C) L'analyse des résultats met en
évidence les points communs et les particularités de chaque
patiente au regard de la prise en charge art-thérapeutique.
1) Il est nécessaire d'établir un rappel des
deux expériences art-thérapeutiques dans un souci de
simplification nécessaire à une compréhension optimale de
l'analyse de ces expériences.
Les données observées de ces deux
expériences sont assez nombreuses et complexes, et peuvent
paraître ambiguës au niveau du lien qu'elles entretiennent avec
l'art-thérapie. C'est pour cela que nous allons évoquer de
façon synthétique la raison qui a amené la patiente
à suivre un travail art-thérapeutique, comment celui-ci a
opéré et quel bilan a pu être dressé à la fin
de la prise en charge.
Mme A était une patiente atteinte de la maladie
d'Alzheimer à un stade modérément avancé. Elle
s'était toujours relativement investie dans les activités de
l'établissement, mais progressivement, elle s'est détachée
de la collectivité, et ne souhaitait plus que rester dans sa chambre
<< à attendre la fin ». Sa famille qui venait lui rendre
visite ne savait plus quoi faire pour lui changer les idées et sortir de
son comportement dépressif. Sur indication du personnel soignant du
troisième étage, un projet de prise en charge
art-thérapeutique en individuel a été envisagé.
L'objectif principal était, bien sûr, d'amener Mme A à
désirer se réinvestir au sein des groupes de résidents qui
participaient aux activités d'animation (et dont certains étaient
ses amis) ; toutefois, cet objectif est impossible à obtenir sans
atteindre préalablement des objectifs dits <<
intermédiaires », surtout quand il s'agit de
réinsérer socialement une personne exclue. Tout d'abord, il a
fallu établir une relation de confiance dans un cadre rassurant ; c'est
ce qui s'est passé dans les séances réalisées dans
la chambre de Mme A et << à l'abri » des autres, qui
angoissaient à ce moment-là la patiente. La maladie d'Alzheimer
ne facilite guère l'assimilation de nouveaux repères, la relation
est donc très fragile, et doit sans cesse être entretenue d'une
façon apaisante et patiente. L'équipe soignante en est
également consciente, et s'est investie dans la prise en charge en
intervenant entre les séances (stimulation mnésique, nouvelle
approche relationnelle...), permettant à Mme A de s'inscrire dans une
dynamique qu'elle ne vivait plus à cause de l'exclusion. L'objectif
intermédiaire suivant était de montrer à Mme A, à
travers des activités qui lui étaient familières ou non
(écriture, arts plastiques), qu'elle était toujours capable
d'éprouver du plaisir et lui faire prendre conscience de sa
sensibilité artistique, qu'elle croyait au départ inexistante. Et
pourtant, ce qui au départ était péniblement une once de
curiosité pour le travail proposé par l'art-thérapeute, a
fini par devenir un réel intérêt et un investissement
physique et psychologique notable, même si Mme A faisait toujours preuve
d'une élégante discrétion. La dernière
séance (modelage à l'argile d'une fleur) a d'ailleurs
été un tremplin réussi pour Mme A vis-à-vis du
groupe. Les animatrices ont ensuite pris le relais, et depuis, Mme A,
malgré l'aggravation de sa maladie, prend beaucoup de plaisir à
participer aux ateliers pratiques, aux discussions, et aux spectacles.
L'objectif principal de réinsertion a donc été atteint.
Les choses se sont présentées
différemment pour Mme B. Si la pénalité était la
même (exclusion), les troubles associés ne l'étaient pas.
La patiente présentait une déficience importante des
repères spatiotemporels et de la mémoire autobiographique, ainsi
qu'une déficience légère de la mémoire à
court terme ; mais il faut souligner qu'aucune démence n'a
été diagnostiquée chez Mme B. De plus, les
modalités de l'objectif principal sont également
différentes de Mme A ; ici, le but était de lui donner envie de
participer aux activités de groupes, à cause de la solitude, de
l'ennui, et de l'angoisse provoqués par l'incompréhension du fait
qu'elle ne peut pas rentrer chez elle. Avoir envie de s'intégrer
pourrait aussi une
accroche intéressante lorsque son retour au domicile
serait effectif, cela l'inscrirait dans une dynamique relationnelle qu'elle
n'avait a priori pas connu avec ses proches et son voisinage avant son
arrivée à l'hôpital. Comme Mme B était souvent
convaincue de quitter l'établissement de manière imminente, elle
ne voyait pas l'utilité de s'intéresser à ce qui
l'entourait dans la structure, y compris sa voisine de chambre. L'approche
art-thérapeutique envers Mme B devait donc être adaptée en
fonction de tous ces critères. Le premier objectif à atteindre
était alors de susciter de l'intérêt chez la patiente
envers la structure. Ensuite, par l'activité artistique, montrer
à Mme B qu'elle était capable de prendre du plaisir à
<< travailler >> ; puis à partager ce plaisir avec d'autres
personnes. Mme B possédait une gentillesse et une bienveillance
naturelles, ce qui a rapidement amélioré la qualité
relationnelle qu'elle établissait avec les autres résidents. Et,
avec les encouragements et les félicitations du personnel, et de ses
nouvelles connaissances, Mme B a pu rapidement se faire une place au sein de la
collectivité. Selon elle, la vie active ne lui avait pas vraiment permis
de forger des liens durables avec les autres, mais après la
découverte des activités artistiques manuelles, le <<
travail >> pouvait désormais se conjuguer avec le plaisir et la
solidarité. La prise en charge art-thérapeutique a
été un moyen pour Mme B d'appliquer son énergie, jusque
là étouffée par ses troubles neurologiques, au service de
son propre bien-être, puis plus tard à celui des autres.
Nous reviendrons dans la dernière partie de ce
mémoire sur ce qui justifie l'usage des techniques artistiques
employées pour les deux patientes. Nous allons maintenant nous pencher
sur les faits observés pendant la prise en charge
art-thérapeutique, et leur analyse.
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