2.2- Distinction faute/erreur :
En didactique des langues étrangères, les fautes
correspondent à « des erreurs de type (lapsus)
inattention/fatigue que l'apprenant peut corriger (oubli des marques
29 S. Bajriæ, 2009, p. 138
de pluriel, alors que le mécanisme est
maîtrisé) >30 Il est donc possible de dire que,
dans notre quotidien, les concepts d'erreur et de faute ne sont pas
suffisamment distincts l'un de l'autre, et les enseignants ont souvent tendance
à les confondre.
Les fautes constituent une réalité
inévitable dans le processus de tout apprentissage. Le
phénomène de commettre des fautes continue de susciter
l'intérêt des linguistes et didacticiens. Le dictionnaire Larousse
définit la faute comme << Manquement à une norme,
à un principe, à une procédure>. La faute
manifeste un écart, une déviation de la norme et peut
entraîner des conséquences coûteuses sur le plan scolaire,
professionnel et social. L'enseignement d'une langue fondé sur le
conditionnement s'engage dans une approche qui ne laisse aucune place à
la faute. A travers la procédure stimuls/réponse/
renforcement, l'apprenant est inscrit dans la réussite
résultant d'une progression qui atomise les difficultés et
où la faute n'existe pas. D'autre part, dans l'approche communicative,
la faute est considérée comme une étape transitoire dans
l'apprentissage et représente des constructions momentanées de
l'apprenant. Les études contrastives essaient de poser un traitement
spécifique à la faute qui est vue comme un point d'appui de
l'apprentissage. Comprendre pourquoi et quand les fautes se manifestent est ce
qui doit intéresser tout enseignant et didacticien.
Frei31a révolutionné la
conception de la faute en proposant une cohérence des
énoncés considérés étant fautive par rapport
à la norme. Selon Frei, les fautes relèvent de la
phénoménologie du langage, pourvues de règles et de lois
identifiables. Les locuteurs confirmés qui prennent des libertés
par rapport à la langue restent des locuteurs confirmés parce
qu'ils ne s'écartent pas de ce qui est acceptable et attesté par
le groupe linguistique auquel ils appartiennent. Guillaume affirme que <<
la langue est en ensemble de choses qui sont permises dans le
discours. >32. Le locuteur confirmé domine la langue
qualitativement et
30 Marquilló Larruy, 2003p,120
31 S. Bajriæ, 2009, p. 140-141
32 Cité dans S. Bajriæ, 2009, p. 106
quantitativement, il a donc plus de choix linguistiques qu'un
locuteur qui ne maîtrise pas la langue.
Le locuteur non confirmé ne commet pas les mêmes
types de fautes que le locuteur confirmé. Le locuteur non
confirmé commet des fautes à cause de sa maîtrise
déficitaire du système linguistique. Ses fautes procèdent
de la compétence dans le sens Chomskyen. Le locuteur non confirmé
ne peut corriger ses erreurs étant donné qu'il n'est pas capable
de repérer le dysfonctionnement qui est le résultat de la
grammaire intériorisée de sa langue in esse. En revanche, il peut
corriger ses fautes qui sont dues à des facteurs psychologiques comme la
fatigue, le chagrin et l'inhibition.
« L'erreur n'est pas seulement l'effet de
l'ignorance, de l'incertitude, du hasard (...), mais l'effet d'une connaissance
antérieure qui avait son intérêt, ses succès, mais
qui, maintenant, se révèle fausse, ou simplement
inadaptée. »33
Dans l'apprentissage de langues, l'erreur est forcément
présente et transitoire. La diminution des erreurs est le signe d'une
meilleure maîtrise du domaine de connaissances. Etant donnée
l'omniprésence de l'erreur dans l'apprentissage, il est essentiel
d'analyser la place qu'elle occupe dans la didactique des langues.
Jusque-là, en pédagogie, l'erreur était
généralement considérée de façon
négative. Souvent assimilée à une "faute", cette
dernière devait nécessairement être sanctionnée pour
disparaître.
La distinction entre faute et erreur est étroitement
liée à la dichotomie chomskyenne compétence/performance.
Selon Chomsky, la compétence renvoie au système des
règles intériorisées par le sujet parlant, grâce
auquel il est capable de comprendre ou d'énoncer un nombre infini de
phrases inédites. La performance est
33 G. Brousseau, cité dans la revue Echanger,
avril 1994
la manifestation de la compétence du sujet parlant dans
son acte de parole. L'erreur est donc intégrée au système
grammatical de l'apprenant et relève d'une maîtrise
déficitaire des règles de fonctionnement. La faute est
associée à la performance indépendante du niveau de
compétence et elle est souvent non répétitive et
autocorrective. Certaines situations provoquent davantage l'émergence
des erreurs et des interférences compte tenu des convergences qui
existent entre le vouloir dire de la langue in esse et la langue à
apprendre. D'autres situations de communication entraînent
l'émergence des fautes qui sont parfois dues au phénomène
de la surgénéralisation.
Les erreurs et les fautes sont inévitables durant
l'apprentissage et dans l'emploi d'une langue. Personne ne pourrait dire qu'il
parle parfaitement une langue. Le locuteur adulte est plus conscient de
l'erreur et il est souvent terrorisé par la peur d'en commettre, ce qui
freine son apprentissage. Force est de constater que les élèves
de langue prennent moins de risques à s'exprimer en classe car ils ne
veulent pas commettre d'erreurs. Dans une classe de langue, « le
filtre affectif »34 devrait être bas, c'est-à-dire, que
les enseignants doivent veiller à créer une atmosphère
« conviviale > afin de minimiser l'inhibition des
élèves en les encourageant de s'exprimer sans courir le risque
d'être puni chaque fois qu'ils commettent des erreurs.
Il faut attribuer aux fautes un statut de lieu de travail.
Toutefois, l'enseignant ne doit pas corriger toutes les fautes
systématiquement. Il faut recourir à une correction
discrète et favoriser l'expression sur la correction, sans laisser les
erreurs se fixer car cela risque d'engendrer le phénomène de
fossilisation chez l'apprenant. Les enseignants doivent engager les apprenants
dans un processus d'autocorrection à travers une réflexion sur
les raisons pour lesquelles ils
34Concept évoqué par Krashen dans
«the affective filter hypothesis» pour designer la barrière
psychologique qui empêche l'élève d'acquérir une
langue à partir de l'information présentée. Le filtre
inhibe l'apprentissage
commettent des erreurs. S'agit-il d'une règle qui n'est
pas encore maîtrisé ou d'interférences des langues acquises
ou apprises antérieurement?
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