CONCLUSION
« Aujourd'hui à part des textes il n'y a rien,
les problèmes des paysans restent entier » déclaration du
secrétaire général du SEXAGON
L'hypothèse centrale était juste : la CNOP a
bénéficié d'un fort soutien politique au moment de
l'élaboration de la LOA. Par contre, lors de la mise en oeuvre, elle
n'était plus présente, ce qui a entrainé « le retour
» d'acteurs qui avaient été mis de côté au
moment de l'élaboration (fonctionnaires et APCAM).
Les évolutions du soutien politique à la CNOP au
moment de l'élaboration puis à la mise en oeuvre coïncident
avec les 2 temps électifs du chef de l'État.
Lors de son 1er mandat (2002-2007), élu sans
parti, Amadou Toumani TOURE (ATT) avait la confiance de la population, des
acteurs sociétaux et politiques. Il était celui qui avait ouvert
la voie à la démocratisation, après les
évènements de 1991. L'agriculture est déclarée
« moteur de l'économie » dont la LOA serait «
l'instrument fédérateur. Elle constitue le socle de la politique
générale de développement agricole pour l'horizon 2025
»
La Cellule Infrastructure et Filières Agropastorales
(CIFA), composée de fonctionnaires convaincus, pour qui la LOA devait
être écrite par les paysans jusqu'alors «
méprisés », sera la cheville ouvrière, le « bras
armé » d'ATT pour l'élaboration de la LOA. Cela c'est
traduit par une délégation des concertations aux paysans via la
CNOP, 4000 paysans y ont participé. Les fonctionnaires qui d'habitude
« écrivaient les lois dans les bureaux » et l' APCAM
jugée non représentative du monde paysan, ont suivi à
contre coeur, ce nouveau processus où « ils ne seraient pas les
maitres du jeu », malgré de nombreux débats menés en
interne.
Composée de 7 Titres, 33 chapitres, 200 articles la LOA a
été votée à l'Assemblée nationale le 16
aoüt 2006 à l'unanimité et « applaudie par tout le
monde ». « C'est vraiment en l'état que le projet de loi est
sorti comme le voulait les producteurs » et le Président de la
République.
Si les « sans voix » étaient pris en
considération et défendaient leurs idées dans la rue ou
dans les institutions : refus des OGM par le Conseil des ministres en 2004, LOA
en 2006, APE toujours pas signés, le contexte général lui
s'est dégradé, comme développé dans la partie A].
Les maigres recettes fiscales et la corruption ne permettent pas au Mali
d'être souverain dans sa gestion, aggravant l'endettement du pays. La
décentralisation s'enlise, la gestion foncière n'a toujours pas
de règles claires, les conflits fonciers se multiplient, l'exode rural
et la pauvreté s'accentuent. C'est dans ce contexte « explosif
» que se profilent les prochaines élections présidentielles,
en juin 2007.
Au moment de son 2ème mandat (2007-2012), 35
partis se sont ralliés à ATT, réélu à 71%,
en négociant chacun une part de pouvoir. Un nouveau gouvernement ne sera
nommé qu'en octobre 2007 distribuant des postes au gré des
complaisances politiques et/ou personnelles. Il y aura même un
remaniement ministériel en 2008.
La réorganisation des services, le départ ou la
mutation de fonctionnaires -comme ceux impliqués dans la CIFA, qui est
dissoute et remplacé par un Secrétariat Permanent « sans
pouvoir, ni moyen » - font que la mise en oeuvre de la LOA «
piétine ». Il y a une fragmentation du pouvoir. Les acteurs
écartés au moment de l'élaboration s'empressent de
reprendre leurs prérogatives, défendant chacun leur
pré-carré. A l'APCAM est nommé un nouveau Président
qui a appelé à voter ATT. Il a de multiples
responsabilités dans la filière coton, et est pro-OGM semant la
discorde dans le monde paysan. Les instances de gouvernance prévues dans
la LOA ont du mal à se mettre en place : le 1er Comité
Exécutif National n'aura lieu qu'en mars 2008 suivi un mois après
du 1er CSA. Les Comités Exécutifs Régionaux ne
sont toujours pas en place.
Les préoccupations paysannes, sécurisation
foncière et exploitations Agricoles familiales sont
délaissées au profit de quelques investisseurs surtout
extérieurs, à qui l'État, propriétaire de
« droit », loue des milliers d'hectare avec des baux
emphytéotiques de 50 ans renouvelables une fois, tandis que les
élites nationales jonglent avec « les papiers magiques » pour
acquérir des terrains.77
Les politiques maliennes, et spécifiquement celles
liées à la LOA, sont supplantées par des programmes tels
que le Cadre Stratégique de Croissance pour la Réduction de la
Pauvreté, le Projet de Développement Économique et Social,
qui permettent à ATT de marquer son passage en lançant de grands
chantiers dont certains seront inaugurés pour fêter le
Cinquantenaire des Indépendances. Ce qui est paradoxal car voulant
profiter de ces mannes monétaires, le Mali se retrouve de plus en plus
sous la coupe des « partenaires techniques et financiers ».
L'intégration régionale pourrait être une
réponse porteuse d'espoir d'une construction collective africaine en
encourageant chaque pays à se reposer la question quelle agriculture
développer et pour qui ? La conclusion finale de la Conférence
« Afrique 21 » estime que « Le réveil africain est en
cours. .il doit s'appuyer notamment sur le développement de
l'agriculture vivrière, l'Afrique ne doit plus importer »[ 78 :
l'occasion de mettre réellement en adéquation les textes qui
prônent la souveraineté alimentaire et la priorité aux
exploitations Agricoles familiales et les choix faits sur le terrain, surtout
au niveau de la gestion des terres étatiques.
Au moment de la mise en oeuvre, n'ayant plus de soutien politique
fort, limitée par ses moyens humains et financiers, la CNOP est
très fragilisée. Cette jeune coordination est née de la
volonté de fédérer l'AOPP - fortement structurée
sur le terrain- et les autres organisations paysannes maliennes. C'est un
« cerveau » qui devient «le seul cadre autonome de
représentation des OP du Mali, pour édifier un mouvement paysan
crédible, porteur d'une vision paysanne basée sur la promotion
socio-économique durable des exploitations agricoles familiales à
travers une agriculture paysanne et la souveraineté alimentaire
».
77 Voir annexe 11
78 Conférence « Afrique 21 : les nouveaux
défis pour l'Afrique », Cameroun, du 17 au 19 mai 2010,
Cette construction qui était facilement gérable et
s'est avérée efficace au moment de l'élaboration
s'avère ébranlée, « artificielle » au moment de
la mise en oeuvre. Les liens avec les régions, la base qui
s'étaient tissés lors des concertations se sont effilochés
d'autant plus que la mise en oeuvre tarde à démarrer. Trois ans
plus tard seuls 5 décrets sont sortis sur les 74 textes prévus et
ils ne satisfont pas les paysan-ne-s certains dans l'écriture
(interprofession) d'autres car ils ne sont toujours opérationnels
(commissions foncières)!
L'entrisme de nouveaux élus avec des visions
différentes sur l'agriculture décrédibilise et
déstabilise la CNOP. Ces dissensions profitent aux fonctionnaires,
à l'APCAM, et au-delà, au chef de l'État qui n'a plus
qu'une « seule voix représentative » en face à lui.
L'adage « diviser pour mieux régner » illustre cette
situation, confirmant la 2ème hypothèse : cet
affaiblissement du soutien politique après 2007 a conduit à des
formes de déstabilisation de la CNOP qui a été
fragilisé dans son fonctionnement interne.
Si la LOA a de nombreux outils pour répondre aux
aspirations paysannes, leur mise en place est problématique. Les marges
de manoeuvre sont étroites. La centralisation des décisions et
les divisions, favorisent l'individualisme et l'opportunisme dans la gestion
des textes, délaissant la cohérence et la dynamique que
l'élaboration de la LOA avait engendrées. On est passé
d'un processus de concertation et de gestion concertée à un
processus de consultation, - quand il existe!-
Les exemples autour de différents textes ont
illustré tout au long de ce mémoire les dysfonctionnements
caractérisant le déraillement du processus, passant d'un monde
d'ouverture à un monde fermé d'écriture juridique, aux
ordres des politiques, occultant tout partage de vision collective confirmant
ainsi la 3ème hypothèse : un décalage important
s'observe sur la nature du processus de concertation entre l'élaboration
et la mise en oeuvre. L'élaboration peut être considérer
comme un « véritable » processus de concertation alors que ce
n'est pas le cas à la mise en oeuvre.
Mais comment faire pour que les « préoccupations se
retrouvent dans les décrets » demandent les OP au Ministère
de l'Agriculture lors d'un atelier de concertation à l'automne 2009 ? A
qui cela profite? En tout cas pour les paysan-ne-s la mise en oeuvre de la LOA
n'est pas ce qu'ils espéraient. Leurs premiers pas avec le monde
institutionnel les marginalisent à nouveau. Leur manque
d'expérience et de moyens, -un membre de la CNOP dira même
« nous sommes out »- sont aussi des facteurs qui ont
entravé leur investissement et efficacité dans cette phase, alors
que la CNOP avait réussi à mobiliser et à être
crédible lors de l'élaboration, mais elle était alors
soutenue par la CIFA et le chef de l'État.
Aujourd'hui, la segmentation des pouvoirs, la confusion qui
règne dans l'écriture des textes, le manque de lignes directrices
laissent la porte ouverte à de nouveaux élus et aux acteurs qui
avaient été écartés -peut-être avaient-ils
été remis alors dans leur juste fonction?- . Cette
déstabilisation et décrébilisation, est-ce un
1er pas pour récupérer la CNOP? Des
élections
chambre d'Agriculture auront lieu en 2012, les « manoeuvres
» auraient-elles déjà commencé comme nous avons
essayé de le montrer?
Des acteurs gouvernementaux ou paysans, surtout ceux qui
s'étaient investis dans la phase d'élaboration, estiment «
qu'on est en train de noyer le bébé ». Ils ont envi
d'avancer « de faire un pont au bout de 3 ans ». Mais sans
volonté politique forte la situation risque peu d'aboutir à moins
de reprendre sa place en instaurant un rapport de force comme le
préconise leader paysan sénégalais : « ATT leur avait
tout donné pour mener à bien la LOA. Ils ne bougent pas
maintenant... ils n'existent plus. »79.
Au dernier CSA de mars 2010 des membres ont dit au
Président « qu'il fallait sortir de l'immobilisme80
». Qu'en sera-t-il? Nous n'aurons pas l'occasion de l'aborder dans ce
mémoire mais la mise en oeuvre de la LOA est un défi à
relever car c'est l'avenir du monde paysan et du Mali qui sont en jeu.
En 2012 de nouvelles élections arrivent et occupent
déjà les esprits à lire la presse. ATT ayant
épuisé ses 2 mandats, qui sera le prochain président?
Quelles seront ses ambitions par rapport à la mise en oeuvre de la LOA.?
Les dispositions finales (TITRE VII) offrent des possibilités de revenir
sur les lois, seront-elles utilisées? Le Président de la
Fédération Nationale des Jeunes Ruraux est en tout cas encore
prêt à se battre:
« Il faut aussi que la CNOP reprenne toute sa place ...
C'est à nous d'aller au SP, aux Ministres, nous devons aller forcer les
portes, nous devons être là où l'État n'est pas
performant. A nous de réfléchir et avoir la capacité
à travailler sur les projets avant et quand les projets sont
votés comment les diffuser ? »
79 Même si la remarque peut-être juste, au
Sénégal sur lequel la LOA malienne et la CNOP se sont
appuyées, la CNCR est aussi mise à mal par le président
Wade, qui est entrain de favoriser l'émergence d'un syndicat « plus
aux ordres ~ et d'évincer la CNCR. La LOASP n'est toujours pas mise en
oeuvre alors qu'elle date de 2004.
80 Voir annexe 12
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