2) Le bagage de l'apprenti art-thérapeute pourrait
comprendre de nouveaux impératifs pour prétendre à suivre
la formation.
Le point dont nous allons discuter maintenant ne cherche
nullement à reprocher les conditions d'admission actuelles, mais
à en proposer des supplémentaires, notamment en ce qui concerne
les connaissances générale en psychologie, ainsi que du parcours
professionnel réalisé dans des structures médicosociales
ou humanitaires.
L'art-thérapeute établit un cadre relationnel
particulier avec le patient, une relation bien différente de celle qu'on
établit entre deux membres d'une même famille, ou de deux amis.
Même si nous connaissons plus ou moins le principe de distance
professionnelle, le thérapeute qui n'a pas d'expérience
professionnelle préalable dans la gestion de cette relation, ou qui ne
dispose pas de connaissances théoriques en psychologie
générale suffisantes, peut être amené à
être intimidé par ladite relation, et commettre des maladresses
qui l'abîmeraient. Cela ne doit pas être considéré
selon l'âge de l'apprenti, car nous avons tous des parcours
différents ; un jeune apprenti tout droit sorti de l'école des
Beaux-Arts pourrait se retrouver tout aussi embarrassé qu'un
sénior qui a travaillé jusqu'à présent comme
fonctionnaire dans les bureaux d'une entreprise de création de logiciels
informatiques et qui a appris la peinture et la guitare en autodidacte.
L'exemple est bien sûr caricatural, mais il montre que l'âge et le
parcours de la personne ne sont pas toujours à mettre en
corrélation, et qu'il serait certainement profitable à tous (et
même au patient) d'avoir bénéficié d'une certaine
expérience relationnelle dans le cadre thérapeutique, ou bien de
bénéficier de cours approfondis sur le sujet durant la formation
pré-universitaire. Comprendre l'autre, ses réactions, ses
comportements, ses défenses, ses faiblesses, ses pensées, n'est
pas simple.
Cela est bien entendu à considérer comme un
questionnement, car il n'a guère fait l'objet d'une étude
empirique personnelle.
3) Le schéma de la sphère opératoire
pourrait être présenté comme un préambule à
l'assimilation du schéma de l'opération artistique.
Légende
1 = Accident spatio-temporel
2 = Rayonnement
3 = Captation sensorielle
4 = Traitement mental
5 = Élan corporel
6 = Technique
7 = Production
8 = Traitement mondain
1' = Nouvel accident spatio-temporel
Monde extérieur = Ce qui est visible par tous, hors du
cadre de l'activité artistique.
Monde intérieur = Ce qui s'opère à
l'intérieur de l'artiste.
Impression = Arrivée d'informations du monde
extérieur vers le monde intérieur.
Expression = Arrivée d'informations du monde
intérieur vers le monde extérieur.
L'opération artistique est un schéma fondamental
de l'enseignement de l'école d'artthérapie de Tours. Il nous
permet de comprendre les mécanismes mis en oeuvre dans l'activité
artistique d'un individu. Nous allons présenter ici un bref rappel de
ses composantes : La première étape de l'opération
artistique est la présence d'un accident spatio-temporel [1], c'est
autrement dit une chose hic et nunc, dont la seule
propriété qui nous intéresse est d'exister en cet instant
et ce lieu précis. Il peut s'agir de quelqu'un ou d'un objet, un son...
peu importe sa nature. Cet accident spatio-temporel va rayonner [2] dans le
monde qui l'entoure, et va parvenir jusqu'à nous, à travers notre
captation sensorielle [3], devenant ainsi l'objet de notre attention.
L'information captée par nos sens arrive jusqu'au cerveau, où
celui-ci va décrypter l'information [4], l'assimiler et/ou la
reconnaître. Le cerveau prend ensuite une décision, traduite par
un signal moteur [5]. Cet élan moteur va ensuite s'organiser d'une
façon précise et cohérente [6], de sorte à produire
le plus fidèlement possible ce qui correspond à notre idée
[7]. Une fois l'oeuvre produite, pour être reconnue en tant que telle,
elle doit être soumise au jugement d'autrui, du monde extérieur
[8]. L'oeuvre d'art ainsi reconnue peut donc prétendre à exister
en elle-même, par elle-même, et pour elle-même [1'], ce qui
caractérise l'accident
spatio-temporel qu'elle est susceptible de devenir pour
quelqu'un d'autre, l'opération pouvant se répéter ainsi
à l'infini.
Illustrons cela avec un exemple pratique : prenons la
technique de la danse (accompagnée de musique). L'accident
spatio-temporel est caractérisé par la musique qui est en train
d'être jouée. Le bruit se diffuse et parvient jusqu'aux capteurs
sensoriels du danseur, qui reconnaît le bruit en tant que musique, et qui
va lui donner envie de se mouvoir. Mais le mouvement ne sera ni hasardeux ni
chaotique, il doit répondre à un savoir-faire précis qui
permet de donner une gestuelle harmonieuse au corps du danseur. La production
se traduit alors par la chorégraphie qu'il a réalisé en
suivant la musique. La mise en place d'un spectacle de danse sera le moyen de
présenter aux autres son travail. Ainsi apprécié, cette
danse pourra très bien devenir l'accident spatio-temporel d'un autre
danseur, d'un musicien, etc.
0 = Stimulus originel
A = Traitement sensoriel
B = Traitement cognitif
C = Traitement moteur
D = Production concrète 1 = Production
identifiée
: Rayonnement sensible : Sphère individuelle
: Sphère sociale
Segments noirs : Interconnexions des
mécanismes Segments rouges : Interactions entre
l'individu et l'extérieur
Légende
Le schéma de la sphère opératoire que
nous proposons au sein de ce mémoire reprend les grandes lignes de
l'opération artistique ; son but n'est pas de proposer une alternative
qui pourrait la remplacer, mais de servir d'introduction générale
à la compréhension des mécanismes mis en jeu dans la
perception et la manifestation d'un phénomène
général chez l'être humain. Nous allons expliquer ce
schéma comme nous l'avons fait avec l'opération artistique.
Au point de départ, nous avons un stimulus* [0] dont la
propagation potentielle atteint les capteurs sensoriels de l'individu [A], qui
vont véhiculer le signal transformé en impulsion
électrique jusqu'au cerveau [B]. Le cerveau reçoit l'information,
la décode, l'assimile et la reconnaît. Cette reconnaissance, selon
la manière dont elle a été précédemment
assimilée (par l'expérience), peut engendrer une réponse
motrice [B] - [A], ou encore une réponse affective [B] - [A] + [C].
Poursuivons avec le traitement moteur. La réponse motrice va provoquer
un effet visible [D], donc perceptible par l'extérieur [sphère
individuelle - sphère sociale]. Cette perception répond aux
mêmes mécanismes contenus dans la sphère individuelle,
puisque nous sommes tous des êtres humains ; nous avons un ensemble de
propriétés communes. Elle deviendra donc un stimulus pour
l'autre, et ainsi de suite.
Jusque là, nous constatons que le déroulement
est très similaire à celui que l'on retrouve dans
l'opération artistique. Nous allons observer plus en détail le
rôle des interconnexions et de ce qui justifie les positions des
sphères et des centres de mécanismes.
La captation d'un stimulus n'aboutit pas toujours par une
production concrète de l'individu. L'information traitée et
reconnue par le cerveau peut engendrer un feed-back (=retour) sensoriel, ce qui
donnera dans l'ordre [0] - [A] - [B] - [A] ; elle peut aussi produire une image
mentale [0] - [A] - [B] - [A+B] (l'image mentale renvoie implicitement au
traitement sensoriel) ; mais elle peut également provoquer une
réponse affective*, ce qui donne [0] - [A] - [B] - [A+C]. À
l'exception de l'image mentale, les autres réponses tendent
naturellement à être potentiellement perceptibles par le monde
extérieur [D]. Les segments noirs qui relient les centres de
mécanismes illustrent l'interactivité de ces derniers, et sont
communs à chaque individu. Les segments rouges qui mêlent chaque
centre de mécanismes dans la sphère sociale sont là pour
montrer que l'individu est aussi intégré dans cette sphère
et qu'il contribue à l'ensemble des normes et références
qui nous permettent d'identifier les phénomènes. C'est pour cela
que l'empreinte du stimulus causé par l'individu [couleur rouge du 1]
est encerclée par la sphère sociale [cercle bleu]. Les
sphères ont une propriété interactive dans leur influence,
d'où l'imbrication de la sphère individuelle dans la
sphère sociale.
Tentons d'illustrer cette explication par un exemple concret
quoique légèrement caricatural. Un bol de céréales
et une cuillère font face à l'individu [0]. Celui-ci capte le
stimulus sous une forme visuelle [A], et l'identifie comme un bol de
céréales [B]. Suite à cela se déclenche une
réponse de faim : la sensation et l'organisation motrice de la main qui
va prendre la cuillère pour saisir les céréales et les
porter à la bouche de l'individu, donc [A+C]. Mais pour que le mouvement
soit jugé correct, il faut que le cerveau l'interprète ainsi,
donc le [B] sera forcément impliqué durant toute la durée
du mouvement moteur. Ce mouvement est accessible à la perception
extérieure, mais en le prenant comme un stimulus pur et simple, ce qu'on
perçoit, c'est une chose qui bouge. Pour que l'on sache qu'il s'agisse
d'un homme qui est en train de manger des céréales dans un bol,
les mécanismes des autres individus qui observent agissent de la
même façon. « Tu es en train de manger des
céréales dans un bol ». L'expression de cette phrase
émise par l'individu extérieur confirme ce que le premier
individu a perçu et interprété de la
réalité, et sa réponse est donc cohérente. «
Je suis bien en train de manger des céréales dans un bol ».
Les mécanismes s'interconnectent une multitude de fois et à
grande vitesse pour parvenir à ce résultat.
À travers un autre exemple sur le plan de la
pathologie, nous pouvons voir qu'il nous est possible d'identifier les centres
de mécanismes défaillants si la situation s'avérait
conflictuelle entre les deux sphères.
Un individu est très gêné d'entendre
constamment passer les trains, le bruit est insupportable, il essaie de se
boucher les oreilles, mais rien n'y fait. L'ennui, c'est que cette
personne ne se trouve absolument pas à
côté d'une gare ou de la moindre ligne de chemin de fer. Les
autres individus qui sont avec lui n'entendent pas le bruit des trains. Par
déduction, sur qui plaçons nous la vérité ? Bien
entendu sur le groupe. L'individu peut alors être atteint d'une
hallucination auditive [A+B car reconnaissance du bruit], ou
d'acouphènes [A]. Ces deux pistes vont ensuite permettre aux
médecins de mettre en place des examens adaptés ; la cause
pourrait être une psychopathologie [B], ou une défaillance de
l'oreille interne [A]. Cependant, nous notons que les autres centres de
mécanismes se manifestent dans cette situation : l'individu tente de se
boucher les oreilles [C] et exprime aux autres son inconfort [D]. Si un ou
plusieurs centres de mécanismes sont altérés pour quelque
raison que ce soit, il est quasi certain que les autres centres de
mécanismes réagiront dans un premier temps de manière
adaptée au stimulus qui provoque ce dérèglement. Ensuite
l'individu, selon le problème, pourra chercher lui même la
solution qui lui permettrait de retrouver l'harmonie qu'il avait avant cet
événement, et de la mettre en application. Mais cela n'est pas
toujours possible, et l'intervention des autres est nécessaire.
L'objectif de ce schéma n'est pas de montrer comment
s'opère le phénomène artistique, nous laissons cela
à l'opération artistique, qui est bien plus encline à
cela. Si nous avons parlé ici de ce schéma, c'est pour
l'envisager comme un moyen de « désengorger » les informations
que l'on peut tirer de l'opération artistique. Car oui, il est possible
d'expliquer les phénomènes généraux dans ce
schéma, mais c'est dans un souci de spécialisation du contenu que
nous avons pensé à la sphère opératoire. Nous avons
dans l'optique que le schéma de la sphère opératoire
puisse être un outil de compréhension du phénomène
dans son aspect le plus basique et global, et de proposer l'opération
artistique comme un outil de compréhension exclusif de l'activité
artistique et du lien qu'elle entretient avec les pathologies.
Nous considérons néanmoins ce schéma
comme une ébauche modeste d'une volonté de simplification du
contenu du schéma de l'opération artistique, et il y a fort
à parier que l'auteur de ce mémoire fera l'objet de nombreuses
corrections et remaniements pour oser prétendre à un niveau de
pertinence acceptable. La recherche en art-thérapie avance et de
nouvelles façons de penser l'enseignement germent
régulièrement. Nous devons les entendre, les travailler, les
discuter, mettre à jour nos connaissances mais surtout rester humble et
accepter de nous faire rediriger vers les fondements qui peuvent avoir parfois
pris trop de distance par rapport à nos idées et nos
façons d'opérer.
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