2.3.2- Les interférences comportementales :
Un locuteur peut maîtriser parfaitement les structures
grammaticales d'une langue, mais tant qu'il est émergé dans le
vouloir-dire de la langue in esse, il reste sujet à des
interférences, résultant des différences du vouloir-dire
dans les deux langues. Même à un niveau avancé où
les élèves assimilent avec succès les
particularités sémantico-syntaxiques du français, ils
éprouvent des difficultés à intégrer dans leur
énonciation des éléments qui sont uniques au génie
et vouloirdire du français, à savoir les interjections, les
phrases-tiroirs, les expressions idiomatiques... Ils « demeurent
profondément ou en partie immergés dans les comportements de la
langue in esse »37 , ce qui entraine l'émergence
des interférences constantes de la langue in esse. Pour exister
véritablement dans une langue, il est essentiel de s'approprier un
comportement linguistique conforme au génie de la langue.
Maîtriser les formes linguistiques n'est qu'une
composante, déficitaire par
37 S. Bajriæ, 2009, p. 63
définition, ne permet pas au locuteur non confirme
d'être, d'exister dans la langue qu'il apprend. Elle ne lui apporte pas
les éléments hybrides, déconnectés de la
réalité sociale et inadaptés aux comportements
linguistiques.38
1- Le tutoiement et le vouvoiement39 :
Le passage du tutoiement au vouvoiement est un
phénomène sociolinguistique qui marque la nature des relations
que les locuteurs entretiennent entre eux. Le choix du pronom d'adresse
reflète les normes sociales inscrites dans la langue correspondante et
dépend des variables qui sont parfois opaques au locuteur non
confirmé, telles que l'âge, la formalité de la situation et
la distance sociale. L'absence du vouvoiement dans certaines situations de
communications (les personnes que l'on rencontre pour la première fois,
le supérieur hiérarchique) peut être ressenti comme une
agression ou un manque de respect. Les règles du tutoiement et
vouvoiement dépendent des différences régionales, l'usage
du tutoiement est plus répandu, un phénomène largement
influencé par le vouloir-dire de la langue anglaise.
Le mauvais choix du pronom d'adresse chez les
élèves anglophones est le résultat d'une
interférence comportementale. En effet, les règles du tutoiement
et vouvoiement procèdent d'un comportement linguistique dans la langue
anglaise, et par le biais d'une traduction mentale, les locuteurs anglophones
emploient le tutoiement dans des situations de communication qui exigent le
vouvoiement.
*Madame, tu as corrigé mon test ? *Madame, tu peux
répéter ?
38 Ibid, p. 62
39Exemple repris tell qu'il est d'un rapport de stage
: L'enseignement et l'apprentissage du français a l'école
« American Community School '> d'Abou Dahbi.
Présenté par Layla Ben Barka ; Sous la direction de M. Samir
Bajriæ
Dans ces exemples, l'influence de la langue in esse est forte
dans la mesure où il est plus naturel pour les locuteurs anglophones
d'employer la troisième personne du singulier pour s'adresser à
leur interlocuteur et peu importe le rapport qu'ils entretiennent avec la
personne adressée. Chez les locuteurs anglophones, le pronom « you
>> est perçu comme l'équivalent de « tu >>, donc
il n'est pas étonnant que le locuteur anglophone trouve des
difficultés majeures dans le choix du bon pronom d'adresse dans les
échanges exolingues. La problématique qui se présente
à l'enseignant est comment enseigner pendant des heures de cours
très limitées, cet aspect sociolinguistique qui implique
plusieurs années de socialisation chez le locuteur francophone.
Même quand les locuteurs reçoivent une
instruction explicite de la différence importante entre le tutoiement et
le vouvoiement en français, ils demeurent profondément
influencés par le comportement linguistique de leurs langues in esse. Ce
type de faute relève plutôt de la performance que de la
compétence parce que les locuteurs sont en mesure de corriger leurs
fautes, qui apparaissent d'une manière non systématique. Nous
pouvons évoquer ici la fatalité du monolinguisme quand les
locuteurs retournent en arrière à cause des facteurs
psychologiques, ce qui freine le cycle d'apprentissage.
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