WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

La transgression du Sacré (XIIème- XIIIème siècle)

( Télécharger le fichier original )
par Jean-François POISSON-GUEFFIER
Paris III Sorbonne Nouvelle - Master 2 2012
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

C. TEXTE ET SEXE : POETIQUE DE « L'ENORME » DANS LA BRANCHE XXIII

La branche XXIII, « Comment Renart parfit le con », se donne comme la continuation du fabliau du Con qui fu fait a la besche. Le récit nous apprend comment un Dieu oublieux et distrait, n'ayant pas pourvu la femme d'un sexe, a confié cette tâche au diable, qui s'y est attelé avec une bêche. Le système symbolique figure Dieu comme un créateur imparfait, secondé par le diable. Le récit renardien reprend cette dualité, le Roi Connin, personnage hapax dans le Roman de Renart incarnant le rôle de Dieu, Renart celui du diable adjuvant ; à l'action de faire succède de surcroît celle de parfaire : « Fait avez le comancement / Dou con, mes plus i a a faire / Encore, einçois que ce ne paire », v. 436-438. Le gouffre féminin est comparé à un « abismes » (v. 449), selon une qualification topique pour désigner l'ampleur incommensurable du désir féminin.

Les adjonctions proposées par Renart pour amender l'oeuvre de Connin lient le sexe féminin et le texte renardien. Les mutilations pratiquées à l'encontre du cerf, du coq et du loup fournissent respectivement le périnée, le clitoris et la toison pubienne :

Mes bien saichiez qui pranderoit

Une creste de coc vermoille

Si l'atachast en celle roille 456

Que vos avez ileques mise,

Qui le con et le cul devise

Un poi estoperoit l'entree.

La mutilation d'un personnage suite à une ruse renardienne est l'un des motifs majeurs de la geste, Renart mutilant les autres personnages de manière parfois spectaculaire (les mutilations de Brun et Ysengrin), mais revenant à plusieurs reprises humilié et meurtri en son repaire : « forment li duelt et cuist sa plaie » (VIIa, v. 828). La mutilation de Chantecler est commise par le Roi à partir du consilium de Renart, mû par un désir de vengeance. Placer un élément inhérent aux contes d'animaux, la crête du coq, dans le projet d'amélioration d'un con fabuleux, revient à signifier la branche comme récit d'origine - le con démesuré évoquant celui d'Hersent et de Richeut, figures traditionnelles de putains dépravées. Origine du monde au sens de Courbet, origine de la fiction, les mutilations aident à parfaire le con, attribut féminin d'importance dans le roman. A l'instar de la Genèse, qui introduit la mort dès l'origine des premiers êtres185, le monde des origines du Roman de Renart semble porteur de sa propre finitude. Une même violence innerve ces deux mondes : « [le sol] produira pour toi épines et chardons » (Gn, 3, 18), « à force de peines tu en tireras ta subsistance » (Gn, 3, 17). La

185 Genèse, 3, 19 : « (...) jusqu'à ce que tu retournes au sol / Puisque tu en fus tiré ».

quête de nourriture qui catalyse les aventures renardiennes est présente en germe dans la Genèse, qui figure un monde d'épreuves, de violence et de douleur. Cette douleur est présente dans l'épisode de la crête « granz et crenelee » de Chantecler, coupée à l'aide d'un « rasour » au mépris de son intégrité : « S'il vos an poise, ne m'en chaille ! » (XXIII, respectivement v. 530, 528 et 527). Cette mutilation originelle introduit d'autre part le mélange des règnes comme l'une des caractéristiques du récit.

Le con est parfait à l'aide d'éléments propres à l'univers renardien : il procède de la ruse du goupil, tire sa matérialité de celle des animaux mutilés et annonce les querelles autour du viol d'Hersent, celles également d'Hersent à Isengrin quand ce dernier perd l'attribut garant du plaisir féminin (Ic). Les motifs caractéristiques s'associent dans le con, origine matérielle de la fiction, matrice d'un certain nombre d'aventures. La branche donne à lire une « aventure absolument « énorme »186 à l'image du con dont elle évoque la perfection.

La création du monde de la fiction à travers l'amendement du con n'est pas sans comporter des enjeux intertextuels, si l'on se reporte aux circonstances de la Création divine du monde. L'acte divin de création d'Adam semble résulter d'une parole performative, à l'instar des autres créations187, la naissance du Christ procède de l'Immaculée Conception. La venue au monde des créatures divines, les premiers hommes appelés à se multiplier (Genèse, 1, 28), le Christ appelé à répandre la parole du Seigneur, n'est entachée d'aucune souillure. Ces deux créations échappent à l'action prolifique du con. Le passage de l'immatériel à la matérialité du corps, dans le cas des premiers hommes, échappe aux règles de la procréation.

La branche XXIII place au contraire l'origine de la fiction dans un gouffre orgiaque, dont Renart se plaît à exalter, en un langage chargé d'un érotisme effrayant, les abîmes voluptueux : « La fosse est granz et parfonde (...) Ce est li gorz de Sathalie / Qui tot englout et tout reçoit ! », v. 439 et 452-453. La Création du monde fait ainsi l'objet d'un infléchissement de la matérialité noble d'un corps à l'image de Dieu à la matérialité vile d'un sexe à l'image du Diable. La fiction renardienne est ainsi placée sous le signe de l'énormité du con crée par le roi Connin avec l'aide de Renart. La

186 Jean SUBRENAT, « Les dernières branches du Roman de Renart peuvent-elles être lues comme des fabliaux ? » in Narrations brèves. Mélanges de littérature ancienne offerts à Krystyna Kasprzyk, Varsovie, Publications de l'Institut de Philologie Romane de l'Université de Varsovie, 1993, p. 49.

187 Genèse, 1, 27 : « Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa ».

transgression de la lettre du texte sacrée est ici liée à une poétique de l'énorme, de l'outrance, qui caractérise sans nul doute un certain nombre d'épigones.

A l'instar du récit d'origine, le récit de fin du monde a donné lieu à de nombreuses variations, le symbolisme de l'Apocalypse, au même titre que celui de la Genèse, imprégnant en profondeur l'imaginaire médiéval.

B. TRANSGRESSION DES SIGNES SACRES188 DE L'APOCALYPSE

De tous les récits allégoriques que renferme la Bible, le symbolisme foisonnant de l'Apocalypse est sans doute celui qui a exercé la plus grand pouvoir de fascination189. Les oeuvres du corpus apparaissent moins comme une herméneutique des signes apocalyptiques, que comme la dissémination de ces signes dans l'écriture. D'autres textes renardiens (Ysengrimus, Reinhart Fuchs), dans les épisodes racontant la mort des héros, réinvestissent ainsi le symbolisme apocalyptique, tandis que le Roman de Renart en contient également quelques exemples, par touches ténues190. Il convient alors d'interroger le rapport du récit animalier au modèle prophétique, dans ses effets de discordance et d'ambiguïté.

1. DES REMINISCENCES APOCALYPTIQUES

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand