Licenciement abusif en droit congolais( Télécharger le fichier original )par Urbain KOKOLO LANDU Université de Bunia - Licence 2010 |
2.2. Contenu de la théorie d'abus de droitLa question « peut-on abuser d'un droit ? » appelle fatalement un débat théorique ou doctrinal dans lequel s'affrontent les conceptions philosophiques, morales, voire politiques du droit. On comprend dès lors que l'abus de droit ait été l'objet de l'une des controverses les plus aiguës de la doctrine et que le débat ait été intense pour déterminer son contenu. Nous ne présenterons les points de cette controverse. Mais le juge doit répondre à une question d'un autre ordre : le dommage qui a été causé à autrui par l'utilisation d'un droit doit-il toujours demeurer sans réparation, quelles que soient les conditions ou les circonstances de l'exercice de ce droit? En d'autres termes, le titulaire d'un droit est-il toujours exonéré de toute responsabilité à l'égard des personnes à qui l'exercice de son droit a pu porter tort ? Pour répondre à cette question, les doctrinaires se sont déchirés dans des controverses intenses. La thèse finaliste de l'abus de droit est celle de JOSSERAND qui, dans l'un de ses ouvrages, a émis l'idée que l'abus de droit consistait en un détournement des droits subjectifs de leur fonction. L'abus de droit est inséparable de l'idée de l'existence d'une fonction sociale des droits subjectifs. Ceux-ci doivent lors de leur usage «demeurer dans le plan de la fonction à laquelle ils correspondent, sinon leur titulaire commet un détournement, un abus de droit»53(*). Pour apprécier un éventuel abus, il convient donc d'apprécier le but en vue duquel la prérogative en cause a été accordée à son titulaire et d'examiner quels sont les mobiles qui ont animé le titulaire du droit. Abondant dans le même sens que JOSSERAND, BORIS STARCK estime que la faute constitutive d'abus a un caractère spécifique : le détournement du droit de sa fonction normale, mais qu'elle doit être complétée par un appel à la théorie de garantie objective pour rendre compte de la responsabilité sans faute en présence des troubles dépassant la mesure ordinaire des inconvénients de voisinage.54(*) Mais cette thèse a été fortement combattue et la notion même d'abus de droit a été niée. En effet pour PLANIOL la formule «usage abusif des droits» n'est qu'une fantaisie. Et cette affirmation liminaire lui permet d'affirmer que la notion d'abus de droit est dépourvue de sens : s'il y a abus, c'est qu'il n'y a pas de droit car «le droit cesse où l'abus commence.55(*) Quant en Georges RIPERT, il reprend l'idée de PLANIOL selon laquelle les droits ont un caractère absolu, mais ne se sépare pas non de la position de JOSSERAND en ne concluant pas à l'inutilité totale de l'abus de droit. L'exercice des droits, pour RIPERT, doit être conforme aux exigences morales de la conscience individuelle. Cependant, c'est la jurisprudence qui a définitivement tranché la question sans se laisser influencer par les controverses. Les différentes thèses sur l'abus de droit ont certainement paru trop théoriques et trop rigides aux juges ; ceux-ci n'ont pas entendu laisser sans réparation un dommage causé volontairement à autrui par l'utilisation inconsidérée d'un droit. L'article 258 du Code civil congolais livre III a joué un rôle primordial à cet effet. Pour les tribunaux, l'abus de droit apparaît d'abord comme le moyen de réparation des conséquences de fautes commises par, ou à l'occasion de l'exercice d'un droit. La question que se pose le juge est de savoir si le préjudice allégué est la conséquence d'une faute commise dans l'exercice d'un droit et, donc, de nature à engager la responsabilité de l'utilisateur. Or ce qui fait problème, c'est de savoir quel degré doit atteindre la faute, en regard du droit concerné, pour que le dommage ouvre droit à réparation. De ce point de vue, on constate que l'étendue des fautes condamnables au titre de l'abus de droit s'avère très large, allant de l'intention nocive de l'auteur à sa légèreté souvent qualifiée de «blâmable», en passant par la mauvaise foi, selon une appréciation plus ou moins subjective de la nature ou de la portée du droit en cause. C'est cette diversité des fautes constitutives d'abus de droit et la variété de leur qualification sous la même appellation rend souple le travail du juge et complexe la synthèse du contenu de cette théorie difficile. Toutefois, nous tenterons d'y parvenir en disant que l'abus de droit est une notion juridique qui permet de sanctionner tout usage d'un droit qui dépasse les bornes de l'usage raisonnable de ce droit et/ou avec la seule intention de nuire. Ces deux conditions sont donc cumulatives et soumises à la seule appréciation du juge qui, comme nous venons de le dire ci-haut, dispose de la faculté de prendre en compte une multitude d'éléments que nous présenterons dans le paragraphe suivant. * 53 JOSSERAND, L., De l'esprit des droits et leur relativité : Théorie dite de l'abus des droits, Dalloz, Paris, 1939, p. 124 * 54 STARCK, B., Droit civil ; obligations, 1. Responsabilité délictuelle, 2ème Edition, LITEC, Paris, 1935, p. 336 * 55 PLANIOL, M., Traité élémentaire de Droit civil, LGDJ, Paris, 1949, p. 521 |
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