2.1.3. Agriculture contractuelle et les petits agriculteurs
dans les pays en développement
Les petits agriculteurs, dans les pays en voie de
développement, font face à de contraintes qui limitent
l'accroissement de la productivité et du revenu. Il s'agit, entre
autres, du manque d'informations sur les techniques de production et les
opportunités de marché d'une part, et, d'autre part, de
l'accès au crédit limité par de forts taux
d'intérêt (Bijman, 2008). L'agriculture contractuelle peut
apporter des solutions à ces contraintes.
Toutefois, plusieurs auteurs pensent que les raisons d'entrer
en contrat ne sont pas fondamentalement différentes pour les petits et
les grands producteurs. Des études empiriques conduites dans quelques
pays en développement révèlent les motivations des
agriculteurs à entrer en contrat. Masakure et Henson (2005) ont
identifié quatre facteurs qui motivent les producteurs à entrer
en contrat pour la production de légumes non traditionnels au
Zimbabwe : la garantie du marché d'écoulement, des
bénéfices indirects (acquisitions de connaissances techniques),
des bénéfices directs (revenu amélioré) et des
bénéfices intangibles (statut social). Guo et al. (2005) dans
leur étude conduite dans certaines provinces de la Chine, ont
trouvé que les producteurs entrent en contrat pour obtenir les avantages
suivants : l'accès au marché, la stabilité des prix,
et l'assistance technique pour améliorer la qualité du
produit.
Cependant, on a relevé que l'agriculture contractuelle
rencontre un certain nombre de difficultés dans les pays en voie de
développement. Plusieurs auteurs ont trouvé que l'environnement
commercial qui prévaut dans les pays en voie de développement
favorise fortement les problèmes de respect des contrats de vente.
Gabre-Madhin (2007) trouve que dans nombreuses économies en
développement, les commerçants des produits agricoles notamment
des céréales, opèrent dans un contexte où les prix
ne sont pas publiquement annoncés, les produits sont fortement
différenciés et sans standardisation formelle. Aussi, certains
auteurs ont-ils trouvé que les contrats sont oraux sans pratiquement
aucun recours aux moyens légaux pour les appliquer (Gabre-Madhin,
2001 ; Fafchamps et Gabre-Madhin, 2002). Ces contraintes font que, tant
les producteurs que les commerçants sont très vulnérables
à des cas de tricherie avec les prix du marché, avec la
qualité et la quantité des produis livrés et aussi avec le
temps de livraison. On constate aussi que certains partenaires commerciaux ne
paient pas à temps les producteurs. D'un autre côté, il est
très fréquent de voir des clients (l'une ou l'autre des parties)
mentionner des efforts à négocier les prix ex post. Ces
difficultés ont été relevées au Bénin mais
surtout au Malawi (Gabre-Madhin, 2007). Pour certains auteurs, ces
problèmes se multiplient dans les pays sous-développés
surtout parce que les contrats sont souvent oraux. D'autres sont d'avis
contraires et ils pensent même que les contrats oraux sont suffisamment
efficaces.
Certains auteurs à l'instar de Bogetoft et Olesen
(2004) pensent qu'en général, dans les pays en
développement, les contrats agricoles sont généralement
simples et verbaux. Même si les partenaires sont capables de
rédiger des contrats complets, il est peu coûteux de s'engager
dans une procédure de contrat informel et d'auto-application au lieu
d'impliquer une troisième partie. Fafchamps (2004) pense qu'en Afrique
Sub-Saharienne, les accords et les compromis informels sont couramment
utilisés et respectés et Kpènavoun et Gandonou (2009) ont
confirmé ceci pour la commune de Kétou, au Bénin, pour les
contrats d'achat de maïs.
Comme les contrats informels ne font pas appel aux
autorités légales, ils sont appelés des contrats
auto-appliqués (self-enforcing contracts en anglais) ; les
parties contractantes ont en effet des motifs pour honorer le contrat dans son
ensemble. Les auteurs pensent que ces motifs sont à la fois
économiques et sociaux (Nooteboom, 2002 ; Klein W., 2005). Sur le
plan économique, le premier motif est la dépendance
économique mutuelle entre les parties. Le deuxième est le
besoin qu'éprouvent les deux parties à sauvegarder leur
réputation. Ce qui les oblige à respecter le contrat car la
rupture du contrat réduirait voire bloquerait à la partie
défaillante les opportunités de marché dans le futur parce
qu'elle ne sera plus digne de confiance (MacLeod, 2007). Pour cela, les
contrats agricoles sont souvent respectés voire automatiquement
renouvelés. Certains auteurs pensent que ce dernier motif joue un
rôle très important et est valable tant dans les pays
développés que dans les pays en développement (Allen et
Lueck, 2003 ; Bogetoft et Olesen, 2004 ; Key et Runsten, 1999).
Sur le plan social, deux motifs sont également
soulignés dans la littérature. Premièrement, on note que
les parties contractantes développent une certaine sympathie
l'une envers l'autre ; ce qui leur permet de se connaître, de savoir
ce que chacun pense de l'autre et de révéler les forces et les
faiblesses. Ce faisant, elles commencent à partager les mêmes
normes, à penser de la même façon et à respecter les
accords établis (Nooteboom, 2002 ; Akerlof et Kranton, 2005). Le
deuxième motif fait allusion aux valeurs, normes, coutumes et
obligations morales qui prévalent dans la communauté (Bowles
et Gintis, 2002 ; Keefer et Knack, 2005). Le mensonge et la tricherie sont
des faits `'indésirés'' dans toute société. En
définitive, les auteurs montrent que le contrat informel, même en
évitant de faire intervenir une troisième partie pour faire
respecter les engagements, ne conduit pas aux conflits comme on le pense
souvent.
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