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Stratégie des acteurs lors de l'élaboration et de la mise en oeuvre de la Loi d'Orientation Agricole (LOA ) au Mali

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par Chantal Jacovetti
Supagro Montpellier institut des régions chaudes - Master acteur de développement rural 2010
  

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CONCLUSION

« Aujourd'hui à part des textes il n'y a rien, les problèmes des paysans restent entier » déclaration du secrétaire général du SEXAGON

L'hypothèse centrale était juste : la CNOP a bénéficié d'un fort soutien politique au moment de l'élaboration de la LOA. Par contre, lors de la mise en oeuvre, elle n'était plus présente, ce qui a entrainé « le retour » d'acteurs qui avaient été mis de côté au moment de l'élaboration (fonctionnaires et APCAM).

Les évolutions du soutien politique à la CNOP au moment de l'élaboration puis à la mise en oeuvre coïncident avec les 2 temps électifs du chef de l'État.

Lors de son 1er mandat (2002-2007), élu sans parti, Amadou Toumani TOURE (ATT) avait la confiance de la population, des acteurs sociétaux et politiques. Il était celui qui avait ouvert la voie à la démocratisation, après les évènements de 1991. L'agriculture est déclarée « moteur de l'économie » dont la LOA serait « l'instrument fédérateur. Elle constitue le socle de la politique générale de développement agricole pour l'horizon 2025 »

La Cellule Infrastructure et Filières Agropastorales (CIFA), composée de fonctionnaires convaincus, pour qui la LOA devait être écrite par les paysans jusqu'alors « méprisés », sera la cheville ouvrière, le « bras armé » d'ATT pour l'élaboration de la LOA. Cela c'est traduit par une délégation des concertations aux paysans via la CNOP, 4000 paysans y ont participé. Les fonctionnaires qui d'habitude « écrivaient les lois dans les bureaux » et l' APCAM jugée non représentative du monde paysan, ont suivi à contre coeur, ce nouveau processus où « ils ne seraient pas les maitres du jeu », malgré de nombreux débats menés en interne.

Composée de 7 Titres, 33 chapitres, 200 articles la LOA a été votée à l'Assemblée nationale le 16 aoüt 2006 à l'unanimité et « applaudie par tout le monde ». « C'est vraiment en l'état que le projet de loi est sorti comme le voulait les producteurs » et le Président de la République.

Si les « sans voix » étaient pris en considération et défendaient leurs idées dans la rue ou dans les institutions : refus des OGM par le Conseil des ministres en 2004, LOA en 2006, APE toujours pas signés, le contexte général lui s'est dégradé, comme développé dans la partie A]. Les maigres recettes fiscales et la corruption ne permettent pas au Mali d'être souverain dans sa gestion, aggravant l'endettement du pays. La décentralisation s'enlise, la gestion foncière n'a toujours pas de règles claires, les conflits fonciers se multiplient, l'exode rural et la pauvreté s'accentuent. C'est dans ce contexte « explosif » que se profilent les prochaines élections présidentielles, en juin 2007.

Au moment de son 2ème mandat (2007-2012), 35 partis se sont ralliés à ATT, réélu à 71%, en négociant chacun une part de pouvoir. Un nouveau gouvernement ne sera nommé qu'en octobre 2007 distribuant des postes au gré des complaisances politiques et/ou personnelles. Il y aura même un remaniement ministériel en 2008.

La réorganisation des services, le départ ou la mutation de fonctionnaires -comme ceux impliqués dans la CIFA, qui est dissoute et remplacé par un Secrétariat Permanent « sans pouvoir, ni moyen » - font que la mise en oeuvre de la LOA « piétine ». Il y a une fragmentation du pouvoir. Les acteurs écartés au moment de l'élaboration s'empressent de reprendre leurs prérogatives, défendant chacun leur pré-carré. A l'APCAM est nommé un nouveau Président qui a appelé à voter ATT. Il a de multiples responsabilités dans la filière coton, et est pro-OGM semant la discorde dans le monde paysan. Les instances de gouvernance prévues dans la LOA ont du mal à se mettre en place : le 1er Comité Exécutif National n'aura lieu qu'en mars 2008 suivi un mois après du 1er CSA. Les Comités Exécutifs Régionaux ne sont toujours pas en place.

Les préoccupations paysannes, sécurisation foncière et exploitations Agricoles familiales sont délaissées au profit de quelques investisseurs surtout extérieurs, à qui l'État, propriétaire de

« droit », loue des milliers d'hectare avec des baux emphytéotiques de 50 ans renouvelables une fois, tandis que les élites nationales jonglent avec « les papiers magiques » pour acquérir des terrains.77

Les politiques maliennes, et spécifiquement celles liées à la LOA, sont supplantées par des programmes tels que le Cadre Stratégique de Croissance pour la Réduction de la Pauvreté, le Projet de Développement Économique et Social, qui permettent à ATT de marquer son passage en lançant de grands chantiers dont certains seront inaugurés pour fêter le Cinquantenaire des Indépendances. Ce qui est paradoxal car voulant profiter de ces mannes monétaires, le Mali se retrouve de plus en plus sous la coupe des « partenaires techniques et financiers ».

L'intégration régionale pourrait être une réponse porteuse d'espoir d'une construction collective africaine en encourageant chaque pays à se reposer la question quelle agriculture développer et pour qui ? La conclusion finale de la Conférence « Afrique 21 » estime que « Le réveil africain est en cours. .il doit s'appuyer notamment sur le développement de l'agriculture vivrière, l'Afrique ne doit plus importer »[ 78 : l'occasion de mettre réellement en adéquation les textes qui prônent la souveraineté alimentaire et la priorité aux exploitations Agricoles familiales et les choix faits sur le terrain, surtout au niveau de la gestion des terres étatiques.

Au moment de la mise en oeuvre, n'ayant plus de soutien politique fort, limitée par ses moyens humains et financiers, la CNOP est très fragilisée. Cette jeune coordination est née de la volonté de fédérer l'AOPP - fortement structurée sur le terrain- et les autres organisations paysannes maliennes. C'est un « cerveau » qui devient «le seul cadre autonome de représentation des OP du Mali, pour édifier un mouvement paysan crédible, porteur d'une vision paysanne basée sur la promotion socio-économique durable des exploitations agricoles familiales à travers une agriculture paysanne et la souveraineté alimentaire ».

77 Voir annexe 11

78 Conférence « Afrique 21 : les nouveaux défis pour l'Afrique », Cameroun, du 17 au 19 mai 2010,

Cette construction qui était facilement gérable et s'est avérée efficace au moment de l'élaboration s'avère ébranlée, « artificielle » au moment de la mise en oeuvre. Les liens avec les régions, la base qui s'étaient tissés lors des concertations se sont effilochés d'autant plus que la mise en oeuvre tarde à démarrer. Trois ans plus tard seuls 5 décrets sont sortis sur les 74 textes prévus et ils ne satisfont pas les paysan-ne-s certains dans l'écriture (interprofession) d'autres car ils ne sont toujours opérationnels (commissions foncières)!

L'entrisme de nouveaux élus avec des visions différentes sur l'agriculture décrédibilise et déstabilise la CNOP. Ces dissensions profitent aux fonctionnaires, à l'APCAM, et au-delà, au chef de l'État qui n'a plus qu'une « seule voix représentative » en face à lui. L'adage « diviser pour mieux régner » illustre cette situation, confirmant la 2ème hypothèse : cet affaiblissement du soutien politique après 2007 a conduit à des formes de déstabilisation de la CNOP qui a été fragilisé dans son fonctionnement interne.

Si la LOA a de nombreux outils pour répondre aux aspirations paysannes, leur mise en place est problématique. Les marges de manoeuvre sont étroites. La centralisation des décisions et les divisions, favorisent l'individualisme et l'opportunisme dans la gestion des textes, délaissant la cohérence et la dynamique que l'élaboration de la LOA avait engendrées. On est passé d'un processus de concertation et de gestion concertée à un processus de consultation, - quand il existe!-

Les exemples autour de différents textes ont illustré tout au long de ce mémoire les dysfonctionnements caractérisant le déraillement du processus, passant d'un monde d'ouverture à un monde fermé d'écriture juridique, aux ordres des politiques, occultant tout partage de vision collective confirmant ainsi la 3ème hypothèse : un décalage important s'observe sur la nature du processus de concertation entre l'élaboration et la mise en oeuvre. L'élaboration peut être considérer comme un « véritable » processus de concertation alors que ce n'est pas le cas à la mise en oeuvre.

Mais comment faire pour que les « préoccupations se retrouvent dans les décrets » demandent les OP au Ministère de l'Agriculture lors d'un atelier de concertation à l'automne 2009 ? A qui cela profite? En tout cas pour les paysan-ne-s la mise en oeuvre de la LOA n'est pas ce qu'ils espéraient. Leurs premiers pas avec le monde institutionnel les marginalisent à nouveau. Leur manque d'expérience et de moyens, -un membre de la CNOP dira même

« nous sommes out »- sont aussi des facteurs qui ont entravé leur investissement et efficacité dans cette phase, alors que la CNOP avait réussi à mobiliser et à être crédible lors de l'élaboration, mais elle était alors soutenue par la CIFA et le chef de l'État.

Aujourd'hui, la segmentation des pouvoirs, la confusion qui règne dans l'écriture des textes, le manque de lignes directrices laissent la porte ouverte à de nouveaux élus et aux acteurs qui avaient été écartés -peut-être avaient-ils été remis alors dans leur juste fonction?- . Cette déstabilisation et décrébilisation, est-ce un 1er pas pour récupérer la CNOP? Des élections

chambre d'Agriculture auront lieu en 2012, les « manoeuvres » auraient-elles déjà commencé comme nous avons essayé de le montrer?

Des acteurs gouvernementaux ou paysans, surtout ceux qui s'étaient investis dans la phase d'élaboration, estiment « qu'on est en train de noyer le bébé ». Ils ont envi d'avancer « de faire un pont au bout de 3 ans ». Mais sans volonté politique forte la situation risque peu d'aboutir à moins de reprendre sa place en instaurant un rapport de force comme le préconise leader paysan sénégalais : « ATT leur avait tout donné pour mener à bien la LOA. Ils ne bougent pas maintenant... ils n'existent plus. »79.

Au dernier CSA de mars 2010 des membres ont dit au Président « qu'il fallait sortir de l'immobilisme80 ». Qu'en sera-t-il? Nous n'aurons pas l'occasion de l'aborder dans ce mémoire mais la mise en oeuvre de la LOA est un défi à relever car c'est l'avenir du monde paysan et du Mali qui sont en jeu.

En 2012 de nouvelles élections arrivent et occupent déjà les esprits à lire la presse. ATT ayant épuisé ses 2 mandats, qui sera le prochain président? Quelles seront ses ambitions par rapport à la mise en oeuvre de la LOA.? Les dispositions finales (TITRE VII) offrent des possibilités de revenir sur les lois, seront-elles utilisées? Le Président de la Fédération Nationale des Jeunes Ruraux est en tout cas encore prêt à se battre:

« Il faut aussi que la CNOP reprenne toute sa place ... C'est à nous d'aller au SP, aux Ministres, nous devons aller forcer les portes, nous devons être là où l'État n'est pas performant. A nous de réfléchir et avoir la capacité à travailler sur les projets avant et quand les projets sont votés comment les diffuser ? »

79 Même si la remarque peut-être juste, au Sénégal sur lequel la LOA malienne et la CNOP se sont appuyées, la CNCR est aussi mise à mal par le président Wade, qui est entrain de favoriser l'émergence d'un syndicat « plus aux ordres ~ et d'évincer la CNCR. La LOASP n'est toujours pas mise en oeuvre alors qu'elle date de 2004.

80 Voir annexe 12

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"Le don sans la technique n'est qu'une maladie"