B. Réception critique de l'exposition
Dans l'ensemble, Africa Remix a été
adulée par la critique française et internationale. Son
envergure, sa pluridisciplinarité, sa construction et son
itinéraire en font une exposition unique. « Des expositions sur
l'art contemporain africain, à cette échelle, ne se produisent
que tous les dix ans dans le monde. Les opportunités de voir des oeuvres
africaines en Afrique sont encore moins communes. De telles expositions ne
viennent pas sur le continent alors qu'il s'agit de nos artistes »
déclarait Clive Kellner à l'occasion de son ouverture à
Johannesburg. « Africa Remix, Enfin un panorama de l'art actuel d'un
continent que le monde ignore mais qui n'ignore rien du reste du monde
»90 titrait Philippe Dagen dans Le Monde du 4 juin
2005, « Quatre-vingt artistes du grand continent montrent leurs oeuvres
à Paris. Au coeur d'un monde brutal, tous ont fui l'exotisme pour faire
vivre le spectacle de la réalité avec ses ombres et ses
lumières »91, s'exclamait Béatrice Conte dans
Le Figaro du 18 juin 2005 ou encore pouvait-on lire : « L'Afrique
à show. Mondialisme, spectaculaire mais disparate : l'exposition
Africa Remix fait escale à Beaubourg pour un aperçu de
l'art contemporain sur le continent africain »92 dans un
article d'Elisabeth Leibovici. A l'étranger, les critiques sont aussi
assez unanimes. Le Time titrait par exemple « Africa's Art
and Soul » et plus loin « The largest show of contemporary
African artists ever seen in Europe »93 dans un article de
février 2005, alors que le journal belge De Tijd intitulait un
article du 22 juin 2005 « Afrika zonder grenzen »94.
Certains chroniqueurs soulevaient tout de même les problématiques
que nous avons citées comme Florence Alexis, qui dans un article du
Monde95 déclarait « Pour tous se pose la
question de l'identité. Mais ce débat n'est intéressant
que si nous n'essayons pas de parler à leur place. La France a la
mauvaise habitude de dire aux gens ce qu'ils sont ou ce qu'ils ne sont pas.
» Mais dans l'ensemble les critiques étaient plutôt
favorables, saluant la richesse de l'exposition et « sa vitalité
qui s'empare sans complexes de l'art avec parfois arrogance et
90 Philippe Dagen, « Hassan Musa, ou la confusion
des mondes », in Le Monde 2, 4 juin 2005, supplément au
Monde n°18774 du samedi 4 juin 2005.
91 Béatrice Comte, « Dernières
nouvelles d'Afrique », in Le Figaro Magazine, 18 juin 2005.
92 Elisabeth Leibovici, « L'Afrique à show
», in Libération, 31 mai 2005.
93 Maryann Bird, « Africa's art and soul »,
« La plus grande exposition sur les artistes africains contemporains
jamais vus en Europe » in Time, 22 février 2005.
94 Pieter Van Bogaert, « Afrika zonder grenzen
», « Afrique sans frontières », in De Tidjd, 22
juin 2005.
95 Citation de la commissaire d'exposition Florence
Alexis dans un article de Martine Valo, « L'Art Africain à l'heure
du siècle », in Le Monde 2 du 18 juin 2006, p.40.
défi »96. Du côté des
artistes, certaines positions extrémistes comme celle de Romuald
Hazoumé attaquent l'exposition avec virulence. « Je trouve que
c'est l'expo la plus nulle de toutes les expos qui aient existé [...]
C'est tellement ridicule aujourd'hui de se limiter à cette expo, qui,
pour moi, a été seulement une expo d'opportunistes,
d'arrivistes97. » Soly Cissé, lors d'un entretien que
j'ai mené avec lui à Dakar déclarait, après avoir
défendu l'exposition, que : « Il était nécessaire que
cette exposition ait lieu ... mais il faut que ce soit la dernière : on
arrive à terme de ces visions européennes sur l'art contemporain
africain, il y a trop d'hypocrisie de la part de l'intelligentsia africaine qui
défend tout et son contraire...».
Des spécialistes comme Maureen Murphy98 ont
aussi pris des positions très tranchées quant à cette
exposition. Nous allons ainsi analyser ses critiques qui nous semblent
rassembler les principales attaques dont l'exposition a souffert, puis observer
de quelle manière les commissaires d'Africa Remix y ont
répondu.
Dans un article paru dans la revue du Musée du quai
Branly Gradhiva99, l'historienne assène de fortes
critiques à l'exposition et à ses commissaires :
- Elle lui reproche tout d'abord son rapprochement avec «
l'imaginaire développé à la fin du
XIXème siècle autour de l'Afrique » et son
emprunt à « l` approche primitiviste et anthropologique, un temps
réservée aux arts traditionnels de l'Afrique ». Selon elle,
cette vision exotique ne diffère pas de celle de Jean-Hubert Martin et
des Magiciens de la terre. Nous avons vu plus haut que les
commissaires d'Africa Remix avaient tenté de s'écarter
avec plus ou moins d'efficacité de cette vision et qu'ils avaient
essayé d'intégrer une certaine conception Magiciens de la
terre pour permettre à des artistes qui y avaient participé
d'être présents dans l'exposition. Deuxièmement, les
commissaires d'Africa Remix
96J.-L.P, in Madame Figaro, « L'Afrique
c'est chic », 18 juin 2005.
97 Sarah Ligner, La place des artistes
contemporains africains à travers de l'analyse de l'exposition Africa
Remix, École du Louvre mémoire d'étude, sous la
direction de Madelaine Leclerc, « Entretien avec Romuald Hazoumé
», 2006-2007, p. 119.
98 Maureen Murphy est historienne de l'art,
chargée de cours à l'École du Louvre et à
l'Université Paris X Nanterre. En 2006, elle soutient une thèse
à l'Université de Paris1 Panthéon-Sorbonne
intitulée Stratification et déplacements d'un imaginaire : les
arts d'Afrique dans les musées et les expositions, à Paris et
à New York, des années 1930 à nos jours. Elle a
travaillé au Musée du quai Branly sur l'exposition "D'un regard
l'autre". Elle est aujourd'hui chargée de mission pour les expositions
à la Cité Nationale de l'Histoire de l'Immigration et chef de
projet de l'exposition inaugurale "Les étrangers en France au temps de
l'exposition coloniale" (mai-octobre 2008).
99 Maureen Murphy, Débat « Á propos
de l'exposition Africa Remix, l'art contemporain d'un continent
», in Gradhiva n° 2, Paris, p.142-143.
semblent avoir une connaissance rigoureuse des expositions qui
l'ont précédé et peut-on remettre en question aussi
vivement leurs réflexions sur le sujet ?
- Elle critique ensuite la sélection éclectique
des artistes de « générations totalement différentes
», dont « le parcours et les conditions de travail dans leurs pays
respectifs n'ont rien à voir », ce qui ferait d'Africa Remix
un « brassage de tous les genres connus depuis les Magiciens de
la terre ». Mais faut-il catégoriser les artistes pour montrer
l'art africain ? Déjà, les trois sections choisies pour orienter
la réflexion du visiteur semblaient un peu lourdes. Fallait-il refaire
une exposition de type Africa Explores the 20th Century ou Museum
of 100 days de la Documenta XI de Kassel ? Nombre d'expositions ont
essayé d'engager une autre posture et Africa Remix a
également tenté ce pari.
- Elle avance aussi que cette «
décatégorisation » entrainerait l'avènement d'une
spécificité commune à toutes les oeuvres derriere leur
apparente diversité et viendrait « postuler l'idée d'une
essence de l'art africain ». Simon Njami renouerait ainsi avec « les
théories de la négritude institutionnalisées au
Sénégal et en France ». Si Simon Njami cite Senghor,
devrait-il faire table rase du passé et des différentes
étapes de cette histoire de l'art contemporaine africaine ? Africa
Remix semble bien loin en tout cas dans ses intentions de «
l'engouement Occidental pour un exotisme de la pauvreté » qu'elle
dénonce. En citant Wole Soyinka et sa célèbre phrase
« un tigre ne proclame pas sa négritude », Maureen Murphy ne
sait peut-être pas que le concept de tigritude s'adaptait à un
contexte précis, soit à la critique du concept de
négritude, (dans Myth, Literature and the African world
publié en 1976) et que l'auteur est d'ailleurs revenu entre temps sur
cette expression, et même lors du colloque Africa Remix auquel
il a participé. « Titillé » par Simon Njami sur cette
expression, il a mesuré ses propos avec humour en disant que depuis, les
choses avaient évoluées. En outre, cette exposition ne
défendait pas à tout prix ce concept de négritude mais en
empruntait seulement certaines références. Le souhait initial
était de mener une réflexion autour d'une appartenance à
un continent, à une culture, mais en élargissant les contours de
cette réflexion grâce aux notions de diaspora et de
syncrétisme. - Nous rejoindrons par contre Maureen Murphy dans ses
critiques proférées à l'encontre du choix
scénographique. « Une scénographie de la cacophonie »,
qui est due comme nous l'avons vu à des restrictions d'espace et
à une sélection des artistes faite de compromis et d'engagements
qu'il était ensuite difficile de décliner, sous peine de
décevoir fortement certains artistes qui avaient été
sélectionnés sur dossier...
Dans un autre article paru dans Parachute100, elle
reprend les mêmes arguments et utilise le même champ lexical :
anhistorique, cacophonie, exotisme de la pauvreté... mais elle va plus
loin dans son analyse en attribuant les défaillances de l'exposition
à un « non-dit, « ce péché » lourdement
imprégné de culpabilité que représente la
colonisation ». Africa Remix serait donc une exposition
anhistorique, cacophonique, victime de ses fantasmes postcoloniaux et corrompue
par sa propre culpabilité envers le colonialisme, tous ces
défauts exacerbés par la présence de son
mécène, Total, qui viendrait alourdir « l'expression de la
fascination de la France pour ses anciennes colonies ». Comment les
commissaires ont réagi à ces critiques : tout simplement dans une
lettre ouverte publiée également dans Gradhiva à
la suite de l'article de Maureen Murphy et de la façon suivante...
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