Cette manifestation était annoncée comme une exposition d'art
contemporain, un genre suffisamment connu pour qu'il soit superflu de
l'affubler de la palissade d' « anhistorique ». Il termine son
exposé en affirmant : « J'attends toujours qu'on m'explique ce que
serait une exposition contextualisée. Serait-ce de mettre quelques
photos d'environnement et des textes « scientifiques » à
côté des oeuvres ? De même que les expositions ne peuvent
susciter un contexte, elles ne visent pas forcement à donner une vision
homogène d'une réalité. Elles peuvent au contraire vouloir
mettre en valeur l'hétérogénéité de
certaines pratiques artistiques sur le continent africain. C'est pourquoi tous
les organisateurs d'Africa Remix n'ont eu de cesse d'insister dans
leurs textes sur leur défiance vis-à-vis de toute «
idée d'essence de l'art africain ».
Au travers de ces échanges et de ces débats
acharnés, émergent et se cristallisent tous les enjeux que
sous-tend une telle exposition. Ils mêlent à la fois la
personnalité complexe et duale des commissaires d'expositions, les
susceptibilités scientifiques où chacun connaît mieux que
l'autre l'histoire de cet art contemporain africain qui est toujours en train
de s'écrire et de muter, et la culpabilité peut-être d'un
pays qui n'a effectivement
pas intégré les recherches scientifiques
anglo-saxonnes pour pouvoir opérer un réel recul sur l'art
contemporain de ses anciennes colonies. Nous pouvons constater tout de
même que les commissaires ont reconnu, au-delà de ces conflits,
les principales faiblesses de l'exposition : la promiscuité des oeuvres
et la dichotomie entre un fort désir de créer un cadre
théorique et de laisser à la fois le plus de place possible
à un éclectisme temporel et géographique dans
l`exposition. De même que pour Check List Luanda Pop à la
dernière biennale de Venise, Simon Njami n'a-t-il pas trouvé une
parade incroyable à toutes les attaques en déclarant : « Je
ne sais pas ce qu'est l'Afrique, expliquez-moi ce qu'est l'Afrique ! » ?
Il adopte une définition très ouverte de l'art contemporain
Africain, ce qui le dégage d'un certain nombre de responsabilités
face à l'organisation de ces expositions.
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