La loi du 12 juillet 2010, portant engagement national pour l'environnement et la responsabilité des constructeurs( Télécharger le fichier original )par Florence COUTURIER- LARIVE Université Aix- Marseille III - Master II Droit immobilier public et privé 2010 |
PREMIERE PARTIE - L'EXTENSION DE LA DEFINITION CLASSIQUE DE L'OUVRAGE : L'OUVRAGE ECO PERFORMANT61. Un droit spécial de la responsabilité des constructeurs- La Loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010, portant engagement national pour l'environnement100(*), est loin d'être sans effets sur le droit classique de la construction, notamment au regard de la responsabilité spécifique des constructeurs, à tel point que certains auteurs ont pu parler de « « grenellisation » du droit de la construction 101(*)». Ce droit de la responsabilité des constructeurs, tel qu'issu de la Loi n° 78-12, dite Loi « Spinetta », du 4 janvier 1978 relative à la responsabilité et à l'assurance dans le domaine de la construction102(*), est régi par les dispositions des articles 1792 et suivants du Code Civil et étend son champ d'application au Code des Assurances103(*) et au Code de la Construction et de l'Habitation. 62. Champ d'application- Cet article 1792 du Code Civil dispose ainsi que « tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination. » et ajoute qu' « une telle responsabilité n'a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère. », le tout étant précisé qu' « est réputé constructeur de l'ouvrage : 1° Tout architecte, entrepreneur, technicien ou autre personne liée au maître de l'ouvrage par un contrat de louage d'ouvrage ; 2° Toute personne qui vend, après achèvement, un ouvrage qu'elle a construit ou fait construire ; 3° Toute personne qui, bien qu'agissant en qualité de mandataire du propriétaire de l'ouvrage, accomplit une mission assimilable à celle d'un locateur d'ouvrage.104(*) » 63. La modification des notions fondamentales du droit de la construction- On le constate, les notions fondamentales du droit de la construction sont donc celles de constructeur105(*), d'ouvrage et de dommages106(*). Or, il s'avère que, par la création d'une nouvelle conception dynamique de l'ouvrage : l'ouvrage « éco performant » (Titre II), la Loi du 12 juillet 2010 modifie la conception classique de l'ouvrage et de ses dommages dans le cadre de la responsabilité spécifique des constructeurs (Titre Premier). TITRE PREMIER : L'OUVRAGE ET LES DOMMAGES A L'OUVRAGE DANS LE REGIME CLASSIQUE DE RESPONSABILITE DES CONSTRUCTEURS DES ARTICLES 1792 ET SUIVANTS DU CODE CIVIL64. Deux notions liées- Les notions d'ouvrage (Chapitre premier) et de dommages à l'ouvrage (Chapitre II) sont étroitement liées et ne sauraient par conséquent être définies l'une sans l'autre. Car en effet, c'est en fonction des ouvrages et de la nature de leurs dommages que sera déterminé le régime de la responsabilité légale des constructeurs. Chapitre premier : L'ouvrage65. Notion d'ouvrage- Le terme « ouvrage » a été introduit par la Loi de 1978 aux lieu et place du terme « édifice », précédemment utilisé et beaucoup trop restrictif, ce qui a eu pour conséquence que la jurisprudence s'est vue contrainte d'adopter une conception extensive de la notion107(*). L'apport de l'Ordonnance n° 2005-658 du 8 juin 2005108(*) portant modification de diverses dispositions relatives à l'obligation d'assurance dans le domaine de la construction et aux géomètres experts, laquelle a fait suite au rapport «Périnet-Marquet» déposé en 1997, fut de mettre fin aux incertitudes laissées en suspens par la Loi du 4 janvier 1978. 66. Liste des exclusions- S'il est vrai que la notion d'ouvrage « est très largement interprétée par la jurisprudence qui n'exige, en aucun cas, que cet ouvrage s'assimile nécessairement à un bâtiment 109(*)», l'Ordonnance du 8 juin 2005 avait néanmoins retenu une acception étroite de la notion et dès lors, a dressé une liste d'exclusions de l'assurance obligatoire dans l'article L 243-1-1 du Code des Assurances. Aux termes de cet article110(*), sont ainsi exclus aujourd'hui du champ de l'assurance obligatoire, « les ouvrages maritimes, lacustres, fluviaux, les ouvrages d'infrastructures routières, portuaires, aéroportuaires, héliportuaires, ferroviaires, les ouvrages de traitement de résidus urbains, de déchets industriels et d'effluents, ainsi que les éléments d'équipement de l'un ou l'autre de ces ouvrages ; les voiries, les ouvrages piétonniers, les parcs de stationnement, les réseaux divers, les canalisations, les lignes ou câbles et leurs supports, les ouvrages de transport, de production, de stockage et de distribution d'énergie, les ouvrages de stockage et de traitement de solides en vrac, de fluides et liquides, les ouvrages de télécommunications, les ouvrages sportifs non couverts, ainsi que leurs éléments d'équipement, sont également exclus des obligations d'assurance mentionnées au premier alinéa, sauf si l'ouvrage ou l'élément d'équipement est accessoire à un ouvrage soumis à ces obligations d'assurance. Ces obligations d'assurance ne sont pas applicables aux ouvrages existants avant l'ouverture du chantier, à l'exception de ceux qui, totalement incorporés dans l'ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles. 111(*)». 67. Une notion élargie- De fait donc, tous les ouvrages qui ne font pas partie de la liste dressée par l'article L 243-1-1 du Code des Assurances entrent a contrario dans le champ d'application des articles 1792 et suivants du Code Civil. Restent trois conditions cumulatives à la détermination de la notion : outre le fait que l'ouvrage doive résulter d'un contrat de louage d'ouvrage, il doit être en outre de nature immobilière et être un ouvrage de construction. En complément de la Loi Spinetta de 1978, l'Ordonnance du 8 juin 2005 a donc clarifié cette notion d'ouvrage (Section I), en même temps qu'elle a précisé celle de ses éléments d'équipement (Section II)112(*). Section I- Les ouvrages de construction68. Définition- Pour l'application des articles 1792 et suivants du Code Civil, la jurisprudence exige un ouvrage de construction113(*). Dans les articles 1792 et suivants, l'ouvrage de construction se réfère à la notion de construction telle que le Vocabulaire juridique la définit : « Terme générique englobant non seulement les bâtiments mais tous les édifices et plus généralement toute espèce de construction, tout élément concourant à la constitution d'un édifice par opposition aux éléments d'équipement114(*) ». Mais si le concept de bâtiment est aisément intelligible, la notion d'ouvrage, plus large, mérite clarification (§1), a fortiori si cet ouvrage consiste en des travaux nouveaux sur existants (§2) §1 - Clarification de la notion d'ouvrage69. Une construction au sens large- Dans une acception générale, l'ouvrage désigne, selon la jurisprudence, un ensemble composé d'édifices ou bâtiments à usages divers : habitation, bureaux, commerce, industrie, agricole..., ainsi que l'ensemble de leurs éléments. Ainsi, la première chambre civile de la Cour de cassation a considéré que sont des ouvrages de bâtiment les ouvrages « qui font appel aux techniques des travaux de bâtiment »115(*). 70. Un seul ouvrage par fondation au sol et par date de chantier- En ce qui concerne les ensembles immobiliers, dans ce cas, chaque villa est considérée comme un ouvrage isolé et indépendant, et sont pris en compte notamment, l'existence d'un sol de fondation différent pour chacune, ainsi que la saison à laquelle le béton de chaque villa a été coulé116(*). 71. Cas des ouvrages de génie civil- La notion comprend également les ouvrages de génie civil117(*), mais à condition que ces travaux entrent dans le champ des travaux de construction d'un ouvrage, ce qui suppose l'incorporation de matériaux dans le sol et une fonction utile à l'ouvrage dans son ensemble118(*). 72. Cas de l'ouvrage neuf, partie d'un ensemble- Enfin, dans une acception plus restreinte, est visé le cas où plusieurs entreprises s'étant partagé un marché de travaux, chacune n'a réalisé qu'une partie de l'ensemble neuf. Dans cette situation, il convient de se référer à l'article 1792-2 du Code Civil, lequel étend la présomption de responsabilité aux éléments d'équipement qui « font indissociablement corps avec les ouvrages de viabilité, de fondation, d'ossature, de clos ou de couvert119(*) »120(*) ou également, à l'article 1792-4 du Code civil, lequel vise le fabricant d'un ouvrage ou « d'une partie d'ouvrage »121(*). A fortiori de ces textes, il s'avère que les parties d'ouvrage réalisées par des entrepreneurs différents sont également soumises à la garantie décennale de l'article 1792. Ainsi, si les entrepreneurs contribuent chacun à la réalisation d'une partie de l'ouvrage dans son entier, ils seront soumis à la garantie des articles 1792 et suivants du Code Civil, si bien entendu, la partie par eux réalisée est considérée comme un ouvrage122(*). 73. Cas d'exclusion- Parallèlement, la Cour de cassation écarte l'application de l'article 1792 du Code Civil dans des cas où elle considère que les travaux ne sont pas constitutifs d'ouvrages. Il en est ainsi de travaux de simple peinture de façade n'ayant pas vocation à étanchéiser le bâtiment, au motif que la peinture n'est ni un ouvrage, ni un élément constitutif de l'ouvrage, ni un élément d'équipement123(*). Il en est de même en ce qui concerne les enduits124(*). * 100 JORF n°0160 du 13 juill. 2010 * 101 H. Périnet Marquet « La grenellisation du droit de la construction » dans « Grenelle 2 impact sur les activités économiques » collection Lamy Axe Droit p. 55 n° 42 et s. * 102 JORF du 5 janv. 1978 * 103 V.C. Ass. Livre II, Titre IV « L'assurance des travaux de construction », Art. L 241-1 et s. * 104V. C.Civ. Art. 1792-1 * 105V. C.Civ Art. 1792-1 * 106V. C.Civ Art. 1792 * 107 J.B. Auby, H. Périnet- Marquet- R. Noguellou, « Droit de l'urbanisme et de la construction », 8ème édition 2008, collection DOMAT droit public/privé, éd. Montchrestien, n° 1218 * 108 JORF n°133 du 9 juin 2005 * 109 H. Périnet Marquet « La grenellisation du droit de la construction », Op.cit. * 110 Entre temps modifié par l'article 49 de la Loi n° 2008-735 du 28 juill. 2008 * 111 C.Ass Art L 243-1-1 * 112 Sur la question, V. not. Ph. Malinvaud, D. Action « Droit de la Construction » - 2010- n° 473.80 et s. et V. J.B. Auby, H. Périnet- Marquet- R. Noguellou, « Droit de l'urbanisme et de la construction », Op.cit., n° 1216 et s. * 113 H Périnet Marquet « La grenellisation du droit de la construction » Op.cit n° 52 * 114 G. Cornu, Vocabulaire juridique, assoc. H. Capitant, Puf, 7e éd., 2005, cité par Ph. Malinvaud, D. Action Op.cit- n° 473.80 * 115 Par ex., pour des travaux souterrains pour une station de métro, V. Cass. Civ. 1re, 9 avr. 1991, no 88-15.891, Bull. civ. I, no 133 * 116 Cass. Civ. 3e, 4 nov. 2004, no 03-13.414, Bull. civ. III, no 187 * 117 Par ex., la réalisation d'un mur de soutènement : Cass. Civ. 3e, 12 mai 1993, no 91-17.555 , JCP 1993, IV, no 2095 * 118 Par ex., pour des travaux de soutènement : Cass. Civ. 3e, 14 sept. 2005, no 04-11.486, Bull. civ. III, no 165 * 119 V. C.Civ, Art. 1792-2 * 120 Infra n° 82 et s. * 121 Infra n° 86 et s. * 122 Par ex. : pour la pose d'un chauffe-eau à gaz, Cass. Civ. 3e, 26 avr. 2006, no 05-13.971, Bull. civ. III, no 101 * 123 Cass. Civ. 3e, 27 avr. 2000, no 98-15.970, D. 2000. IR 150 et Cass Civ. 3e, 16 mai 2001, no 99-15.062, RDI 2001. 393, obs. Ph. Malinvaud * 124 Cass.Civ. 3e, 26 sept. 2007, no 06-14.777 |
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