La loi du 12 juillet 2010, portant engagement national pour l'environnement et la responsabilité des constructeurs( Télécharger le fichier original )par Florence COUTURIER- LARIVE Université Aix- Marseille III - Master II Droit immobilier public et privé 2010 |
§2- La question de la sanction du non respect des normes techniques légales231. Indifférence du respect de la norme sur la mise en oeuvre de la responsabilité des constructeurs- Arrêt de l'Assemblée Plénière de la Cour de Cassation du 27 octobre 2006- - Sur le point de savoir si le respect des normes légales pouvait être pris en compte par le juge pour écarter l'application des règles de responsabilité des constructeurs, la réponse de la jurisprudence a été négative. Ainsi, en matière d'isolation phonique419(*), la jurisprudence a décidé que, quand bien même le constructeur aurait respecté les normes en vigueur, cela n'empêche pas la mise en oeuvre de la garantie décennale si les dommages révèlent des désordres de nature décennale, c'est à dire qui, soit portent atteinte à la solidité de l'ouvrage, soit rendent celui ci impropre à sa destination et ce alors même que l'article L 111-11 alinéa 2 du CCH précise bien que les travaux de nature à satisfaire les exigences en matière de norme acoustique relèvent de la garantie de parfait achèvement. En matière d'isolation phonique, la jurisprudence fait donc depuis longtemps application de la garantie décennale quand le trouble acoustique trouve son origine dans un défaut de conformité420(*). Mais c'est un arrêt de l'Assemblée Plénière de la Cour de Cassation421(*), en date du 26 octobre 2006, qui énonce le principe, au visa de l'article 1792 du Code Civil, selon lequel les désordres d'isolation phonique peuvent relever de la garantie décennale même en cas de respect des exigences minimales légales ou réglementaires et qu'il ne peut être déduit de la seule conformité aux normes applicables en la matière, l'absence de désordres relevant de cette garantie. En l'espèce, s'agissant de désordres relatifs à l'isolation phonique d'un studio acquis en l'état futur d'achèvement, la question se posait de savoir si ces désordres engendraient une impropriété à destination. La Cour d'appel avait écarté l'argumentation du demandeur au motif que les normes avaient été respectées, que les nuisances acoustiques dénoncées n'avaient pas été "objectivées" par les différentes mesures effectuées et qu'en conséquence la preuve n'est pas rapportée du désordre allégué. Dans un attendu de principe, la Cour de Cassation a cassé l'arrêt entrepris dans ces termes : « Attendu que les désordres d'isolation phonique peuvent relever de la garantie décennale même lorsque les exigences minimales légales ou réglementaires ont été respectées. (...) En déduisant de la seule conformité aux normes d'isolation phonique applicables l'absence de désordre relevant de la garantie décennale, la cour d'appel a violé le texte susvisé. ». Il résulte donc de cette jurisprudence, devenue constante et applicable à l'ensemble des normes, règles de l'art, documents techniques unifiés (DTU) ou règles édictées par des organismes professionnels, que le respect de ces règles ne constitue pas une cause exonératoire de responsabilité pour les constructeurs422(*). Dès lors, selon les conditions de fait qui sont réunies au regard des conditions de mise en oeuvre de chaque garantie, le maître de l'ouvrage peut fonder sa demande en réparation soit sur le fondement de la garantie de parfait achèvement ou sur celui de la garantie décennale de l'article 1792, car en effet, « il peut effectivement se produire des désordres de nature décennale alors que toutes les normes de construction ont été respectées.423(*) » Cette appréciation est identique de la part du Conseil d'Etat, lequel, dans un arrêt en date du 2 février 1973, avait déjà condamné un architecte solidairement avec l'entrepreneur en raison de désordres dus à des défauts d'étanchéité de la toiture d'un groupe scolaire, bien que les normes techniques de l'époque aient été respectées424(*). 232. L'extension jurisprudentielle de la notion d'impropriété- Tout le problème de cette jurisprudence réside dans la valeur juridique et la qualification à donner à la norme légale. Si qualifier une impropriété à destination en cas de désordres graves nonobstant le respect d'une norme était déjà admis par la jurisprudence avant même la Loi Spinetta425(*), il n'en va pas de même lorsque l'impropriété supposée relève plus, en restant sur l'exemple des troubles acoustiques, de la sensibilité propre de celui qui s'en prévaut que de désordres particulièrement graves. « L'objectivisation » du trouble qu'avait recherché la Cour d'Appel dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 27 octobre 2006 n'a pas eu d'écho- c'est le cas de le dire- auprès de la Cour de Cassation. Or, qu'est ce qu'une norme, si ce n'est une règle, et qu'est ce qu'une norme édictée par la Loi ou le Règlement, si ce n'est une règle à laquelle chacun, sans considérations subjectives, doit se plier ? On l'a vu, en matière de norme, les obligations y afférentes ne sont rien d'autre que des obligations de résultat426(*), sauf disposition contraire. Or, dans ce cas, comment le juge peut il introduire des considérations d'ordre privé, personnel, subjectif, voire d'ordre contractuel sans porter atteinte à la hiérarchie des...normes ! En matière d'isolation phonique la norme est déterminée en termes d'obligation de résultat : le législateur fixe directement un seuil à atteindre par le constructeur et la limite de ce qui doit être considéré comme supportable pour le maître de l'ouvrage ; « le juge peut-il, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, écarter cette règle et décider que la limite fixée par le législateur est insupportable et rend l'ouvrage impropre à sa destination ?427(*) ». Cette extension de la notion d'impropriété à la destination de l'ouvrage pose ainsi deux problèmes. 233. La force obligatoire de la norme technique- Le premier est celui du respect de la force de la norme technique édictée par la Loi, qui se pose aujourd'hui avec autant d'acuité que le législateur du 12 juillet 2010 n'a pas ménagé sa peine en ce qui concerne le nombre des normes techniques désormais applicables ou en voie de l'être, en matière d'éco performance428(*). La réponse est d'apparence simple : soit la norme est d'ordre public, auquel cas, les parties ne pouvant y déroger en vertu des termes de l'article 6 du Code Civil429(*), le juge n'aura pas à tenir compte de conventions dérogatoires in mitius à cette norme, soit la norme n'est pas d'ordre public, auquel cas, toute convention particulière est possible. Pourtant, l'incohérence réside alors dans l'essence même de la fonction d'une norme destinée à assurer, telle un confort minimal pour chacun, telle la sécurité des personnes, telle autre le respect et la pérennité de notre environnement...Dans ce cadre, la question se pose dès lors de savoir quelle est l'utilité d'une norme qui n'est pas d'ordre public. Pour déterminer si un texte est d'ordre public ou non, soit le législateur prend la peine de le prévoir expressément, soit, dans le silence des textes, c'est la jurisprudence qui la qualifie comme telle. Un indice sur le caractère d'ordre public d'un texte peut en outre résulter de ce que celui-ci serait assorti d'une sanction pénale, mais la jurisprudence a décidé que le simple fait que le texte soit pénalement sanctionné n'emporte pas pour autant la nullité d'une convention contraire430(*). En tout état de cause, il convient de remarquer qu'en matière de normes, aucun législateur n'a précisé que celles ci possédaient un caractère d'ordre public. En outre, si l'article L 152-1 du CCH sanctionne bien pénalement les manquements aux normes relatives : à la sécurité des bâtiments431(*), à l'accessibilité des personnes handicapées432(*), à la performance énergétique et aux caractéristiques environnementales433(*), à la gestion des déchets du bâtiment434(*), à la protection contre les insectes xylophages435(*), à la protection contre les risques naturels436(*), à la sécurité des portes automatiques de garage437(*), à l'équipement, au fonctionnement et au contrôle des installations consommant de l'énergie438(*), à la détermination de la quantité d'eau froide fournie à chaque local occupé à titre privatif ou non439(*), il n'a jamais sanctionné pénalement le non respect de la norme acoustique. Le problème de la force obligatoire de la norme technique ne réside donc peut être pas tant dans une dérive judiciaire visant ébranler la séparation des pouvoirs440(*), mais plus certainement dans une carence chronique du législateur à prendre la peine de préciser s'il entend ou non conférer un caractère d'ordre public à la norme qu'il édicte. Cela est d'autant plus regrettable qu'en ce qui concerne la Loi Grenelle II, cette déficience va à l'encontre de « l'obligation de résultat de sauvegarde environnementale » que celle ci laisse exprimer. En effet, certains auteurs pensent que « (...) les dispositions du Grenelle sont sans doute d'ordre public, la lutte contre le changement climatique étant placé « au premier rang des priorités441(*) ». 234. Non respect de la norme et impropriété à destination- En imaginant qu'une norme légale soit déclarée d'ordre public, se pose ensuite la question de savoir si la non-conformité à cette norme technique issue est susceptible d'emporter de facto une impropriété à la destination. Sur ce point, la doctrine est divisée : pour certains auteurs, « un manquement à une règle générale de construction n'entraîne nullement de jure une impropriété à la destination442(*) », pour d'autres, au contraire, ce serait la règle à privilégier dans la plupart des cas443(*). De son côté, la jurisprudence n'est pas systématique et certaines cours d'appel écartent l'application des articles 1792 et suivants du Code Civil malgré un manquement avéré à une norme, estimant que le désordre généré par ce manquement n'était pas de nature à rendre l'ouvrage impropre à sa destination444(*). D'autres en revanche, retiennent précisément la responsabilité décennale de constructeurs, par exemple en présence de désordres d'isolation445(*). En résumé, l'appréciation du non respect de la norme au regard de l'applicabilité des règles de responsabilité passe par une appréciation casuelle de l'impropriété à la destination de l'ouvrage. Autant dire que cela atténue considérablement, voire annihile la force impérative que le législateur a voulu conférer à ses textes, notamment dans la Loi du 12 juillet 2010. Dès lors, il n'est plus viable d'édicter des lois qui ont pour vocation et pour effet de bousculer les fondements des règles de droit classique, sans penser à l'ensemble des aspects de leur mise en oeuvre pratique446(*). A l'avenir, on ne voit pas comment le législateur pourra se passer de préciser ces points obscurs de la Loi du 12 juillet 2010 en affirmant expressément le caractère d'ordre public des normes thermiques et énergétiques. 235. Le problème de la qualification de la destination- Le second problème que soulève l'arrêt d'Assemblée du 27 octobre 2006, a trait à celui de la frontière entre les notions de destination objective et de destination subjective de l'ouvrage. En effet, l'arrêt du 27 octobre 2006447(*) n'aurait pas soulevé autant de questionnements si, malgré le respect des règles normatives, les désordres avaient donné lieu à une impropriété résultant d'une obligation stipulée ou d'une volonté claire et exprimée du maître de l'ouvrage, acceptée par le constructeur, à condition encore que ces désordres aient en outre bien donné lieu à une impropriété à la destination et non à un simple défaut de conformité448(*). A fortiori, s'il avait été question de solidité de l'ouvrage, dans ce cas, seul le résultat devait être pris en compte : l'atteinte à la solidité, même si la norme avait été respectée. Mais dans le cas de l'impropriété à la destination, « notion qui tend à être moins bien définie 449(*)», l'affirmation de la Cour de cassation ne convainc pas450(*). Or, il convient de rappeler que la Cour de Cassation a écarté l'élément d'objectivité auquel s'était attachée la Cour d'Appel par référence à des expertises, pour tenir compte d'éléments subjectifs pas même contractualisés451(*). Le danger d'une telle jurisprudence, est qu'« on ouvre la porte à un contentieux difficilement maîtrisable. (...) Faute de pouvoir faire confiance aux normes, on en vient à se demander si la sécurité juridique ne serait pas mieux assurée par le contrat, c'est-à-dire en l'espèce par des dispositions contractuelles édictant exactement l'isolation phonique que le constructeur promet au maître de l'ouvrage.452(*) » En matière de normes et en présence d'un manque du législateur à éclairer sur leur force juridique, il faut donc constater que la sécurité des parties nécessite de s'entendre sur une « destination convenue », sans espérer compter sur l'appréciation d'une destination objective, « normale », de l'ouvrage. * 419 V. CCH, Art. L 111-11 à L 111-11-2 et R 111-4, R 111-4-1, R 111-23-1 à R 111-23-3 * 420 V. par ex. Cass. Civ3ème, 21 févr. 1990, cité par R. Saint Alary et C. Saint Alary- Houin Memento dalloz série droit privé Droit de la construction 9eme édition 2008 202, p. 189 * 421 C.Cass. Ass.Plén., 27 oct 2006 N° 05-19.408 Bull. AP 2006 n° 12 * 422 V. Cass. Civ 3e., 22 oct. 1980, Bull. civ. III, n° 162 ; pour les règles de l'art : Cass Civ. 3e., 30 nov. 1983, Bull. civ. III, n° 253, pour les documents techniques unifiés (DTU) : CA Paris, 23e ch. A, 3 janv. 1989, RDI 1989, p. 215 et pour les avis du Centre Scientifique et Technique du Bâtiment : Cass. Civ 3e , 17 mai 1983, Bull. civ. III, n° 115 ; 28 nov. 2001, RDI 2002, p. 94, pour les normes et textes réglementaires : Cass Civ. 3e, 3 avr. 2002, RDI 2002, p. 237, Citées par Ph. Malinvaud, « Le respect des exigences minimales requises en matière d'isolation phonique n'est pas exclusif de l'impropriété à la destination », RDI 2006 p. 502 * 423 Ibid * 424 C. E. Ass., Sieur TRANNOY, 2 févr. 1973, n° 82706 Rec. Leb. 1973 * 425 V. Not. Cass. Civ 3ème, 11 déc. 1974, Ann. Loyers 1976.523 et Cass. Civ 3ème, 21 janv. 1975 GP 1975 II 738, citées par A. Duflot « Le droit contentieux de la construction, Jurisprudence judiciaire et administrative» Ed. DPE 2ème éd. Mai 2008 n° 54 * 426 Supra, n° 184 et s. * 427 Ph. Malinvaud, « Le respect des exigences minimales requises en matière d'isolation phonique n'est pas exclusif de l'impropriété à la destination » , RDI 2006 p. 502 * 428 Supra, n°176 et s. * 429 C.Civ. Art. 6 « On ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes moeurs ». * 430 C.Cass. Ass. Plén., 4 Mars 2005, Bull AP n° II, p 316 * 431 CCH. Art. L 111-4 * 432 CCH. Art. L 111-7 à L 111-7-4 et L 111-8 * 433 CCH. Art. L 111-9 à L 111-10- 1 * 434 CCH. Art. L 111-10- 4 * 435 CCH. Art. L 112-17 * 436 CCH. Art. L 112-18 et L 112-19 * 437 CCH. Art. L 125-3 * 438 CCH. Art. L 131-4 * 439 CCH. Art. L 135-1 * 440 Ph. Malinvaud, Op. Cit. * 441 S. Becque-Ickowicz, « L'impact du Grenelle sur les contrats de construction et la responsabilité des constructeurs », RDI 2011 p. 25 * 442 L. Karila et C. Charbonneau, Droit de la construction, responsabilité et assurant, Litec, 2007, p. 164, cité par G. Durand-Pasquier, « Certifications, attestations et diagnostics au service des objectifs du Grenelle », RDI 2011 p. 15 * 443 H. Périnet-Marquet, Dr. et patr., cité par G. Durand-Pasquier, ibid. * 444 CA Toulouse, 26 janv. 2009, JurisData n° 2009-376846, cité par G. Durand-Pasquier, ibid * 445 CA Paris, 6 juin 2006 : JurisData n° 308819, cité par G. Durand-Pasquier, ibid * 446 Infra, n° 271 et s. * 447 Supra, n° 231 * 448 Pour un exemple de respect de la norme acoustique, mais de la présence d'un défaut de conformité, V.Cass. Civ. 3ème., 21 févr 1990, n° 88-10.623, Rec. Dall. 1990, p. 277 * 449 O. Tournafond, « La garantie décennale peut être mise en oeuvre quand bien même les normes légales et réglementaires auraient été respectées », RDI 2007 p. 89 * 450 Ibid * 451 En l'espèce, il s'agissait de bruits aériens * 452Ph. Malinvaud, « Le respect des exigences minimales requises en matière d'isolation phonique n'est pas exclusif de l'impropriété à la destination », RDI 2006 p. 502 |
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