1.2.2.2. Profil de la pauvreté dans la ville de
Kinshasa
1.2.2.2.1. La perception de la pauvreté à
Kinshasa
Françis LELO et Claudine TSHIMANGA font
échos de la perception que les Kinois se font de la
pauvreté93. Les Kinois vivent dans la pauvreté, mais
refusent de reconnaître cette réalité, n'acceptent pas
qu'on leur colle l'étiquette de »pauvres». Dans le langage
kinois ce qualificatif correspond à une injure. Ils
préfèrent encore et tolèrent le qualificatif de
»précarité» parce que, pour eux, il existe une
différence entre »être pauvre» et »être en
manque». Pour les kinois, le pauvre « est celui qui se retrouve par
terre et sans capacité ni espoir de se relever ». C'est un
misérable, un incapable, un malheureux, un raté de la
société, un irrécupérable. Les personnes du
troisième âge, les personnes vivant avec gros handicap ou celles
âgées malades qui vivent dans la précarité
généralisée, abandonnées à elles mêmes
et qui n'ont pas un grand champ de manoeuvre pour sortir de cette situation,
sont celles qui peuvent être classées parmi les pauvres. Les
Kinois se considèrent donc comme des démunis momentanés,
étant donné que du jour au lendemain, ils peuvent connaître
un revirement de situation pour passer de la situation de
précarité à celle de nanti. Ainsi l'adage kinois en
lingala qui dit «mwana mobali basekaka ye te» ou encore l'expression
«chance eloko pamba»94 prennent tout leur sens. Cet adage
et cette expression traduisent fidèlement l'espoir dont vivent les
kinois, l'aspiration à un lendemain meilleur malgré la
précarité présente.
1.2.2.2.2. L'incidence de la pauvreté à
Kinshasa
C'est en 2005, renseigne le PNUD95, qu'on a
une première estimation de la pauvreté monétaire en
RDC. Si l'incidence de la pauvreté nationale est estimée à
71,3%96 en
93 Françis LELO NZUZI et Claudine TSHIMANGA,
op. cit., p. 53
94 `'Mwana mobali basekaka ye te» peut se
traduire littéralement par `'on ne se moque jamais d'un homme»,
tandis que `'chance eloko pamba» peut se comprendre par `'tout (la
réussite, le bonheur, le bien-être) dépend de la
chance». Par un coup de chance, un homme (ou une femme) vivant dans une
situation de précarité peut du jour au lendemain se retrouver du
côté des nantis.
95 PNUD-Unité de lutte contre la
pauvreté, op.cit., p. 6
RDC, elle varie de 41,6% à 93,6% selon les
provinces. La comparaison géographique montre que la province de
Kinshasa est la plus épargnée par la pauvreté (voir
graphique 1) en RDC. En effet l'incidence de la pauvreté y est de 41,6%.
La province de l'Equateur est la plus touchée par la pauvreté,
avec l'incidence de 93,6%. Par ailleurs, comme elle représente 10,7% de
la population nationale, cette province concentre finalement 6,1% des pauvres
congolais.
L'incidence de la pauvreté à Kinshasa
semble, d'après les données du PNUD97
déterminée par l'importance de la part des ménages
informels qu'ils soient agricoles ou non (44,0%), la taille moyenne des
ménages et l'importance de la part des ménages dirigés par
les femmes, ainsi que le niveau d'instruction du chef de
ménage.
En effet, plus la taille du ménage est faible,
moins celui-ci est exposé à la pauvreté et vice versa.
Dans la province de Kinshasa, la taille moyenne des ménages pauvres est
de 7,3 alors que celle des non pauvres s'élève à 5,0. A
Kinshasa, la pauvreté est plus répandue dans les ménages
dirigés par les femmes (45,7%) que pour les
ménages dirigés par les hommes
(40,7%).
Quant au niveau d'instruction il apparaît que
plus le niveau d'instruction du chef de ménage est élevé,
plus le ménage a plus de chance d'échapper à la
pauvreté. Ainsi, l'incidence de la pauvreté s'élève
à 76,2% chez les ménages dont le chef a atteint au plus le niveau
primaire pour décroitre progressivement vers 36,8% chez les
ménages dont le chef est de niveau universitaire.
96 Une incidence de la pauvreté de 71,3% veut
dire que 71,3% de la population sont des pauvres.
97 PNUD-Unité de lutte contre la
pauvreté, op. cit., p. 7
39 Graphique 1
Source : Enquête 1-2-3, DSCRP
1.2.2.2.3. La consommation
Les données sur la consommation des
ménages98 indiquent que les dépenses globales par
tête par an sont évaluées à 315$ à Kinshasa
avec une prédominance des dépenses alimentaires
représentant 48,8% contre 62,9% pour l'ensemble de la RDC. Il y a
cependant une nette disparité des dépenses, comme le montre le
tableau 1, entre pauvres et non pauvres à Kinshasa. Les non pauvres qui
ont des revenus conséquents font environ 3 fois plus de dépenses
que les ménages pauvres dont la dépense moyenne
s'élève à 161$/tête. Celle-ci est largement
dominée par l'alimentation qui représente 58,1% de la
consommation totale.
Tableau 1
La consommation des ménages
|
|
Kinshasa
|
RDC
|
Dépense par tête par an
|
315$
|
175$
|
· Pauvre
|
161$
|
102$
|
· Non pauvres
|
487$
|
347$
|
Part des dépenses alimentaires
|
48,8%
|
62,9%
|
· Pauvres
|
58,1%
|
67,2%
|
· Non pauvres
|
45,3%
|
60,0%
|
|
Part du quartile le plus pauvre
|
13,0%
|
11,0%
|
Part du quartile le plus riche
|
41,7%
|
46,3%
|
Indice de Gini
|
0,38
|
0,40
|
Source : Enquête 1-2-3, calculs du PNUD-Unité de
lutte contre la pauvreté.
Ces écarts montrent qu'il y a une
inégalité à Kinshasa, comme le confirme l'indice
de Gini qui s'élève à 0,38 et surtout la comparaison de
la part de consommation des ménages du quartile le plus pauvre dans
la consommation à celle du quartile le plus
98 PNUD-Unité de lutte contre la
pauvreté, op cit
riche (voir tableau 1). La part du quartile le plus
pauvre représente 13,0% de la consommation totale à Kinshasa
alors celle du quartile le plus riche se situe à 41,7% de la
consommation de totale de Kinshasa.
1.2.2.2.4. L'emploi
Le taux d'activité de Kinshasa est faible par
rapport à la moyenne nationale : 42,3% contre 60,2%99. Ceci
s'explique entre autres par une plus faible insertion des enfants sur le
marché du travail. En effet, le taux d'activité des enfants de 10
à 14 ans y est de 1,8% contre 9% pour la RDC. Le travail des enfants est
donc moins problématique à Kinshasa que dans les autres provinces
de la RDC. A l'image des grandes capitales africaines, le chômage est
nettement plus élevé à Kinshasa (15,0%) qu'au niveau
national (3,7%). Il touche plus particulièrement les jeunes de 15
à 24 ans (29,5%).
Parmi les actifs occupés, près d'un
tiers gagnent moins du SMIG (1 USD par jour) en 2005 et près du quart
travaillent involontairement moins de 35h par semaine. Ainsi, le
phénomène de sous-sous-emploi est répandu à
Kinshasa puisqu'il touche 53,1% des actifs occupés. A ceci s'ajoutent le
faible taux de salarisation (35%) et l'importance du secteur informel
(70,7%).
1.2.2.2.5. Le secteur informel
Le secteur informel est le principal pourvoyeur
d'emplois à Kinshasa. En effet, comme toutes les capitales des pays en
développement, le marché du travail kinois est dominé par
le secteur informel notamment le secteur informel non agricole. Ce dernier
fournit 65,6% des emplois suivi de loin par l'administration publique (11,9%),
le secteur privé formel (8,8%), l'agriculture (5,2% actifs
occupés) et enfin les entreprises publiques (5,0%).
La province de Kinshasa compte 875.500 unités
de production informelle (UPI), employant près de 1 million de
personnes. Ce chiffre montre l'importance économique des
activités informelles pour la population de la capitale. D'ailleurs,
89,5% du revenu des ménages kinois est tiré du secteur informel.
Si les UPI se concentrent dans les secteurs notamment commerciaux, les
activités de type industriel jouent un rôle non
négligeable. Ces dernières représentent près de
14,0% des UPI.
Le secteur informel joue un rôle positif au sens
où il fait partie des stratégies de survie des ménages en
période de crise. Mais la multiplication des unités de production
informelles dans un contexte de stagnation économique se traduit
également par une précarisation croissante des emplois
créés.
99 Tous ces chiffres sont tirés du Rapport du
PNUD-Unité de lutte contre la pauvreté, op. cit.
41 1.2.2.2.6. Le revenu d'activitéLe revenu
d'activité moyen par actif est faible à Kinshasa : 45$ par actif
par mois.
Néanmoins, il est largement supérieur au
revenu moyen des actifs sur l'ensemble de la RDC (22$).
Ce niveau de revenu varie selon le secteur
institutionnel, on observe le revenu le plus faible chez les actifs agricoles
(27$). Ils sont suivis par les actifs du secteur informel non agricole (34$) et
les fonctionnaires de l'administration publique (34$), montrant la
précarité de leurs conditions de vie. Enfin, les revenus les plus
élevés se retrouvent dans le secteur privé formel (63$),
dans les associations (75$) et enfin dans les entreprises publiques
(106$).
En clair, à Kinshasa, les revenus les plus
faibles sont observés non seulement chez les actifs du secteur informel
(agricole et non agricole) mais également dans l'administration
publique.
Toutefois, il est important de souligner que ces
fonctionnaires sont pourtant parmi les actifs ayant le plus haut niveau
d'étude réussie (13 années) et l'ancienneté dans
l'emploi le plus élevé (14 ans) à Kinshasa. Cette faible
rémunération ne permet pas aux fonctionnaires de s'affranchir de
la pauvreté mais elle peut également conduire à une
dégradation de la qualité du service public.
Finalement, si on agrège l'ensemble des revenus
d'activités des ménages, on obtient un revenu moyen par
ménages de 84$ dans la province de Kinshasa (contre 42$ sur l'ensemble
de la RDC). Comme le marché du travail est dominé par le secteur
informel (agricole ou non), il s'ensuit que 89,5% du revenu des ménages
de cette province sont issus de ce secteur, 6,1% proviennent du secteur public
et enfin la contribution du secteur privé formel est réduite
à 4,4% du revenu total des ménages.
Enfin, la pauvreté dans laquelle vivent les
ménages kinois est une situation structurelle et non conjoncturelle due
essentiellement à la faiblesse du revenu d'activité. Ceci rejoint
d'ailleurs, la perception des kinois de leurs conditions : plus de 80% pensent
que le manque de travail apparait comme la principale cause de la
pauvreté. Cette situation de dénuement est relativement profonde
puisque selon les ménages, ils arrivent juste à satisfaire leurs
besoins essentiels (40,0%) ou bien sont obligés de s'endetter
(40,8%).
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