II.3. De la puissance potentielle à la puissance
réelle
A l'heure actuelle, la RDC dispose de beaucoup
d'atouts qui lui permettraient d'occuper très vite une place de choix
dans le concert des nations tant au niveau continental que mondial.
· La dignité et la maturité d'un
peuple qui a réussi le pari de tenir dans le calme, l'ordre et la
discipline les élections que d'aucuns qualifiaient d'élections de
tous les dangers, et de se choisir ses dirigeants54 ;
· Le fonctionnement effectif des institutions
issues des élections démocratiques (présidence de la
République, sénat, assemblée
54 CENCO, « &EFngeons nos F urs. » in
Appel à un engagement réel pour la reconstruction,
Kinshasa, 09 février 2008, P.6
nationale et assemblées provinciales,
gouvernement central et gouvernements provinciaux), constitue un cadre
général juridique et administratif de référence
pour une gestion responsable du pays ;
· La présence des ressources humaines de
grande qualité qui n'attendent que d'être mises à
contribution ;
· Les ressources naturelles d'une valeur
insoupçonnée qui justifie le qualificatif de « scandale
géologique » (ressources minières, forestières,
hydriques, énergétiques...) ;
· L'intérêt de plus en plus
manifeste dont jouit le pays à l'heure actuelle sur le plan
international. Pour s'en convaincre, il suffirait de voir le nombre de missions
de haut niveau venues non seulement présenter leurs civilités aux
institutions qui ont été élues, mais aussi exprimer leur
volonté de coopérer avec la RD Congo. L'on assiste depuis
l'avènement de la 3èmeRépublique à des
visites ininterrompues des investisseurs à la recherche de partenaires
en RD Congo.
Ainsi nous pouvons nous demander, comment un pays qui
a à sa portée autant d'atouts puisse rencontrer sur son chemin
les obstacles qui l'empêcheraient d'assumer pleinement ses
responsabilités à l'égard de ses habitants, des pays
voisins, des ensembles sous régionaux dont il est membre, du continent,
voire du monde ?
Quelques priorités incontournables sont
proposées à cette question comme pistes de solution : la
recherche hégémonique vise la création et la
cristallisation d'un rapport de forces relativement stable entre les
différents groupes dominants 55(...). Cette définition
a pour seul mérite de désigner le triple enjeu auquel se
réfère le processus de recherche hégémonique. Il
s'agit tout d'abord de circonscrire, idéologiquement aussi bien que
territorialement, l'espace neuf de la domination. La reconstruction de l'espace
social apparaît donc indissociable d'un
55 J.- F. BAYART, L'Etat en Afrique. La politique
du ventre, Paris, Editions Fayard, 1989, Pp.146-147.
39
deuxième enjeu : celui que représente
l'opportunité, non pas simplement de l'enrichissement mais d'une vraie
accumulation primitive consistant en la monopolisation des moyens de
production. Le rapport intime de l'État à cette évolution
indique le troisième terme de recherche hégémonique, le
plus manifeste : la détention du pouvoir politique, c'est-à-dire
de l'usage de la force légitime qui commande la « mise au travail
» des groupes subordonnés et la maîtrise de
l'économie.
Nos enquêtes sur le terrain ont
débouché à des résultats tels que nos
enquêtés ont proposé ce qui suit : refonder la politique de
la nation ; le changement de mentalité ; la prise d'un bon sens moral
national (en estimant qu'il vaut mieux être orphelin des père et
mère, mais pas d'un pays) ; le développement au niveau interne
favorisé par l'amélioration de la qualité des institutions
(du ménage au niveau le plus haut) pour permettre un
développement économique, lequel développement doit se
fonder sur l'amélioration de l'agriculture pour permettre à la
population de se suffire en aliments et en exportant le surplus ; la
création d'une armée forte et bien formée pour la
défense du territoire national ; la recherche de l'intérêt
général ; création d'entreprises étatiques et
paraétatiques avec un contrôle adéquat, création des
infrastructures (écoles, routes, hôpitaux...) pouvant permettre le
désenclavement des villages les plus lointains et la formation sur la
bonne gouvernance ; veiller à l'égalité des chances et
à la dignité pour tous les congolais ; poursuivre des tractations
pour que le pays recouvre rapidement sa souveraineté vis-à-vis
des voisins régionaux et de la communauté internationale dans le
délai le meilleur possible ; que les parlementaires s'acquittent
convenablement de leurs missions premières, à veiller au
fonctionnement normal de l'État ; que les jeunes ne cèdent pas au
désespoir qui les expose à toute sorte de manipulations, qu'ils
saisissent toute occasion pour s'investir de toutes leurs forces et
intelligence dans les travaux collectifs de développement en devenant
créateurs d'emplois au lieu de demeurer éternellement demandeurs
d'emploi...
Nous avons pu distinguer ces propositions et le situer
sur chaque plan traité.
Au plan géostratégique, la RDC doit
chercher à être un espace relais dans la défense des
intérêts convergents avec ceux de l'occident en Afrique. Elle doit
chercher à être un État leader sur la scène
africaine en cherchant à devenir le centre de rayonnement pour toute
l'Afrique.
Au plan politique, la nécessité d'un
leadership plus visionnaire et dynamique, à tous les niveaux et dans
tous les secteurs, capable d'anticiper sur les événements, de
garantir l'unité du peuple congolais, d'assurer son développement
harmonieux est l'une des priorités pour incarner le rêve d'un
Congo fort au coeur de l'Afrique.
L'exigence de la probité morale est
indispensable, en particulier pour la classe dirigeante, et la lutte contre la
corruption et l'impunité sous toutes ses formes ainsi que la
constitution d'une société civile responsable et bien
organisée, capable d'influer sur les acteurs étatiques en vue de
l'émergence d'un changement qualitatif au niveau des structures et des
institutions de l'État sont autant des visées qui ne peuvent
jamais être écartées pour un pays qui se voudrait puissant.
Et d'ailleurs, cette dernière pourra contribuer à la
consolidation de la démocratie, à l'amélioration de la
gouvernance dans tous ses aspects politique, économique, social,
culturel et à la défense des droits des citoyens. La RDC doit
s'efforcer de jouer un rôle de médiation dans la résolution
des conflits africains. Une telle ambition n'est envisageable que si elle est
politiquement stable grace à des institutions issues des urnes,
économiquement prospères et militairement puissantes, et donc
cette recherche de contrôle calqué sur les autres États
africains se fera par la quête d'une bonne gouvernance
démocratique et la nécessité d'une armée nationale
forte. Sur cette dimension politique, la fortune est l'attribut du vrai chef,
parfois parce que l'on espère qu'elle le dissuadera d'abuser de sa
charge.
41
Au plan économique et financier, la
reconstruction d'un État viable au Congo passe par la mise sur pied
d'une économie tout aussi viable56. Il n'est pas superflu de
rappeler que le destin de la RDC consiste, sur le plan interne, à
exploiter ses ressources naturelles et toutes ses potentialités dans le
but d'oeuvrer pour le mieux-être des populations. Au plan
sous-régional, régional et continental, il est de son devoir de
jouer seule et de concert avec les autres États, le rôle qui lui
revient.
L'insistance actuelle pour l'adoption d'une
stratégie globale de lutte contre la corruption, de transparence dans la
passation des marchés publics, de publication d'un code de bonne
conduite des agents et fonctionnaires de l'État sont là des
nouvelles conditionnalités destinées à barrer la route au
néo-patrimonialisme et au clientélisme qui ont longtemps
gangrené l'État congolais.
L'exigence de la mise en oeuvre rapide d'un programme
économique et social prenant en compte les besoins de la population :
adduction et distribution de l'eau potable, alimentation en énergie
électrique, assurance en soins de santé, encadrement de la
jeunesse, politique claire d'orientation scolaire, création des emplois,
paiement des salaires dignes, construction des infrastructures
routières, ferroviaires, aéroportuaires...constituent
également un point de repère qui puisse relever le secteur
économique longtemps resté taraudé. Les innombrables
péripéties connues par le pays depuis le début des
années 90 sont tout simplement l'expression d'un phénomène
majeur dans son histoire. Ce qui se passe en réalité
actuellement, depuis la mise en place des institutions de la « transition
» en 2003, c'est que le pays est en train péniblement et de
manière descente de vivre sa refondation.
Germain NGOIE TSHIBAMBE57 a envisagé
quelques priorités économiques que la RDC doit se fixer dans sa
politique africaine en proposant trois zones concentriques A, B et C (voir
annexe n°II). La zone concentrique A est dite de haute sensibilité
stratégique. Elle est celle qui regroupe les
56 S. MARYSSE et F. REYNTJENS, L'Afrique des
grands lacs, Par1Y GiIIIWIII + mIP mttmprri, nS.i1I316.
57 G. NGOIE TSHIBAMBE, Op. Cit., P.2.
États frontaliers de la RDC. Dans cette zone,
les priorités consistent pour la RDC à s'engager dans une
coopération fructueuse et responsable avec les différents pays de
cette aire en revitalisant des accords de coopération bilatérale
pour relancer des échanges frontaliers. A cet effet, il serait mieux
pour la RDC de constituer des commissions mixtes avec chacun des pays
limitrophes pour le règlement, la facilitation et l'encadrement des
échanges sur le plan économique. Et dans les zones concentriques
B et C, il s'agit de la promotion de la coopération bi-et
multilatérale entre la RDC et ses partenaires extérieurs. La zone
B est la zone de rayonnement constituée du Soudan, Éthiopie,
Somalie, Malawi, Mozambique, Zimbabwe, Namibie, Botswana, Gabon, Cameroun et le
Nigeria alors que la zone C est composée de l'Afrique lointaine
constituée du reste des pays. Toutefois cependant, la RDC doit
éviter, dans ses relations bilatérales ou multilatérales,
d'être conduite dans une dépendance réelle, à une
aliénation vis-à-vis de l'État donateur. Tel fut (ou est
encore) le cas entre les ex-colonies et leurs anciennes
métropoles.
Sur le plan militaire et technologique, il est urgent
que soit créée une armée républicaine avec comme
mission principale de garantir la stabilité du pays car
l'intégrité territoriale et la souveraineté nationale ne
sont pas négociables58. La tenue des états
généraux de l'armée et la possession des bases militaires
s'avèrent aussi indispensables car la stabilité du pays en
dépend. La possession des bases militaires implique la libre disposition
de terrains, d'installations militaires, de facilités en matière
de stationnement et de circulation des forces armées, le droit de survol
aérien et d'escale dans les aéroports, c'est-à-dire autant
de limitations à la souveraineté de l'État59.
La RDC doit se présenter comme un État pouvant secourir
militairement des régimes alliés qui rencontrent des
difficultés de déstabilisation et éviter que le territoire
d'un pays
58 CENCO, Op. Cit., P.37.
59 J. BARREA, Théories des relations
internationales. De l' « idéalisme à la grande
stratégie », Bruxelles, Erasme, 2002, P.90.
43
limitrophe ne s'offre comme un sanctuaire aux
opposants pour le déstabiliser.
Pour échapper au dilemme de
sécurité, la puissance doit être moins concurrentielle. En
termes clairs, GRIECO estime que les États peuvent maximiser leur
puissance et leur sécurité, en coopération et non en
compétition avec les autres États60. L'usage de la
force n'est pas considéré comme une façon légitime
pour un État de réaliser des gains sur la scène
internationale. Le concept de puissance, dans son sens militaire, deviendra
caduc, conclut John Mueller. En outre, dans un contexte où
prédominent les conflits intra étatiques, la guerre sera
causée davantage par la faiblesse que par la puissance des États,
dit DELMAS61.
Dans un aspect culturel, il s'agit donc
désormais de bien prendre conscience que l'époque coloniale et
celle de la dictature appartiennent désormais et définitivement
au passé, de convertir les mentalités en profondeur, de combattre
la nostalgie du passé et de former la mentalité des gens à
des ambitions nouvelles. Car, il ne s'agit ni de rafistoler ce qui s'est
lentement dévitalisé ou a parfois été
détruit dans des poussées de violence, ni même de
reconstruire à nouveau et de manière identique ce qui existait
à la fin des années 50.
D'entrée de jeu, il s'agit d'écarter une
objection erronée : l'incapacité des congolais ! Il n'y a pas de
problème de déficit de capacité même s'il y a bien
sür çà et là des preuves manifestes
d'incompétence, mais la compétence est quelque chose qu'il est
possible d'acquérir.
L'éducation aux valeurs civiques et
républicaines, pour un changement réel de mentalité,
devrait être une préoccupation majeure au sein de la nation
congolaise. L'État doit y apporter un appui déterminant en
matière financière, logistique et thématique. Cette
éducation porterait sur les connaissances élémentaires des
institutions républicaines, sur l'initiation aux droits et devoirs des
citoyens, aux valeurs qui les sous-tendent parmi lesquelles la cohabitation
pacifique, la tolérance, la convivialité, la
60 Ch.-Philippe DAVID, Op. Cit., P.4.
61 Ibidem.
complémentarité, la capacité de
prévenir ou de gérer les conflits, la justice, la
réconciliation, l'esprit d'initiative et le sens du bien commun. Les
medias doivent particulièrement être interpellés pour
véhiculer ces valeurs car ils modifient ou éclairent sur la
manière d'organiser la société et sur ses enjeux
politiques.
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