B. Vers la construction d'un « noyau endogène
» africain. L'apport des Cultural et Postcolonial Studies
Nous retiendrons dans le discours de Simon Njami ce vocable
« noyau endogène » qui nous semble approprié à
ce que nous souhaitons décrire. Endogène signifie qui a son
origine à l'intérieur (d'un pays, d'une collectivité),
c'est-à-dire que sans se couper du reste du monde, il est important pour
les artistes africains de définir eux-mêmes ce qu'ils sont et ce
vers quoi ils souhaitent se tourner. La construction de cette identité
nouvelle après la colonisation a nourri de nombreuses études et
s'accompagne d'une réflexion rigoureuse sur des réalités
d'ordre économique, sociale et politique. C'est un débat ancien
qui a d'ailleurs été abordé lors du colloque Africa
Remix sous la forme « Les Postcolonial Studies en question »
avec l'intervention de Stuart Hall102. Le thème du
postcolonialisme fait partie ou a fait parti de la construction de ce noyau.
Issu des recherches menées sur la littérature indienne
d'expression anglaise, il est lié à l'émergence et
l'affirmation de nouvelles identités dans les ex-pays colonisés.
L'histoire de ces pays ; longtemps considérés comme des
territoires en marge, en périphérie d'une tutelle colonisatrice
qui impose sa langue, et de ce fait sa culture ; nous invite à repenser
le rôle prééminent qu'a joué l'Europe dans le
concept de modernité en se l'appropriant. Cette modernité, qui
n'appartenait jusqu'alors qu'au vieux continent, se voit remise en question par
les études postcoloniales afin de construire une histoire universelle
par la critique des relations entre culture, pouvoir et identité
culturelle. Ces études ont donc permis de repenser la notion de
modernité et le rapport entre l'Afrique et l'Europe. Il est vrai que la
construction de ce noyau endogène semble bien plus avancée dans
la culture anglo-saxonne qu'en France, et l'interaction de l'art contemporain
et de ces recherches transparait dans les expositions proposées par des
commissaires anglo-saxons. On pense alors à Trades, routes history
and geography, à la biennale de Johannesburg qui comme la Documenta
XI de Kassel, (expositions organisées toutes deux par Okwui Enwezor)
abordait les questions de la métamorphose des cultures et de la
création d'une nouvelle identité hybride mais endogène.
Lors du colloque Africa Remix organisé au Centre Pompidou en
2005, Stuart Hall, interrogé par Mark Alizart au sujet de la
méconnaissance des postcolonial studies par
les penseurs français déclarait : « C'est
des lors aux penseurs appartenant à des cultures colonisées que
revient l'analyse d'un tel processus de l'oubli. C'est grace à leur
travail sur l'altérité et l'identité que la construction
de la différence permet de constituer une pensée de l'interstice
qui, articulant la mémoire d'un passé et le présent de
l'histoire, l'origine et le déplacement, vient (r)établir
l'importance des représentations de l'ethnicité, de la race, de
la classe et du genre » 103. C'est certainement de cet
interstice que peut émerger ce noyau endogène, capable de
stimuler et de dynamiser la création en Afrique et de donner ainsi une
meilleure visibilité aux artistes africains sur le continent, puis en
Occident. Une visibilité plus juste entre altérité et
identité. « Aucun de nous n'est en marge de la culture universelle.
Elle existe, elle est là et elle peut nous enrichir. Elle peut aussi
nous perdre » disait Aimé Césaire. Quelles sont aujourd'hui
les solutions concretes qui permettraient aux artistes africains d'être
et de rayonner dans leur entièreté, dans leur complexité
et avec leurs propres critères ?
Dans un entretien accordé à la chaîne TV5
Monde à l'occasion du passage d'Africa Remix à
Johannesburg, Barthélémy Toguo énonce ce que sont pour lui
les solutions pour la création africaine. « S'il y avait des
structures, s'il y avait des lieux - vitrine sur le continent qui portent le
travail de ceux qui sont restés à l'étranger, par la
diffusion, par des expositions itinérantes, là on pourrait
arriver à équilibrer ou à éviter cette immigration
vers l'Occident. Moi personnellement, j'ai créé un centre d'art
qui va être fonctionnel dans les années à venir qui sera
déjà une vitrine pour montrer aussi le travail des artistes du
continent et du monde à partir de l'Afrique, que ça soit
l'Afrique devienne aussi une scene, au même titre que Berlin , New York,
Paris, ou Londres. Que ces villes ne soient pas que les seules plaques de
visibilité de l'art contemporain. Il faut que les Africains
eux-mêmes ne capitulent pas. Il faut que nous-mêmes on puissions
créer des partenariats entre le Sénégal et le Bénin
, le Bénin et le Cameroun , des centres d'art et puis chercher des
partenariats aussi à l'extérieur de l'Afrique pour montrer aussi
notre travail. Il y a de très bonnes choses mais est-ce que nos
états, est-ce que nos politiques en Afrique réalisent ? Il faut
que cette exposition à Johannesburg (Africa Remix) puisse aussi
être un exemple qui va aider d'autres pays à pouvoir mettre en
place des structures pour accueillir des expositions d'art contemporain.
»
Dans la dernière partie de ce mémoire, nous
allons donc dresser un bref historique de l'histoire des institutions
artistiques en Afrique104 puis voir quelles sont les structures
majeures qui existent sur le continent avant d'évoquer les projets qui
pourraient dynamiser la création africaine sur le continent.
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